A en croire certains titres de la presse mainstream suédoise (aussitôt relayés par l’agence Reuters, puis par une grande partie de la presse francophone, mais aussi dans le monde entier), les sections de soins intensifs de la région de Stockholm seraient si surchargées qu’on envisagerait de demander l’aide de la Finlande. Certains pensent pouvoir en déduire que les besoins d’hospitalisation, du fait de la « deuxième vague », auraient dépassé ceux du printemps. Qu’en est-il en réalité ?
Pour comprendre que quelque-chose cloche dans ces annonces, il n’est même pas nécessaire de comparer les nombres d’admissions en soins intensifs. En effet, depuis 2008, en Suède, tous les chiffres concernant les soins intensifs sont mis en ligne et publiquement stockés sur un site de l’administration. Sur lequel on constate, en réalité, un recul des admissions par rapport à la même période de plusieurs des années précédentes (ainsi qu’un léger recul du nombre des patients traités pendant plus de 48 heures).
On voit donc tout de suite que les auteurs de ces appels à l’aide finlandaise, s’ils ne mentent pas sciemment, doivent vivre dans un univers parallèle.
Mais allons au plus simple, en examinant la statistique des patients traités cette année pour Covid19 en soins intensifs :
(Chiffres d’admission quotidiens pour la région de Stockholm)
Le graphique nous montre la situation des admissions exclusivement dues à des infections par Covid19 depuis le début de la « crise sanitaire » suédoise de 2020 jusqu’au début de cette semaine – c’est-à-dire jusqu’au moment mentionné par ces nouvelles alarmistes comme étant celui auquel les infrastructures suédoises de santé atteindraient leurs limites.
Or ce qu’on voit, c’est que la situation actuelle est, de ce point de vue, comparable à ce qu’elle était début juin – une situation jugée, à l’époque, suffisamment gérable (par ces mêmes autorités de santé suédoises – dont certaines voudraient maintenant « tirer la sonnette d’alarme ») pour donner le signal des vacances d’été. Une situation, en tout état de cause, bien éloignée de celle du pic de printemps.
Alors, oui, on constate bien, en matière d’admissions, une tendance à la hausse. Mais comment pourrait-on s’être d’ores et déjà approché des limites de la capacité d’admission, alors qu’on est, visiblement, encore très loin de la situation de ce printemps ? Aurait-on réduit lesdites capacités depuis ce printemps ?
Cette question n’est, hélas, pas purement rhétorique.
Ce printemps, la Suède avait elle aussi sacrifié à la mode internationale de la construction d’hôpitaux de campagne par l’armée. Un tel hôpital avait été construit à Stockholm. Sur quoi, en juin, on apprenait que cet hôpital n’avait jamais été utilisé, et que le gouvernement renonçait au projet. On comprend mieux, du coup, pourquoi plus personne ne parle de ce genre de construction, en dépit des messages alarmistes concernant la deuxième vague de covid-19. De toute évidence, les capacités du système existant sont loin d’être épuisées.
Pour trouver la « clé de ce mystère », il faut lire avec beaucoup d’attention les articles en entier, sans s’arrêter aux gros titres et aux chapeaux alarmistes. En effet, pour peu qu’on entre dans les détails, on voit apparaître des témoignages de professionnels de la santé se plaignant de l’apparition d’un problème de personnel lié aux fêtes de fin d’année. Ce qui n’a rien de surprenant, étant donné qu’ici, tout le monde sait qu’en Suède, 30% des diplômés de la santé partent travailler dans d’autres domaines
Les nouvelles alarmistes que je commente ici semblent donc, dans le meilleur des cas, relever du sensationnalisme médiatique, et répondre à une mode internationale, que les médias suédois adoptent tout naturellement, comme d’autres modes.
Par conséquent, s’il fallait à tout prix tirer des conclusions politiques de ces communiqués, ce serait plutôt que, le secteur hospitalier ayant été négligé au cours des dernières décennies, les professions afférentes sont devenues peu attrayantes – plutôt que d’y voir une confirmation de je ne sais quel tsunami imaginaire de patients covidiens se pressant, dans des proportions inédites, aux portes des hôpitaux suédois.
Robert Westerlund
Employé du Plan régional dans la région de Stockholm, habitant de Stockholm et journaliste indépendant.