Lors d’un récent webinaire, Frédéric Thienpont, associé juriste fiscal et patrimoine, Laure Virazels, juriste fiscale, et Philippe Hupé, expert-comptable associé chez Walter France, ont décrypté les mesures de la loi de Finances et de la loi de financement pour la sécurité sociale. En voici le compte rendu ci-dessous :
Ces lois s’inscrivent dans un contexte bien particulier de pandémie. Certaines mesures maintiennent le cap des réformes du Gouvernement, d’autres ont été prises spécifiquement pour aider les entreprises à surmonter la crise.
La baisse du taux d’impôt sur les sociétés est maintenue
Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021, les PME dont le chiffre d’affaires n’excède pas 10 millions d’euros bénéficieront du taux réduit d’impôt sur les sociétés de 15 % (le seuil était précédemment de 7,63 millions d’euros). La trajectoire de la baisse de l’impôts sur les sociétés est maintenue pour arriver à 25 % en 2022.
Des mesures pour recapitaliser les entreprises et reconstituer leur trésorerie
Pour rappel, l’écart de réévaluation dégagé lors d’une opération de réévaluation des actifs constitue un produit imposable. Dans la loi de finances, l’administration fiscale introduit une mesure de tempérament (autrement dit une tolérance)permettant un décalage dans le temps de l’imposition de ces réévaluations. Les entreprises vont donc pouvoir réévaluer l’ensemble de leurs immobilisations corporelles et financières (les immobilisations incorporelles ne sont pas concernées), ce qui leur permettra de se recapitaliser. Attention toutefois, c’est « tout ou rien » : il n’est pas question de choisir les biens que l’on souhaite réévaluer. Autre règle à connaître : le compte de réserve de réévaluation ne pourra pas être distribué, mais il pourra servir à recapitaliser, ce qui est logique puisque cette mesure fiscale est prise, justement, pour favoriser la recapitalisation des entreprises. Ce dispositif est temporaire et s’applique aux exercices clos à compter du 31 décembre 2020 et jusqu’au 31 décembre 2022. Il est fortement conseillé de consulter des experts pour évaluer les biens concernés.
Une autre mesure intéressante, cette fois-ci pour reconstituer sa trésorerie : la mise en œuvre du dispositif appelé cession-bail, opération qui consiste, pour une entreprise propriétaire d’un bien immobilier, à le céder à une société de crédit-bail immobilier qui le lui loue immédiatement au terme d’un contrat de crédit-bail immobilier. Cette opération est aussi connue sous le nom de lease-back. En temps normal, la taxation sur la plus-value est exigible immédiatement. La loi de finances instaure un dispositif temporaire d’étalement : le montant de la plus-value de cession pourra être réparti par parts égales sur les exercices clos pendant la durée du contrat de crédit-bail sans excéder 15 ans. Attention tout de même : cette mesure ne concerne queles immeubles affectés par l’entreprise crédit-preneuse à son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Ce dispositif s’appliquera aux cessions d’immeubles réalisées à compter du 1er janvier 2021 jusqu’au 30 juin 2023.
Nombreux aménagements en matière de crédits d’impôts
Pour mémoire, jusqu’alors, les dépenses de recherche confiées à des organismes de recherche publics étaient prises en compte pour le double de leur montant. La loi de finances pour 2021 vise à coordonner les règles applicables en la matière entre les organismes privés et publics. Le doublement de l’assiette est donc supprimé en cas d’opérations de recherches confiées aux organismes publics.Concrètement, à partir du 1er janvier 2022, quel que soit le statut de l’organisme de recherche auprès duquel l’entreprise sous-traite des opérations de recherche, les dépenses correspondantes seront retenues dans la limite de 3 fois le montant total des autres dépenses de recherche. Et l’ensemble des dépenses de sous-traitance est plafonné à 10 millions d’euros par an en l’absence de liens de dépendance entre l’entreprise et l’organisme prestataire et à 2 millions d’euros dans le cas contraire.
Un crédit d’impôt exceptionnel de 30 % dans la limite d’un plafond de dépenses de 25.000 euros est mis en place pour les PME propriétaires ou locataires de leurs locaux qui engagent des travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique, pour les immeubles achevés depuis plus de deux ans à la date d’exécution des travaux, entre le 1er octobre 2020 et le 31 décembre 2021.
Le crédit d’impôt mécénat est étendu, pour les exercices clos à partir du 31 décembre 2021, aux versements qui profitent aux fédérations ou aux unions d’organismes agréés ayant pour objet de verser des aides financières ou de fournir des prestations d’accompagnement à des PME.Cette réduction d’impôt est égale à 60% des sommes versées, retenues dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires ou 20000 euros.
Trois nouveautés en matière de TVA
Le recours à la facturation électronique sera mis en place progressivement : l’obligation d’accepter la réception de factures électroniques entrera en vigueur en 2023, et l’obligation d’émettre des factures électroniques entre 2023 et 2025.
La mise en place future de la facture électronique est aussi l’occasion de vérifier la conformité de la documentation, ce que l’on appelle la « Piste d’audit fiable » (obligation depuis le 1er janvier 2013), outil permettant de sécuriser les droits à déduction de TVA, pour les factures PDF envoyées par mail. Côté outils, on peut imaginer l’extension de l’utilisation de la plate-forme ChorusPro, portail dématérialisé de facturation électronique pour les marchés conclus avec l’Etat, ou l’apparition de plates-formes privées.
Concernant l’e-commerce et la vente à distance, la réforme harmonise au niveau européen le seuil de chiffre d’affaires unique de 10 000 euros à partir duquel la taxation de la vente aura lieu dans le pays du consommateur final.Un régime de TVA est créé pour les ventes à distance de biens importés. Les plates-formes en ligne facilitant les ventes à distance seront obligées de payer la TVA, et enfin un guichet unique sera créé pour les ventes à distance. Compte tenu de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et de la situation économique, l’entrée en vigueur de ce dispositif est reportée du 1er janvier 2021 au 1er juillet 2021.
Création d’un régime de groupe pour la TVA : à l’instar de ce qui existe déjà au regard de l’impôt sur les bénéfices avec le dispositif de l’intégration fiscale, il est prévu d’instaurer, à compter du 1er janvier 2022 pour une application effective en 2023, un régime de groupe au regard de la TVA. Il sera possible de considérer comme un seul assujetti les entreprises et groupements, indépendants entre eux d’un point de vue juridique, mais étroitement liés sur les plans financiers, économiques et organisationnels, membres d’un « groupe TVA ». L’option sera valable trois ans et devra être déclarée au plus tard en octobre pour l’année suivante.
Du côté des impôts locaux
Pour le calcul de la CVAE, le taux d’imposition est divisé par deux pour les cotisations dues à compter de 2021, pour toutes les entreprises. Mais dans le même temps, le taux de la taxe pour frais de chambres de commerce et d’industrie, fixé à 1,73 % en 2020, est porté à 3,46 % pour les cotisations dues à partir de 2021…
Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre peuvent exonérer de CFE les nouveaux établissements créés à compter du 1er janvier 2021, ainsi que les extensions d’établissement, pour trois ans.
Le taux du plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée est ramené de 3 à 2 %.
Pour mémoire, la valeur locative des immobilisations industrielles servant de base à la taxe foncière et à la CFE est déterminée selon une méthode dite « comptable », basée sur l’application de taux d’intérêt au prix de revient des différents éléments qui constituent l’établissement. La valeur locative résultant de la méthode comptable va pouvoir diminuer, grâce à une réduction de moitié des taux d’intérêt applicables : pour les sols et terrains, le taux d’intérêt passe de 8 à 4% et pour les constructions et installations, le taux d’intérêt passe de 12 à 6%. Cela signifie une baisse des impôts locaux pour les établissements industriels.
Les mesures conséquences de la politique sanitaire Covid-19
Le crédit d’impôt pour abandon de loyer
La première mesure attendue concernait le crédit d’impôt sur abandon de loyer, mais c’est une grande déception car il ne va concerner que le mois de novembre 2020. Il s’élève à 50 % et le locataire doit avoir fait l’objet d’une interdiction d’accès au public ou faire partie des secteurs S1 (les plus touchés). De plus, si le locataire est une entreprise de 250 salariés, la base du crédit d’impôt est plafonnée aux deux-tiers du montant du loyer.
Le remboursement anticipé des créances de carry-back
La 3ème loi de finances rectificative a prévu la possibilité pour les entreprises de bénéficier, sur demande, du remboursement anticipé de leurs créances non utilisées de report en arrière des déficits. Cette mesure concerne ainsi tant le stock de créances de report en arrière des années précédentes que les créances qui viennent à être constatées jusqu’aux exercices clos au31 décembre 2020 du fait des pertes liées à la crise sanitaire. Des arbitrages sont ainsi potentiellement à faire pour la clôture au 31 décembre 2020 de certaines entreprises.
Baisses et apurement des dettes sociales
La réduction des cotisations sociales des travailleurs indépendants doit être précisée par décret. Sont concernés les travailleurs indépendants des entreprises frappées d’interdiction d’accueil au public, qui exercent leur activité principale dans les secteurs les plus touchés ou qui dépendent de ces secteurs, à condition d’avoir subi une baisse de chiffre d’affaires d’au moins 50 % par rapport à la même période de l’année précédente.
De même, les artistes-auteurs qui ont constaté une baisse de chiffre d’affaires d’au moins 50 % par rapport à la même période de l’année précédente pourront bénéficier d’une réduction de leurs cotisations sociales, dont le montant reste à préciser.
Concernant l’apurement des dettes sociales, jusqu’à maintenant l’Urssaf a peu demandé de rattraper les retards de paiement. La loi de financement pour la sécurité sociale a prévu la mise en place de ces plans d’apurement : pour les cotisations patronales et salariales dues au 31 décembre 2020; pour les cotisations des travailleurs indépendants restant dues au 30 septembre 2021, et pour les travailleurs non-salariés agricoles restant dues au 30 avril 2021. L’administration devrait contacter les entreprises et travailleurs concernés au plus tard dans les trois mois suivant ces échéances.
Les entreprises (et les travailleurs indépendants) peuvent, à leur initiative, ce qui est recommandé car ainsi elles « gardent la main », envoyer un courrier à l’Urssaf avec une proposition d’échéancier.
Illustration : DR
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