Un mauvais maître, De l’autre côté des croisades, Une justice politique, Les Eddas, Chez Trump : voici la sélection littéraire de la semaine.
Un mauvais maître
Le commissaire Lohmann mène l’enquête dans le monde feutré des agrégés des facultés de droit et des docteurs ès sciences juridiques. Un club sélect où l’on n’entre pas sans peine, pour n’en jamais plus ressortir, sauf les deux pieds devant. On y croise des professeurs de droit un peu tordus, des collectionneurs de livres anciens, des mises en scène macabres, des femmes abandonnées, des rivalités académiques, des sectes fantaisistes, des assassins trop convaincants, des coupables trop idéaux. Autant d’ingrédients rares qu’Un mauvais maître assemble non sans brio. D’une plume légère, Frédéric Rouvillois signe un polar réac et raffiné qui caresse et qui griffe tour à tour. À lire calé dans un fauteuil.
Professeur à l’université de Paris, Frédéric Rouvillois est essayiste, romancier, et historien des mentalités. Il a récemment publié Liquidation – Emmanuel Macron et le saint-simonisme (2020).
Une justice politique
La situation de notre pays est aujourd’hui à la fois étonnante et inquiétante sur le plan institutionnel. Les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, qui devraient être séparés, ne font plus qu’un.
À l’Assemblée nationale on trouve une majorité composée de simples exécutants qui votent en cadence et sans états d’âme les textes voulus par le président, y compris les plus liberticides. La Justice, elle, pour des raisons sociologiques, idéologiques, économiques et politiques est désormais le principal outil de répression au service du pouvoir exécutif. Au point que la situation relève de la description même qu’en a faite Emmanuel Macron : « Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décident des lois… »
Si l’on suit à la lettre l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la France n’a plus aujourd’hui de Constitution.
L’idée du livre est, avant d’opérer un diagnostic précis, de décrire depuis les premiers scandales de la fin des années 1990, le processus qui a permis la mise en place de cette aberration anti-démocratique. Comment et pourquoi cela s’est-il passé ainsi ?
Le diagnostic lui-même se fait par la description des rouages du dispositif et de son fonctionnement depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence. La conclusion s’attache à identifier les voies possibles de la rupture, sachant qu’une évolution ou de simples réformes ne permettraient pas de restaurer un pouvoir judiciaire digne de ce nom et adapté à la démocratie que devrait être la France.
Fondateur du Syndicat des Avocats de France, avocat et membre du bureau de politique extérieur du Parti Communiste jusque dans les années 1990, enseignant à l’université Paris II puis consultant, Régis de Castelnau est l’une des grandes voix du droit public en France.
Les Eddas
Rédigées toutes deux en vieux norrois au XIIIe siècle, les Eddas sont d’origine bien différente. Les chants et poèmes qui composent l’Edda poétique, appelée également « ancienne Edda » ou « Edda de Saemund », en référence à Sæmundr Sigfússon dit Saemund le Sage, prêtre et historien islandais qui coucha la plupart de ces textes sur le papier sous le nom de Codex Regius, datent, pour les plus vieux, du VIIe siècle. Transmis oralement, ils narrent les hauts faits de la mythologie scandinave et relatent les épopées de ses héros. On y rencontre la race des dieux Ases, avec à leur tête Odin, dieu des morts, de la victoire et du savoir, à qui il fut permis d’acquérir la science des runes après être resté pendu durant neuf jours, transpercé par sa propre lance, au frêne Yggdrasel, l’Arbre du monde sur qui reposent les neuf royaumes. On fait connaissance avec son fils Thor qui traverse le ciel sur un char tiré par deux boucs, son marteau Mjöllnir à la main lançant au loin la foudre ; maître des tempêtes, il est le plus puissant des dieux guerriers. On y découvre Loke à la beauté trompeuse, adopté par les Ases par un pacte de fraternité, dieu de la ruse jouissant du don de métamorphose. Impulsif et jaloux, il est source de malheurs et de conflits qu’il parvient à résoudre par de nouvelles tromperies. Parmi bien d’autres femmes héroïques apparaît Freya, de la race des dieux Vannes, déesse de l’amour, de la beauté et de la fertilité. Enfin, on y croise les Géants, issus du chaos premier, les Nains qui vivent sous terre et les Alfes peuplant les bois, les sources et les rochers.
La seconde Edda, l’Edda de Snorre a été écrite par un diplomate, historien et poète islandais, Snorre Sturlason. Source principale de notre connaissance de la cosmogonie nordique, que Snorre relie à la Genèse biblique et au monde romain à travers Énée, troyen fondateur de Rome, elle nous permet, en nous présentant de manière structurée la mythologie scandinave, de mieux entrer dans le monde de l’Edda poétique, placée ici à sa suite.
Ces textes, emplis de magie, racontent l’origine du monde, son organisation et sa hiérarchie, la lutte perpétuelle contre le Destin, l’espoir de briser la frontière entre les vivants et les morts et l’indéracinable espérance humaine d’une félicité éternelle.
Traduction de l’ancien idiome scandinave par M elle R. du Puget (XIXe siècle).
Chez Trump
Novembre 2020 : élection présidentielle US
L’auteur, Alexandre Mendel, sera le seul journaliste français à avoir été présent sur le sol américain de janvier à septembre 2020, aux avant-postes de la crise sanitaire et des manifestations à la suite de la mort de Georges Floyd). Alexandre Mendel a fait ce qu’aucun journaliste ou analyste des Etats-Unis n’a fait jusqu’ici : vivre parmi les américains, au cœur des états centraux, loin des mégapoles ultra-connectées des côtes californienne ou du nord-est.
Il a loué un véhicule et a dormi pendant 6 mois dans les motels et autres hôtels de base, rencontré des ouvriers, des chômeurs, des petits entrepreneurs, des fermiers du Midwest, autant de citoyens qui forment le gros de l’électorat républicain et qui se reconnaissent en Donald Trump.
Quelles sont leurs priorités ? Comment voient-ils les Etats-Unis et le monde ? Pourquoi ont-ils voté Trump ?
Autant de questions essentielles qui trouvent ici des réponses authentiques, simples et pourtant cruciales.
De l’autre côté des croisades
Pour les historiens arabes les plus lucides, ce que nous appelons les croisades entre dans le récit plus vaste de l’effondrement de l’Empire islamique, la grande offensive des « Francs » en Méditerranée constituant l’une des deux mâchoires de la tenaille qui prend en étau l’Islam aux XIIe-XIIIe siècles. L’autre mâchoire, de loin la plus redoutée, se resserre à l’est avec les invasions mongoles. L’Empire islamique est ainsi le lieu où se confrontent trois constructions impériales ; à l’est l’histoire chinoise domine pour un petit siècle, le cœur de l’Empire mongol se trouvant à Pékin. À l’ouest, Saint Louis s’impose comme le fondateur de l’Empire franc, dont le centre est à Rome, après la vague des guerriers fondateurs que sont Godefroy de Bouillon, Baudouin, Amaury ou Roger de Sicile.
C’est donc à un décentrement du monde que nous invite Gabriel Martinez-Gros. À travers une réflexion profondément originale, nourrie de ses précé-dents travaux sur la question impériale, l’histoire de l’Islam et la pensée historique arabe, l’auteur propose une fascinante nouvelle lecture des croisades, de l’Empire islamique et de la puissance mongole.
Agrégé d’histoire, professeur émérite d’histoire de l’Islam médiéval, Gabriel Martinez-Gros a dirigé, avec Lucette Valensi, l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman. Il est notamment l’auteur de Brève histoire des empires, de Ibn Khaldûn et les sept vies de l’Islam et, avec Sophie Makariou, d’une Histoire de Grenade.
Illustrations : DR
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