Les premiers jours du Brexit semblent donner raison aux Anglais, tout apparaît fonctionner correctement : aucun bouchon de camions à Douvres. Sans doute mangent-ils leur pain blanc car c’est la période de l’année où le trafic routier est la plus faible entre le continent et l’île de Bretagne. Toutefois, les premières conséquences l’accord se font déjà sentir et l’opinion anglaise commence à s’interroger sur la vraie nature de la victoire diplomatique revendiquée publiquement par le premier ministre.
Les premiers à pousser un cri d’alarme ce sont les producteurs de fruits de mer et les pêcheurs de langoustines d’Écosse. Leurs camions ont été bloqués au départ car ils ne disposaient pas des documents sanitaires désormais indispensables pour entrer sur le continent européen. Or, chaque heure perdue entraîne une baisse du prix sur le marché de Rungis où les produits frais étaient normalement livrés en moins de vingt-quatre heures.
Puis les mareyeurs de Cornouailles ont découvert que dorénavant les envois doivent être accompagnés de certificats d’origine par espèce. Facile à faire quand un poids lourd complet contient trente tonnes de saumon d’élevage en provenance d’une seule ferme. Impossible à faire quand la pêche concerne différentes types de poisson débarqués d’une flottille de navires côtiers.
Une autre pénible surprise, à partir du premier janvier, les pêcheurs britanniques perdent les accès aux eaux norvégiennes et à celles des îles Féroé dont elles profitaient grâce aux accords entre l’Union et ces pays. Tout ce qui reste de la grande pêche britannique est à quai.
Enfin, les petits malins du net qui proposent aux Européens des biens usinés à bas coût en provenance d’Asie ont découvert que désormais, grâce à la clause des règles d’origine qui exige que les produits bénéficiant de l’absence de droits de douane soient fabriqués à plus de 50 % au Royaume Uni, leurs clients continentaux vont devoir payer des droits de douane.
Ainsi, une chaussure importée de Chine par un détaillant flamand et revendue sur le marché européen à partir de son entrepôt d’Anvers ne paye aucun droit de douane à son arrivée dans l’UE. En revanche, la même paire, entrant au Royaume-Uni sans droits de douane et expédiée à un consommateur dans l’EU se voit facturer par le transporteur un droit de douane et la TVA sans compter les frais de dossier.
The Guardian cite le cas de Thom Basely qui habite à Marseille et qui a acquis en ligne au Royaume-Uni des étagères pour sa salle de bains. À son dû de 47 € se sont ajoutés des frais et des droits de douane pour plus de 30 €. Un Allemand de Francfort devra payer 102 € de frais pour un achat de vêtements de sport.
Prenons l’exemple de la chaîne de magasins d’habillement New Look qui exploite en Irlande vingt-sept points de vente approvisionnés depuis le Royaume-Uni. Il ne peut plus livrer ces magasins sans examiner article par article quel est le pourcentage de production réelle au Royaume-Uni. Un vêtement dont le tissu est d’origine asiatique mais qui a été teint, coupé et cousu à Manchester se qualifie pour la franchise douanière, mais pas une chemise arrivée toute faite du Pakistan ou des draps de bain en coton d’Inde.
Les grandes entreprises ont anticipé ces obstacles et mis sur pied des centres de distribution réservés à l’Union européenne et qui importent directement d’Asie leurs marchandises. En revanche, les petites sociétés ne sont pas en mesure de le faire et se heurtent à une barrière non tarifaire redoutable pour commercer avec l’Union.
Pour compliquer les choses, il est désormais impossible à un Anglais de répondre à une commande en simplement chargeant une palette dans un camion pour l’envoyer au client. Chaque exportateur britannique doit disposer d’un référent européen qui lui sert de garant responsable légalement des produits importés.
Comment expliquer ce fiasco ?
Jonathan Powell, haut fonctionnaire anglais chargé durant plusieurs années de difficiles négociations diplomatiques a résumé en cinq points les raisons de cet échec dans un article publié par le site Politico.
En premier, les Anglais ont surestimé leurs atouts. Partant du principe qu’ils sont un marché important pour les industriels continentaux, ils ont pensé que les Européens allaient tout faire pour préserver leur accès au marché britannique.
Ensuite, les Anglais pour des raisons de politique intérieure ont mis en route le processus de séparation en actionnant l’article 50 avant de s’être accordés sur une position commune. Ce qui a conduit les insulaires à négocier entre eux durant deux ans avant de présenter une position commune face à l’équipe de Michel Barnier.
Troisièmement, toujours pour des raisons de politique intérieure, les négociateurs britanniques ont toujours privilégié le principe de souveraineté nationale sur les intérêts économiques. Ils se sont battus bec et ongles pour préserver le droit théorique de prendre des décisions qu’ils n’avaient aucunement l’intention de prendre comme, par exemple, subventionner des industries ou abaisser les critères de protection de l’environnement.
Arancha Gonzàlez Laya, la ministre espagnole des Relations extérieures a déclaré : « j’ai beaucoup d’expérience dans les négociations commerciales internationales. Elles ont pour but de mettre en musique l’interdépendance », pas la souveraineté.
Focalisés sur l’objectif de récupérer le contrôle de leurs eaux territoriales, les Anglais se sont arc-boutés sur une industrie qui ne représente que 0,1 % de l’économie tout en acceptant que les services, qui représentent 80 % de cette économie soient exclus du traité.
Ainsi, un constructeur britannique peut exporter sans droits des ascenseurs ou des moteurs d’avion sur le continent, mais ne peut assurer en direct les services entretien qui lui assurent le gros de son bénéfice.
En quatrième lieu, en prenant des mesures unilatérales qui contrevenaient au protocole sur l’Irlande du nord, le gouvernement britannique a cassé la confiance qui est nécessaire dans les négociations.
Enfin, les Anglais sont partis à la bataille non seulement sans position commune, mais sans stratégie à long terme pour envisager leurs futures relations avec l’Union européenne.
Les Anglais vont bien entendu rebondir. Cette grande nation commerçante a toujours su s’adapter à un environnement changeant. Toutefois, ils auront du mal à trouver un accord commercial aussi avantageux que leur appartenance à l’Union européenne et la période de transition risque d’être longue, notamment pour l’industrie des services.
Trystan Mordrel
https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/draft_eu-uk_trade_and_cooperation_agreement.pdf
https://www.politico.eu/article/5-reasons-uk-failed-brexit-talks/
Crédit photo : DR
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8 réponses à “Brexit, une victoire à la Pyrrhus pour Boris Johnson ?”
PYRRHUS s’écrit avec deux R et un H, rien à voir avec la pyrolyse… Comme dit bonne Maman, moins on a de confiture, plus on l’étale !
Une chemise importée du Pakistan est soumise à des droits de douane si elle transite par le Royaume-Uni : vous n’allez quand même pas en faire un drame et juger là-dessus de la réussite ou de l’échec du Royaume-Uni ? Est-ce ça que vous appelez « fiasco » ? Ou bien appréciez-vous toute situation à l’aune de l’économie et non à celle de l’identité ?
Votre source essentielle semble être l’article publié par Jonathan Powell dans Politico. En fait de « difficiles négociations diplomatiques » dont il aurait été chargé, Jonathan Powell a été simple secrétaire d’ambassade au siècle dernier, dans les années 1980. Il a plus tard été un proche collaborateur de Tony Blair, Premier ministre travailliste et europhile. On comprend que le Brexit le chagrine. Mais il a quitté la politique depuis 2007 pour travailler dans la banque. Cela donne-t-il plus de valeur à son opinion ?
Quant à Arancha Gonzalez Laya, que vous citez aussi, elle a été le bras droit de Pascal Lamy à la Commission européenne puis à l’Organisation mondiale du commerce. Pas exactement le genre de référence attendu de B.I.
Gageons que, sous peu, les pourfendeurs du Brexit et de Boris Johnson (« clown BOJO » pour les très distingués journaleux de « Médiapart » ou encore du « Monde ») qui avaient rabaissé leur caquet, bien obligés qu’ils furent de reconnaître que la GB ne s’était pas enfoncée sous les flots au 31/12/2020 contrairement à leurs prophéties de marabouts de comptoirs de bistrots, vont tenter de se refaire une santé en vous alignant de nouvelles prédictions catastrophes à l’orée de 2030, histoire de ne pas repasser trop vite pour des billes.
L’article ne préjuge pas de la réussi ou de l’échec du Brexit. Ce sont les Anglais qui vont devoir repenser leur économie en fonction des nouvelles contraintes administratives. Ils sont tout à fait capables de se réinventer mais la tâche est compliquée dans la mesure où l’accès à leur principal marché est désormais rendu plus difficile. Par exemple, le Royaume-Uni ne peut plus être un centre logistique desservant des clients dans l’Union européenne. En ce qui concerne les exportations vers l’Union, ils devront privilégier les biens produits sur place avec moins de 40% de contenu étranger, ce qui peut constituer un encouragement à rapatrier des productions, notamment pour l’industrie automobile. Quant à l’identité, ou à la souveraineté, une lecture attentive du traité conduit à s’interroger sur la réalité des gains obtenus par le gouvernement de Londres. Enfin, contester la validité des idées en raison de la fonction des personnes qui les ont émises peut apparaître comme un argument bien faible.
Il n’est pas moins faible de justifier une opinion par la fonction des personnes qui l’ont émise. A fortiori quand elles n’ont jamais occupé cette fonction, puisque Powell n’a pas été « chargé durant plusieurs années de difficiles négociations diplomatiques ». Quant à Mme Gonzàlez Laya, sa citation en l’occurrence n’apporte rien d’autre que de mettre en valeur ses chevilles enflées.
Ah bon ? Sauf erreur de ma part, il a été le chef de cabinet du premier ministre britannique durant dix ans et a dirigé l’équipe des négociateurs britanniques tout au long des négociations qui ont abouti à l’accord de paix en Irlande du nord. Il a écrit un ouvrage sur son expérience : Great Hatred, Little Room: Making Peace in Northern Ireland. Vous trouverez une note de lecture sur son livre ici : https://www.theguardian.com/books/2008/mar/23/history.politics
Les « négociations diplomatique », puisque c’était l’expression que je contestais, sont par définition des négociations d’Etat à Etat. Un chef de cabinet, homme de l’ombre, n’a normalement pas vocation à diriger de telles négociations et le fait est que Powell n’en a jamais dirigé. Pour les Britanniques, l’accord de Belfast n’était en rien le fruit d’une négociation « diplomatique », c’était une affaire intérieure et en tout état de cause sa nature n’avait rien à voir avec celle du Brexit. Powell ne peut exciper de cette expérience, qui au surplus remonte au siècle dernier, pour légitimer son opinion sur le Brexit.
C’est un intéressant point à soulever. En relisant le texte de l’accord, que l’on peut trouver ici :
https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/IE%20GB_980410_Northern%20Ireland%20Agreement.pdf
on prend conscience de la complexité de sa nature. Il est à la fois une négociation politique intérieure, je le concède bien volontiers, et d’une certaine mesure on peut le considérer comme faisant intégralement partie du droit constitutionnel du Royaume-Uni. D’un d’autre côté, il est aussi un traité international comme le prouvent non seulement l’implication de la République d’Irlande dans les négociations et dans la procédure de ratification de l’accord par un référendum mais aussi l’accord du 17 octobre 2019 entre l’Union européenne et le Royaume uni qui oblige Londres à respecter les termes du Good Friday Agreement. Plus récemment, le traité entre l’Union européenne et le Royaume uni signé en décembre 2020 établit une frontière douanière entre l’Ulster et la Grande Bretagne pour respecter les engagements de Londres à l’égard de l’Irlande.
J’en conclus que l’accord possède bien la nature d’un traité international et celle d’une négociation intérieure. Quant Powell, je laisse les historiens mesurer au trébuchet l’importance de son intervention mais à mes yeux il a bien joué un rôle diplomatique et cela le qualifie pour émettre des amis sur des accords internationaux négociés par le Royaume-Uni.