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Elections en Catalogne : l’ombre du blocage

La politique catalane n’a rien à envier à la politique corse. Éminemment compliquée, totalement fragmentée, extraordinairement tambouille. Car les tambouilles électorales pré et post-élections y sont homériques et traduisent un certain talent pour la négociation et la paella.

L’élection du 14 février prochain, dites 14-F, est censée renouveler le parlement autonome catalan après la destitution du président indépendantiste Quim Torra par le tribunal suprême espagnol. Son crime étant d’avoir laissé afficher une banderole sur le Palais de la Generalitat à l’approche des élections du 28 avril 2019.

Or, ce renouvellement risque de tourner au blocage institutionnel.

8 listes sont en compétition pour 5 millions d’électeurs. Ces 8 listes forment trois camps : le bloc indépendantiste, le bloc constitutionnaliste et ceux qui peuvent aller avec l’un ou l’autre.

BLOC INDÉPENDANTISTE :

Junts Per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne) : c’est le parti du président en exil Carles Puigdemont. Son visage et son nom apparaissent sur toutes les pubs parcourant les réseaux sociaux, mais pas sur l’affiche officielle où a été mise en avant Laura Borràs, la candidate officielle. Universitaire, grande défenseur de la langue catalane, elle est contre le bilinguisme catalan-espagnol et a notamment signé une tribune en 2016 appelants à faire du catalan la langue principale du territoire. Elle y dénonce notamment la colonisation linguistique » par l’arrivée d’Espagnols venus d’autres régions, en l’occurrence les Andalous, très présents en Catalogne et travaillés en profondeur par le bloc constitutionnaliste. Laura Borràs est une proche de Puigdemont et une indépendantiste tendance dure. Elle a notamment promis de refaire une déclaration unilatérale d’indépendance si elle arrive en tête au soir du 14-F et si le total des voix indépendantistes dépassait 50 %, ce qui elle loin d’être une déclaration à l’emporte-pièce.

Son électorat est plutôt traditionnellement rural et de droite. Les prisonniers politiques Jordi Turull, Josep Rull et Joaquim Forn se sont investis dans la campagne, car… ils bénéficient de permissions de sortie le week-end ! Particularité éminemment catalane : loin des standards basques ou irlandais, les prisonniers politiques catalans sont d’anciens ministres et portent des cravates et des costumes trois-pièces !

La compétition entre Junts et ERC (la gauche indépendantiste catalane) est féroce. Junts n’a pas annoncé qu’il soutiendrait ERC en cas de victoire de ce dernier. Quant aux gauchistes de la CUP, les relations entre ces derniers et Junts sont exécrables, leur candidate Dolors Sabater ayant récemment rappelé que Laura Borràs est toujours sous le coup d’une accusation de corruption par un tribunal espagnol. Avant de faire volte-face sous pression de son parti qui ne veut pas apparaître comme le mauvais engrenage qui bloquerait le processus indépendantiste en cas de victoire. Les gauchistes étant des poisons partout où ils passent, il n’est pas sûr que cette prudence tient jusqu’à la fin de la campagne, par contre…

ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) : l’autre grand challenger en lice dans le camp indépendantiste. Cherche avant tout à toucher les jeunes pour assécher la CUP et à s’implanter dans les grandes villes notamment Barcelone et sa grande couronne, traditionnellement bastionne des partis espagnolistes. Son candidat, Per Aragonès, est l’actuel président par intérim de la Generalitat après la destitution de Quim Torras. C’est un proche d’Oriol Junqueras, le chef d’ERC toujours maintenu en détention à ce jour pour lui apprendre l’amour de l’Espagne.

La campagne d’ERC aura été axée sur le « réalisme » et les thèmes sociaux. Pas question de suivre Laura Borràs dans sa volonté de refaire le coup du « 1-0 » (les Catalans sont très « numéronymes »), car la situation constitutionnelle n’a pas changé et surtout la police autonome, les Mossos d’Esquadra, ne suivront pas plus le gouvernement élu qu’ils n’ont suivi le gouvernement Puigdemont en 2017.

Aragonès propose un gouvernement très large en cas de victoire avec Junts, la CUP, PDECat (un petit parti libéral indépendantiste) et Podemos. En clair, l’alliance de la carpe, du lapin et de l’éléphant, d’où le risque d’une majorité faible et soumise aux psychodrames permanents

La CUP (Candidatura d’Unitat Popular) : les gauchistes-indépendantistes. Mais contrairement aux gauchistes français, ils bénéficient d’un véritable ancrage populaire voir territorial. Il n’est pas rare de les voir arriver en tête dans certains « comarques » (circonscriptions) et ils ont également des maires et quantité de conseillers municipaux.

Leur candidate Dolors Sabater est l’ancienne maire de Badalona, une commune de 220 000 habitants. Elle fut déchue de son poste à l’issue d’une motion de censure en 2018. Le zoo gauchiste étant ce qu’il est, la gauche n’a jamais réussi à s’entendre pour élire un nouveau maire, ce qui fait de Badalona l’une des seules villes de Catalogne dirigée par un maire… du Parti Populaire espagnol ! Ses récentes déclarations anti-Borràs ont provoqué un psychodrame au sein de la CUP comme seuls les gauchistes peuvent en créer. Elle a cependant fait, depuis, son autocritique révolutionnaire, sans passer par la case goulag.

La stratégie de la CUP se résume, en gros, à faire des manifs pendant 4 ans « pour affaiblir l’Espagne » et organiser un nouveau référendum sur l’Indépendance à l’issue de la législature. Brillant !

BLOC CONSTITUTIONALISTE (espagnoliste) :

PSC : (Parti des Socialistes de Catalogne, branche locale du PSOE) : Le PSC pourrait gagner… sans même gagner. Le candidat est Salvador Illa, ancien ministre de la Santé du gouvernement Sánchez (choisi pour incarner le « quota catalan » traditionnel des gouvernements PSOE). Illa a, volontairement, mené une campagne neutre qui laisse libre court à toutes les possibilités en matière de savantes « combinazione » post-élections. Le PSC peut effectivement gouverner avec ERC dans une optique « de gauche », comme il peut décider de former une coalition avec le PP dans une logique « unité espagnole ». Inutile, donc, d’être trop tranché avant les élections quand on apparaît comme le faiseur de roi.

Parti Populaire (droite espagnoliste) : À l’image du PSC, le PP aura été très prudent lors de cette campagne. Le candidat du parti Alejandro Fernandez est un conservateur-libéral qui cite Thatcher dès qu’il le peut et qui est favorable à l’unité du bloc constitutionaliste face aux indépendantistes. Le PP n’a cependant aucune chance de l’emporter en Catalogne malgré les smileys et le clin d’œil à Obama sur ses affiches de campagne. Le parti a annoncé qu’il n’apporterait en aucun cas ses voix à Salvador Illa, mais qu’il accepterait d’adouber un gouvernement régional « constitutionaliste » (avec le PSC donc) si le président était une personnalité « consensuelle », ce qui laisse libre cours à toutes les possibilités.

En éternel mode survie en Catalogne, le PP veut surtout faire oublier les coups de matraque du référendum de 2017 lors de ces élections et l’application de l’article 155 qui ont mis le statut autonome catalan sur pause.

Ciudadanos : La droite cool et espagnoliste de C’s, quant à elle, ne s’embarrasse pas des pudeurs de Fernandez. Le parti est farouchement espagnoliste et l’a bien fait savoir durant cette campagne même si la langue catalane n’est jamais été oubliée. Son candidat Carlos Carrizosa est à la tête du groupe parlementaire C’s à la chambre catalane. Il est cependant tellement peu connu du grand public qu’il apparaît en compagnie d’Inés Arrimadas, la nouvelle présidente de Ciudadanos, avocate à la plastique particulièrement avantageuse. Problème : celle-ci a récemment déménagé à Madrid, mais son image reste connue en Catalogne où elle a été la figure de proue de C’s, mais aussi du fait que son chéri d’amour est un ancien député… indépendantiste !

Vox : À Vox on ne rigole pas, car « l’unité de l’Espagne est en danger ». Le candidat du parti de la droite radicale est un métis, l’universitaire Ignacio Garriga (de souche équato-guinéenne et belge tout en s’identifiant comme « fièrement catalan »). Ses affiches sont assez étonnantes, car le candidat y apparaît l’air grave et inflexible, à l’opposé des habituels sourires ultra-brite. Le slogan est simple : « Récupérer la Catalogne, récupérer l’Espagne ». Le parti est réputé « anticatalan » et fait habituellement des scores catastrophiques en Catalogne, mais les sondages prédisent une entrée de députés Vox le 14-F. Le tout est de savoir au détriment de qui : Partido Popular ou Ciudadanos ?

CEUX QUI NE SAVENT PAS TROP

Podem/En Comú (Podemos et assimilés) : La bourgeoisie de gauche. « Gauche sociétale » s’entend. Ca ne s’invente pas, leur candidate Jéssica Albiach est une néo-féministe revendiquée. Comme beaucoup de Podemos, elle est d’extraction ouvrière, prolétaire et a travaillé à la mine (elle met ses racines modestes de fille de commerçante en avant). En fait, elle est surtout journaliste et photographe dans le monde du spectacle et n’a jamais vu une pioche de sa vie. Sa candidature, validée par Podemos et une coalition plus large connue sous le signe de « En Comú » (avec des écologistes et des catalanistes notamment) a été placée sous le signe du « changement ». Ni trop à gauche, ni trop proche des questions de souveraineté ou de loyauté à l’Espagne, elle reste ouverte à toutes les alliances post-élections.

Vers une victoire… de blocage ?

Les derniers sondages hésitent entre Junts, ERC et le PSC pour les trois premières places, les indépendantistes se voient cependant arriver en tête. Si l’un de ces partis gagne, ils auront dit tout et son contraire sur les éventuelles alliances qu’ils pouvaient passer pour former un exécutif. Même les inflexibles VOX ont annoncé qu’ils auraient pu soutenir un gouvernement PSC avant de se rétracter. La palme de la désunion revient cependant au camp indépendantiste qui se sera déchiré sur des questions idéologiques. Une poursuite de ces chicanas en cas de victoire pourrait amener un blocage complet des institutions, ce que les pragmatiques citoyens catalans ne veulent pourtant pas.

Crédit photo : Wikipédia commons (cc)
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Une réponse à “Elections en Catalogne : l’ombre du blocage”

  1. Pschitt dit :

    Merci pour ce tableau bien troussé. Les vieux démons catalans sont toujours à l’oeuvre. N’oubliez pas que lors de la guerre civile, pour faire face au franquisme, anarchistes et staliniens n’avaient pas trouvé mieux que de s’entretuer.

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