Dimanche, 11.9 % des voix sont allées au jeune chef de Chega (ça suffit !), le plus controversé des partis portugais. Annoncé depuis des mois par les sondages, ce score confirme la percée de ce parti fondé en 2019 et qui avait réalisé à peine 1,49 % des voix aux dernières Européennes. De quoi secouer une vie politique portugaise immobile et sans réelle alternance.
Ce dimanche 24 janvier, les Portugais ont d’ailleurs réélu sans surprise à 60.7 % le notable social-démocrate Marcelo Rebelo de Sousa : fils d’un gouverneur colonial du Mozambique et ministre de feu le dictateur Salazar, Rebelo de Souza était allié pour l’occasion au parti de centre-droit CDS-PP, un positionnement qui le rapproche d’Emmanuel Macron. Dans ce contexte, la gauche, divisée, a passé son tour et fait de la figuration. Tiago Mayan Gonçalves, un libéral qui se veut plus progressiste que Rebelo de Sousa, engrange 3.22 %. Ana Gomes, membre du parti socialiste, soutenu par le parti animaliste et les écolos de LIVRE, ne recueille que 12.97 %. Sur le même créneau, Vittorino Silva, représentant du RIR (Réagir, Inclure, Recycler) obtient 2.94 %. Le communiste João Ferreira, soutenu par les Verts portugais, fait aussi dans le recyclage des idées écolos, mais sans grand succès : 4.32 %. Enfin, Marisa Matias, du Bloc de gauche, qui marie elle-même le rouge et le vert (« écosocialisme ») rassemble 3.95 % des suffrages portugais.
Qui est vraiment Ventura, le candidat du ras-le-bol portugais ?
Ce n’est pas sur ces thématiques consensuelles qu’André Ventura a remporté ses suffrages. C’est plutôt en évoquant des sujets explosifs. Aussi il est difficile de trouver des informations neutres à son sujet. Et pourtant, à 37 ans, il a déjà une longue expérience derrière lui.
Ce fils d’un réparateur de vélo, originaire d’Algueirão-Mem Martins, une ville proche de Lisbonne, a fait de brillantes études juridiques, dont il est sorti inspecteur des finances puis professeur de droit. Il adhère dans la foulée au parti social-démocrate (celui du président réélu) et accède ainsi à l’élite qui dirige le pays depuis la Révolution des Œillets. Tout en faisant cours ou en donnant des conseils dans un cabinet juridique, il se fait connaitre du grand public comme commentateur sportif d’après-match à la télé.
C’est en 2016 semble-t-il qu’il commence à s’éloigner du politiquement correct. Ce catholique, qui ado pensait à devenir prêtre jusqu’à la rencontre de sa future femme, est secoué par le massacre de Nice. Il réagit sur Facebook, demandant « la réduction drastique de la présence islamique dans l’ Union européenne ».
En 2017, il aggrave son cas. Il est alors candidat PSD à la mairie de Loures, une ville de 200 000 habitants dans la banlieue de Lisbonne, bastion du parti communiste portugais. Au cours d’un débat télévisé, il évoque la problématique sécuritaire : « Il faut arrêter de dire qu’il n’y a pas de problème quand une population qui représente 0,5 % du total constitue 10 % de la population carcérale ». Il faisait allusion à la minorité gitane.
En 2019, il fonde le parti Chega et les polémiques redoublent. Elu député de Lisbonne, il propose de ramener de 230 à 100 le nombre de députés et de réduire leur salaire. Pas de quoi arrondir les angles avec ses nouveaux collègues !
La socialiste Ana Gomes demande même d’interdire Chega pour inconstitutionnalité. Pour la petite histoire, dans les années 70, la grande démocrate Gomes militait au sein du mouvement maoïste portugais : une organisation violente, fan de Pol Pot et des Khmers Rouges et infiltré par la CIA ! Gomes avait comme camarade de parti un certain Jose-Manuel Barroso, qui depuis a fait une brillante carrière…
Autre adversaire emblématique de Ventura : Joacine Katar Moreira, une version lusitanienne de Danielle Obono. Députée de LIVRE (un des partis écolos), elle a le double passeport Portugal-Guinée Bissau, une ancienne colonie portugaise, une des sociétés les plus arriérées de la planète. Promenant à l’occasion dans les couloirs de l‘assemblée son assistant parlementaire habillé en jupe, Joacine Katar Moreira fustige ses nouveaux compatriotes : « Ce n’est pas nous, les noirs et les noires, qui devrions manifester, mais les blancs et les blanches, car ce sont eux les racistes. » Elle se voit comme une ambassadrice de l’Afrique, plutôt que comme une élue du peuple portugais. Elle a notamment réclamé la restitution des œuvres d’art africaines aux anciens pays colonisés. « Nous pourrions restituer Joacine Katar Moreira à la Guinée-Bissau », a répliqué du tac au tac André Ventura.
En fait tout le monde se bat pour être victime des punchlines de Ventura. Ce dernier ayant raillé le rouge à lèvres militant de la candidate marxiste Marisa Matias, aussitôt artistes et politiques, féminins et masculins, se maquillent les lèvres sur les réseaux sociaux, par solidarité contre le « sexisme » de Ventura.
La campagne présidentielle a été parfois éprouvante, avec des violences en marge des meetings de Ventura, les contre-manifestants « antifas » harcelant les partisans de Chega. Autre déni de droit : la Marthe Villalonga locale, la populaire actrice comique Maria Vieira, s’est déclarée en faveur de Ventura. Elle s’est retrouvée black-listée par la gauche culturelle, avant d’être radiée par Facebook !
L’expérience précieuse des Portugais de France
Dans la dernière ligne droite, Marine Le Pen est venue apporter son soutien au candidat tant décrié par les médias. « On ne partage pas tout ce que dit M. Ventura, mais on lui laisse la liberté de le dire », décrypte pour l’AFP Philippe Olivier, conseiller de la présidente du RN.
Le Manifeste de Chega permet d’en savoir plus sur les différences entre les deux mouvements politiques, qui reflètent l’histoire et la situation des peuples qui les inspirent. https://partidochega.pt/manifesto
Chega se place dans le clivage droite-gauche ; il est plus libéral, plus conservateur, moins redistributeur et moins étatiste que le Rassemblement national. Chega dit s’inspirer du personnalisme, un courant théorisé par le catholique français Emmanuel Mounier, un non-conformiste antitotalitaire des années 30 : une manière peut-être de se démarquer de l’héritage de Salazar, mais sans pour autant renier en bloc le Portugal du XXème siècle.
Chega est également marqué par des problématiques plus présentes dans le monde lusophone, notamment au Brésil, ou chez le voisin espagnol : la bataille du « marxisme culturel », la neutralité et la qualité de l’enseignement, la transmission de la culture nationale et populaire, la tauromachie, la théorie du genre, l’avortement, le passé colonial, grandiose et terrible… Près de la moitié des 11 millions d’esclaves africains déportés en Amérique l’ont été par le minuscule Portugal. Les décoloniaux veulent maintenant présenter la facture au peuple portugais, à qui le trafic n’a pourtant pas profité. Chega veut au contraire empêcher les ravages de la repentance qui sévit ailleurs.
Ce qui rapproche le plus les deux partis-frères, c’est la question des libertés menacées par l’oligarchie et bien sûr les problèmes de l’insécurité et de l’immigration, encore embryonnaires au Portugal. Trait d’union entre les deux pays, la discrète communauté des 1.5 millions Portugais de France pourrait dire aux compatriotes restés au pays : tant qu’il est temps, évitez au Portugal ce dont nous sommes témoins en France.
Les Portugais de France ont voté à 12.46 % pour Chega.
A.T.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Chega ! Percée d’André Ventura, candidat anti-immigration à la présidentielle du Portugal”
Ce qui ressort quand on compare deux partis idéologiquement « frères » issus de différents pays, c’est la différence culturelle.
On voit que le RN soutient Chega comme la corde le pendu. C’est ce qui arrive quand on voue un étrange culte étatiste très sectaire que personne d’autre ne partage.
L’article est intéressant mais n’arrive pas à enthousiasmer car que signifie l’apparition d’une extrême-droite au Portugal ? C’est le dernier pays de l’Ouest à en avoir une, et on sait ce qu’il est advenu partout ailleurs.
Car pour que l’opposition à l’immigration soit confinée à une minorité hors-système, c’est que la majorité de la société et le système ont désormais basculé dans un mode post-national, et qu’il n’y a plus d’issue. S’il n’y a plus que le petit peuple qui proteste, c’est que les élites sont d’accord (passivement ou non). Toujours le même scénario : d’abord le rejet, et la prise de conscience des années plus tard, quand le mal est fait.
Ce seront les hommes et les tribus qui feront l’histoire future. Pas les institutions dépassées de nations désagrégées.