La famine de la pomme de terre dans les Highlands a été provoquée par le mildiou de la pomme de terre qui a frappé la région écossaise des Highlands dans les années 1840. Bien que le taux de mortalité ait été inférieur à celui d’autres famines écossaises, dans les années 1690 et en 1780, la famine de la pomme de terre des Highlands a poussé plus de 1,7 million de personnes à quitter l’Écosse pendant la période 1846-1852. Cette période du xixe siècle de l’histoire des Highlands et de l’Écosse est maintenant bien connue en anglais comme la « Highland Potato Famine » (famine de la pomme de terre des Highlands). Cette famine a fortement marqué toute la période, touchant essentiellement les communautés agraires sous divers aspects, malnutrition sévère, maladie grave et crise financière sérieuse.
Nous vous proposons ci-dessous cet article, publié par la RTÉ irlandaise et traduit par nos soins, qui est basé sur l’Atlas of the Great Irish Famine édité par John Crowley, William J. Smyth et Mike Murphy et qui raconte cette histoire méconnue.
Les causes de la famine de la pomme de terre dans les Highlands ont été à bien des égards similaires à celles de la grande famine irlandaise qui s’est déroulée à la même époque, les deux famines s’inscrivant plus largement dans une grave crise alimentaire causée par le mildiou de la pomme de terre à laquelle dut faire face toute l’Europe du Nord au milieu des années 1840.
Les effets du mildiou de la pomme de terre sur les habitants de l’île écossaise de Barra ( une île de l’archipel des Hébrides extérieures en Écosse située dans l’océan Atlantique ) ont été dévastateurs. James Hunter, de University of the Highlands and Islands explique ce qui s’est passé lorsque le fléau s’est installé – et en quoi il ressemblait et différait de ce qui s’est passé en Irlande à la même époque.
Lorsque, le mercredi 13 janvier 1847, George Pole s’est rendu à Bruernish, une petite ferme de l’île hébridéenne de Barra, la misère de ses habitants était évidente. La source de ces misères était le fléau qui avait privé Bruernish et les communautés voisines de pommes de terre. Cela n’aurait pas eu d’importance si d’autres denrées alimentaires avaient été disponibles en quantité suffisante. Mais ce n’était pas le cas. Il fut un temps où Barra était une localité productrice de céréales où l’on pouvait facilement se procurer de la farine d’avoine et d’orge. Mais ce temps était révolu depuis longtemps.
À Bruernish, George Pole a déclaré : « Je n’ai trouvé que peu de familles qui avaient un repas ». Ce qu’il a trouvé, en entrant dans les habitations constituant ce petit village, c’est la diarrhée et la fièvre du typhus – les accompagnements habituels de la famine. Ce dernier expliquait alors que devant les maisons, on retrouvait de nombreux coquillages, seule nourriture que les habitants parvenaient à trouver pour manger.
Pole était inspecteur au sein de l’agence gouvernementale chargée l’automne précédent de lutter contre la famine dans les Highlands et les îles d’Écosse. Avant d’être envoyé en octobre dans le nord de l’Écosse, Pole avait été en poste en Irlande où, au cours du printemps et de l’été 1846, il avait géré un dépôt de nourriture à Banagher, dans le comté d’Offaly.
Une île dans un état effrayant
Là-bas , au pays des collines de Tipperary, Pole pensait qu’il contribuerait à éviter des décès qui auraient pu suivre l’échec de la récolte de pommes de terre de 1845 en Irlande. Mais la recrudescence du fléau en 1846 l’avait laissé d’humeur pessimiste. écrivant même qu’il « craignait pour les perspectives d’avenir des pauvres en Irlande ».
Au début de 1847, comme le montre le nombre croissant de morts en Irlande (1 million de morts jusqu’en 1852) les pressentiments de Pole s’étaient avérés justifiés. Il lui semblait maintenant, ainsi qu’à d’autres, que les Highlands et les îles – épargnées par le fléau en 1845 mais pas en 1846 – allaient connaître un sort similaire.
En Irlande, Pole avait subi des sanctions administratives parce qu’il s’était exprimé trop librement. Lorsqu’il communiquait avec les autorités supérieures, on lui disait qu’il devait être « prudent ». Cette instruction, Pole ne l’a pas respectée.
Ses dépêches de Barra indiquaient clairement sa position par rapport à ce qu’il avait vu et à l’incapacité, selon lui, du propriétaire absent de Barra, le colonel John Gordon, l’un des hommes les plus riches d’Écosse, d’offrir une quelconque assistance – que ce soit sous forme d’aide alimentaire ou d’emploi – à ses locataires.
« Je ne peux pas conclure, écrit Pole, sans dire que j’ai trouvé sur la propriété du colonel Gordon … une misère et une privation de nourriture plus grandes que celles que j’ai eu le pénible devoir d’étudier sur d’autres propriétés des Highlands et des îles …Ce riche héritier n’emploie pas la population pauvre… Mais j’affirme que si les pauvres ne sont pas employés rapidement, alors il y aura des conséquences qui seraient honteuses pour son nom [Gordon] et préjudiciables à la réputation de la Grande-Bretagne »
Les propos de Georges Pole étaient partagés par le shérif William Fraser-Tytler, responsable de la région d’Inverness-shire incluant Barra et les îles adjacentes. Les témoignages recueillis là-bas », écrit Fraser-Tytler à propos des rapports sur ces lieux, présentent une image qui n’a rien à envier à ce que nous avons lu au sujet de l’Irlande.
Une crise imminente
La crise qui a ainsi atteint son point culminant a eu pour origine une révolution dans l’utilisation des terres qui, au cours du demi-siècle précédent, a vu des propriétaires terriens expulser des milliers de familles des régions intérieures et de nombreuses localités insulaires.
Ces expulsions massives avaient ouvert la voie à l’introduction de l’élevage de moutons à grande échelle. Certaines personnes déplacées étaient parties pour l’Amérique du Nord. Mais d’autres avaient été réinstallées sur de petites exploitations agricoles où, sur trois ou quatre acres de terre indifférente, elles étaient devenues dépendantes des pommes de terre – des pommes de terre aujourd’hui détruites par le mildiou.
Les défis auxquels sont confrontés des hommes comme le shérif Fraser-Tytler ne se limitent pas non plus à ceux qui découlent de la pénurie et de la faim dans les localités de culture des West Highlands et des îles. Plus à l’est aussi, les difficultés et les troubles se multiplient, en particulier dans les villes et villages de pêcheurs qui s’étendent autour du Moray Firth, de l’Aberdeenshire au sud à Caithness au nord.
Dans ces régions, les revenus avaient chuté parce que la demande pour le produit de base de la région, le hareng salé ou séché, s’était effondrée – notamment en raison de la perte du marché irlandais, auparavant vital, lorsque la pauvreté croissante de l’Irlande a rendu le hareng écossais inabordable.
La colère monte
L’argent se faisant rare, les constructeurs de bateaux et autres artisans de la pêche étant au chômage, les pommes de terre étant indisponibles et le coût de la principale alternative – le gruau (Le gruau est une préparation de grains de céréales dégermés, tels que l’avoine à gruau, le blé ou l’orge perlé, de riz, dépouillés de leur enveloppe corticale par une mouture incomplète) – augmentant fortement, la colère générale des communautés de pêcheurs commença à monter lorsque, en janvier 1847, il devint évident qu’à partir des nombreuses fermes productives de la région du Moray Firth, de plus en plus de céréales étaient envoyées par mer vers le sud de l’Écosse et l’Angleterre.
On pensait que ces expéditions étaient la cause de la flambée des prix de l’avoine. Il fallait les arrêter. Les autorités ont insisté sur le fait que cela ne pouvait être fait. Il ne pouvait y avoir aucune interférence avec le commerce. Cependant, les expéditions ont rapidement été stoppées par une action directe de la part des personnes les plus touchées. Des chariots de céréales ont été saisis, des navires arraisonnés, des ports bloqués, la police débordée. « Les émeutes de la faim se sont répandues dans le nord de l’Écosse à un tel point, » rapport un journal londonien du 6 février 1846, « que plusieurs groupes de militaires ont été envoyés d’Édimbourg. Dans certaines régions, le pays est décrit comme étant presque en état d’insurrection »
Dans des endroits habituellement paisibles comme Garmouth, Burghead, Beauly, Avoch et Invergordon, les manifestants se sont retrouvés face à des troupes armées de baïonnettes. Dans la communauté de Caithness, à Pulteneytown, des soldats ont ouvert le feu sur une foule nombreuse.
Au final, ce qui a le plus contribué à rétablir l’ordre, ce sont les efforts déployés pour réunir – auprès de commerçants plus aisés, d’avocats et d’autres professionnels – les fonds nécessaires à la fourniture de denrées alimentaires à des prix qui étaient, de fait, fortement subventionnés.
Cette aide caritative combinée aux efforts de George Pole et de ses collègues pour faire connaitre la situation a largement contribué à empêcher que les zones de culture d’Écosse ne connaissent une répétition de l’horrible tragédie irlandaise. La première à avoir apporté son aide sur le terrain a été l’Église libre, une confession presbytérienne nouvellement établie dont les membres avaient rompu avec l’Église d’Écosse traditionnelle.
À la fin de 1846, grâce aux contributions en espèces des congrégations urbaines, la Free Church distribuait des flocons d’avoine aux familles touchées par la famine dans l’ensemble des West Highlands et des îles. Des localités comme Barra, où la Réforme du XVIe siècle en Écosse n’avait jamais pris racine et qui restaient majoritairement catholiques, ont été parmi les premiers bénéficiaires de l’aide de la Free Church.
Bientôt, des millions de livres sterling ont été versés à une organisation caritative interconfessionnelle qui a pris forme au début de 1847 – une organisation caritative à laquelle le gouvernement allait finalement confier la responsabilité principale de l’aide aux Highlands et aux îles en cas de famine.
Au final, il y a eu seulement quelques dizaines de personnes à mourir de faim sur les îles et le continent à cette époque, contrairement à l’hécatombe irlandaise. Cela ne veut pas dire pour autant que la souffrance a été évitée.
Un jour d’été de 1847, Norman MacLeod, un ecclésiastique de Glasgow qui voyageait alors à travers les îles, a vu et rapporté les conséquences de la faim sur la population :
« La scène à laquelle nous avons assisté, en entrant dans la propriété du colonel Gordon était déplorable, voire déchirante. Sur une plage, toute la population du pays semblait rassembler les précieuses coques, des centaines de personnes avec des nasses – hommes, femmes et enfants nus tous au travail … Je n’ai jamais vu de telles scènes – la famine sur de nombreux visages – les enfants avec leurs regards mélancoliques, leurs genoux qui semblent grands, leurs yeux creux, leurs ventres gonflés. Que Dieu leur vienne en aide ! Je n’ai jamais été témoin d’une telle misère »
L’ecclésiastique rapportait ainsi directement des cas de Kwashiorkor, forme sévère de malnutrition que l’on connait aujourd’hui notamment dans certains pays d’Afrique subsaharienne et dans certains pays en développement.
Illustrations : DR
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Une réponse à “L’autre grande famine. L’Ecosse et la maladie de la pomme de terre (1840-1847)”
Excellent reportage historique.
Maintenant, vient la question : d’où vient le mildiou ?