Le Taoiseach (Premier ministre) Irlandais Micheál Martin a rappelé, à l’occasion du centenaire de l’incendie de la ville de Cork (dans la nuit du 11 au 12 décembre 1920), qu’il était important que les Irlandais se souviennent des événements survenus à Cork City et dans le comté du Munster pendant la lutte pour la liberté, « mais qu’ils rendent également hommage à la génération révolutionnaire qui a contribué à faire de l’Irlande l’une des plus anciennes démocraties continues du monde »
Il y cent ans, dans la nuit du 11 au , au cours de la guerre d’indépendance irlandaise, eu lieu l’incendie de la ville de Cork, au sud de l’Irlande, par les Black and Tans, mais aussi la police irlandaise (RIC) et leurs auxiliaires (la Auxiliary division composée de soldats britanniques).
Retour sur cet évènement marquant en plein cœur de la guerre d’indépendance de l’Irlande en nous appuyant notamment sur la traduction que nous avons réalisée d’un article de la RTé irlandaise.
Auxiliary Division, Black and Tans et RIC contre l’IRA
« De toute ma vie et dans tous les récits de fiction que j’ai lus, je n’ai jamais vécu de telles orgies de meurtre, d’incendies criminels et de pillages que celles dont j’ai été témoin au cours des 16 derniers jours avec les auxiliaires du RIC.. » (Royal Irish Constabulary, force armée irlandaise pilotée par les britanniques).
Cet extrait d’une lettre interceptée écrite par Charles Schultze – un des quelque 1500 anciens officiers de l’armée britannique qui ont rejoint la Auxiliary Division formée en juillet 1920 pour combattre l’IRA – donne un aperçu de ce qu’était cette division paramilitaire introduite lorsque le RIC ne pouvait plus faire face à l’ampleur de la guérilla qui balayait l’Irlande et la province du Munster en particulier.
La division auxiliaire avait été créée pour répondre au feu par le feu. Nombre de ses membres avaient servi pendant la Première Guerre mondiale et étaient rentrés dans une Grande-Bretagne dont l’armée était très affaiblie et qui offrait un sombre avenir aux soldats de carrière. Certains d’entre eux, malgré les décorations et les médailles, étaient démunis.
La division auxiliaire offrait aux recrues une solde de 1 £ par jour. Les hommes du RIC, la police irlandaise, étaient payés la moitié de ce taux. Le problème, cependant, était qu’ils étaient des soldats et non des policiers.
Dans le cas des auxiliaires, les rôles étaient confondus, avec des résultats désastreux. Leur rôle n’avait pas grand-chose à voir avec le maintien de l’ordre classique et ces hommes ont eu tendance à traiter presque tous ceux qu’ils rencontraient comme des ennemis, ce qui est devenu leur marque de fabrique.
Ainsi, le lieutenant-colonel Gerald Smyth, l’un des officiers de cette division auxiliaire, expliqua à ses hommes présents pour assurer le maintien de l’ordre dans le Kerry :
« Vous pouvez faire des erreurs et des personnes innocentes peuvent être abattues, mais cela ne peut pas être évité (…) Plus vous tirerez, mieux vous me plairez, et je vous assure qu’aucun policier n’aura d’ennuis pour avoir tiré sur un homme »
Un mois plus tard, cet officier finira abattu dans son fauteuil par un commando de l’IRA.
Fin 1920, le RIC avait perdu sa capacité à faire régner l’ordre dans une Irlande en proie à la guerre civile et à la volonté d’indépendance et de liberté d’une partie de sa population.
Les attaques de l’IRA contre le RIC, les Black and Tans (le premier groupe envoyé de Grande-Bretagne pour compléter le RIC) et la division auxiliaire ont été suivies d’attaques de représailles. À Balbriggan, des maisons, des usines et des pubs ont été détruits après le meurtre de deux policiers.
En hiver, les raids et les tirs d’armes à feu étaient presque quotidiens dans de nombreuses régions du pays, mais surtout à Cork, où l’IRA était en nombre, organisé, et efficace.
Après la mort de Terence MacSwiney, le deuxième maire républicain de Cork, en grève de la faim, 14 gendarmes du RIC ont ainsi été tués par l’IRA.
Leurs attaques contre la police et l’armée ne sont pas restées sans réponse et petit à petit, ce fut l’escalade de la violence.
Une nouvelle embuscade — cette fois contre une patrouille dans la ville de Cork dans la nuit du 11 au 12 décembre 1920 — a été le déclencheur de la destruction du centre historique de la ville et de son incendie par les forces défendant la couronne britannique.
L’attaque de l’IRA avait fait un mort et 11 blessés dans les rangs de l’Auxiliary Division.
Une violence sans précédent
En représailles immédiates, des maisons ont d’abord été incendiées dans la zone de Dillon’s Cross, mais l’incendie criminel ne devait pas s’arrêter là.
« L’incendie et la mise à sac de Cork ont fait suite à l’embuscade contre nos hommes. Le reste de la compagnie était enragé. Les maisons situées à proximité de l’embuscade ont été incendiées et, de là, différents groupes se sont dispersés pour tout détruire. Beaucoup de ceux qui ont été témoins de scènes similaires en France et en Flandre durant la Grande Guerre disent que rien de ce qu’ils ont vécu n’était comparable à la punition infligée à Cork » écrit également Schulze.
Les auxiliaires sont descendus sur la ville, ont pillé les magasins et les ont ensuite incendiés. Le vin et les spiritueux, les bijoux et les vêtements étaient saisis ou redistribués aux commerçants considérés comme unionistes. Au fil de la nuit, le pillage des magasins de vin et de spiritueux s’est intensifié tandis que l’ivresse semblait se généraliser au sein de la Compagnie K de l’Auxiliary Division, entrainant une désorganisation et une indiscipline totale, mais aussi de nombreuses exactions.
Lorsque les pompiers arrivèrent sur les lieux, leurs tuyaux ont été coupés et des coups de feu ont été tirés sur eux. Trois pompiers ont été blessés. Alfred Hutson, alors septuagénaire, et ses hommes du corps de pompiers de Cork n’avaient guère d’espoir de pouvoir contenir les incendies avec leurs véhicules hippomobiles.
Plus de 40 locaux commerciaux, 300 propriétés résidentielles, l’hôtel de ville et la bibliothèque Carnegie sont détruits par l’incendie. Plus de 3 millions de livres de dégâts (l’équivalent de 172 millions d’euros aujourd’hui) ont été infligés, 2 000 personnes sont sans emploi et beaucoup d’autres deviennent sans-abri. Deux volontaires de l’IRA non armés ont été abattus dans le nord de la ville tandis que fait remarquable, personne n’a été tué directement dans les incendies, malgré le fait que de nombreux apprentis et employés de magasin vivaient au-dessus des locaux incendiés.
La ville est restée traumatisée par cette nuit incendiaire/Un nouveau type de guerre était arrivé dans leurs rues.
Dans un premier temps, la Cork Corporation a été tenue responsable de l’indemnisation des propriétaires de maisons et d’entreprises, bien que le gouvernement britannique ait plus tard accepté de payer.
Certaines entreprises ont rouvert leurs portes peu après les incendies.
Un rapport militaire ultérieure sur l’incendie a été mise à la poubelle. Cependant, une enquête parlementaire menée par le parti travailliste a démontré la responsabilité de la police royale irlandaise et de ses supplétifs dans cet incendie et dans les pillages.
La compagnie K de la division auxiliaire a été dissoute et ses membres ont été redéployés.
Dans les semaines qui suivirent l’incendie de Cork, certains membres de cette compagnie furent à nouveau actifs dans l’ouest de Cork, où la rébellion irlandaise s’étendait.
À la fin de l’année 1920 — après l’entrée en vigueur de la loi sur le rétablissement de l’ordre et de la loi martiale — la violence s’est encore accrue, tout comme la brutalité des deux côtés. La Royal Irish Constabulary et l’Auxiliary Division sont dissoutes en 1922, à la suite du traité anglo-irlandais (la RIC se transformera en fait en RUC, pour l’Ulster).
Entre 1917 et 1921, la guerre d’indépendance de l’Irlande a fait plus de 2 000 victimes dont la moitié dans la province du Munster.
Illustrations : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine