A deux ans des élections parlementaires et présidentielles, les résultats des municipales de 2020 étaient attendus, au Brésil et ailleurs.
Très vite, la presse française a souligné les défaites de Jaïr Bolsonaro dans les grandes villes emblématiques, comme Rio de Janeiro ou São Paolo : « Vote sanction » pour le président honni a titré Radio France internationale (27/11), « revers » selon Ouest France (29/11), « déroute » pour les Echos (30/11).
Les résultats finaux ne sont pas si désastreux pour Bolsonaro
Les journalistes français ont travaillé dans l’urgence et ont mis en avant ce qui correspondait à leurs attentes. Or, comme le rappelle le militant de gauche brésilien Valerio Arcady, « le Brésil est un pays gigantesque. Il faut avoir à l’esprit que le pays compte vingt villes d’un million d’habitants ou bien plus, et près de cent villes de plus de deux cent mille habitants. Il y a deux cents villes de plus de cinquante mille habitants ». Les résultats détaillés, que nous mettons à disposition dans un tableau en fin d’article, ont mis du temps à sortir. Ils nuancent fortement, voire contredisent les gros titres racoleurs et bienpensants.
En réalité, les partis bolsonaristes (c’est-à-dire ceux qui ont explicitement revendiqué l’alliance avec le président en titre) ont doublé leur score en voix, passant à 12.61 %. Cela reste très minoritaire, mais c’est à mettre en relation avec l’élection de Bolsonaro par surprise en 2018, il y a moins de deux ans, par ras-le-bol contre le système établi, avec pour seules bases sa grande gueule et son tout petit parti, le PSL.
Au parlement brésilien, le 38 ème président du Brésil peut s’appuyer sur une majorité attrape-tout de députés qui comprend des modérés. Or les candidats soutenus par ces partis vaguement bolsonaristes font également un bon score puisqu’ils passent de 23 à 29 % des suffrages.
En additionnant les bolsonaristes pur sucre et ceux qui soutiennent le président du bout des lèvres, on obtient la moitié des 5569 maires brésiliens !
Quant aux partis qui sont « indépendants » par rapport à l’administration Bolsonaro ou qui sont plus directement dans l’opposition au sens parlementaire, ils reculent, et même fortement !
La gauche brésilienne n’est pas guérie
C’est en réalité la gauche qui a subi une déroute : loin d’être stimulée par le gouvernement droitier de Bolsonaro, elle poursuit son déclin commencé avec la crise de 2008. Elle perd environ 1/5ème de ses voix par rapport au scrutin de 2016, une année déjà mauvaise. Elle ne représente en 2020 plus qu’un 1 Brésilien sur 5. Le Parti des Travailleurs (PT), qui a donné au pays deux présidents, n’est plus que l’ombre de lui-même : il ne dirige plus que 183 municipalités, contre 632 en 2012.
Ouest-France ne voudrait pas désespérer Billancourt : « Dans quelques grandes villes, comme Porto Alegre, une gauche progressiste incarnée par une nouvelle génération de candidats espère l’emporter, alors que le Parti des travailleurs (PT) de l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva a perdu des dizaines de municipalités au 1er tour ». RFI est plus militante encore : « l’extrême gauche a remporté de très bons résultats à São Paulo, la plus grande ville du pays », titre la radio de service public qui conclut : « la gauche reprend des couleurs ».
Ces résultats mis en avant sont-ils réellement significatifs sur le terrain ou traduisent-ils les partis pris des commentateurs ? Ils correspondent notamment à la montée en puissance du PSOL, l’équivalent tropical du NPA. A São Paolo, la capitale économique du pays, son candidat Guilherme Boulos a fait un excellent score pour ce petit parti : 20 % au premier tour. Parmi ses colistier-e-s, Erika Hilton, transgenre afro-descendante, élue conseillère municipale haut la main, évènement salué comme « historique » par Le Figaro. Mais au 2ème tour, le candidat du PSOL, soutenu pourtant par toute la gauche, s’est incliné par 40 à 60 %. Et ce parti reste un groupuscule à l’échelle du pays : 2 % des voix !
On peut maintenant traduire RFI : « la gauche reprend des couleurs », cela ne veut pas dire qu’elle est victorieuse, mais qu’elle est moins blanche et moins hétérosexuelle. De ce point de vue, c’est toute la classe politique brésilienne qui devient moins « terne », puisque pour la première fois depuis la fondation de la République en 1889, les blancs n’étaient pas majoritaires parmi les candidats.
Le « Centrão » ramasse toujours la mise
Un point sur lequel les commentateurs ne nous ont pas trompés, c’est qu’au final, l’incontestable vainqueur du scrutin, c’est le « centre » au sens large, qu’il soit ou non dans la majorité présidentielle. Il s’agit là des partis charnières qui dans le tableau ci-dessous occupent les 2ème et 3ème strates grisées : avec 50 % des suffrages, ils raflent 4/5ème des mairies.
C’est ce centre qui a chassé par un coup d’état parlementaire en 2016 la présidente PT Dilma Rousseff, pour le motif de corruption. Un domaine dont lui-même est expert.
Son succès électoral repose sur une méthode éprouvée. Interrogé par RFI, Hervé Théry, professeur à l’Université de São Paulo, la résume en un mot : « l’habituelle « prime au maire sortant » donnée par les électeurs. Depuis la défaite du PT lors des dernières municipales de 2016, la droite est bien implantée localement. Ils contrôlent les mairies avec des méthodes parfois démocratiques, parfois pas vraiment démocratiques, car il y a pas mal de corruption. Il existe dans l’électorat brésilien, surtout chez les défavorisés, l’idée que peu importe en fait la couleur politique, du moment que le maire fait un bon mandat et qu’il redistribue, de manière clientéliste, un peu d’argent. »
Valerio Arcady a le même avis tranché : « Il y a un Brésil profond. Dans ce Brésil profond, les libertés démocratiques sont très limitées. Il est très dangereux d’être de gauche et politiquement actif dans l’immense majorité du Brésil rural. »
Bolsonaro reste en tête dans les sondages
C’est encore et toujours ce centre qui a digéré la révolte bolsonariste, en enlisant les réformes, qui attend tranquillement que l’expérience échoue pour reprendre la totalité des institutions.
La logique arithmétique voudrait en effet que le futur président brésilien soit issu d’un de ces partis centraux qui pullulent comme les parasites dans un marécage tropical. A condition qu’ils s’unissent.
En attendant, les sondages placent Bolsonaro en tête de la future présidentielle. Un sondage du 28/11, cohérent avec les précédents, le donne à 33.3 % au premier tour contre 8.8 % à son suivant immédiat, Haddad (PT).
Le secret de ce relatif bon score ? Bolsonaro a surpris ses rivaux en les prenant par la gauche. Pour contrer la crise économique, il a rompu avec l’ultralibéralisme et augmenté les allocations sociales qui avaient fait le succès du PT. A cela s’ajoute son thème électoral fétiche, qui reste d’actualité : l’insécurité hors de contrôle. Avec 60 000 meurtres par an, on assassine au Brésil en une semaine davantage qu’en un an en France.
A.T.
Le tableau ci-dessous a été réalisé à partir des chiffres bruts donnés par Valerio Arcary, dans son article, « Dix notes sur les élections municipales au Brésil », 5/12/2020, site A l’Encontre
Nom du parti |
Idéologie d’après Wikipedia (page liste des partis brésiliens, en anglais) |
Score en 2016 |
Score en 2020 |
Maires élus en 2016 |
Maires élus en 2020 |
Noyau dur bolsonariste |
|||||
Les Républicains (PRB) |
Droite, patriotisme économique, antifiscalisme |
3,76 |
4,98 |
105 |
211 |
Parti social-chrétien (PSC) |
Droite-extrême-droite, catholicisme politique |
1,73 |
2,08 |
88 |
116 |
Parti social-libéral (PSL) |
Droite-extrême-droite, sécuritaire et libéralisme économique |
0,47 |
2,73 |
31 |
90 |
Les Patriotes |
Droite-extrême-droite, évangélisme et nationalisme |
0,55 |
2,00 |
14 |
49 |
Parti rénovateur travailliste brésilien (PRTB) |
Extrême-droite, Intégralisme catholique (lointaine influence maurassienne) |
0,16 |
0,81 |
9 |
6 |
Total noyau dur bolsonariste |
6,67 |
12,61 |
247 |
472 |
|
Autres partis de la majorité présidentielle de Bolsonaro |
|||||
Parti progressiste (PP) |
Droite, conservatisme et nationalisme brésilien |
5,57 |
7,39 |
495 |
685 |
Parti social démocratique (PSD) |
Centre, libéralisme politique classique |
7,83 |
10,36 |
541 |
654 |
Parti Libéral (ex PR) |
Centre-droit, libéralisme économique |
4,43 |
4,56 |
298 |
343 |
Parti travailliste brésilien (PTB) |
Centre-droit-droite libérale-conservatrice |
3,45 |
2,62 |
261 |
212 |
Solidarité |
Centre, interventionnisme économique |
1,42 |
1,90 |
63 |
94 |
En avant |
Centre, nationalisme brésilien |
0,26 |
1,64 |
13 |
82 |
Parti républicain de l’ordre social (PROS) |
Centre, interventionnisme, attrape-tout |
0,67 |
1,33 |
53 |
41 |
Total autres partis majorité présidentielle |
23,64 |
29,80 |
1724 |
2111 |
|
Partis indépendants du gouvernement |
|||||
Mouvement démocratique brésilien (MDB) |
Centre à centre-droit, syncrétique |
14,56 |
10,66 |
1 037 |
784 |
Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) |
Centre, libéralisme économique, sociale-démocratie tendance Blair |
17,09 |
10,45 |
803 |
520 |
Démocrates (DEM) |
Droite, conservatisme brésilien, antifiscalisme |
4,78 |
8,10 |
267 |
464 |
Citoyenneté (CID) |
Centre gauche, pro LGBT, progressisme, libéralisme économique |
2,55 |
2,50 |
122 |
139 |
Podemos (PODE) |
Droite, démocratie directe, antifiscalisme |
1,60 |
3,23 |
29 |
102 |
Parti vert (PV) |
Centre, Ecologisme, légalisation du cannabis |
1,62 |
0,70 |
102 |
47 |
Nouveau Parti (NOVO) |
Centre-droit-droite, antifiscalisme |
0,04 |
0,41 |
0 |
1 |
Total Indépendants |
42,24 |
36,05 |
2 360 |
2057 |
|
Opposition parlementaire et extra-parlementaire |
|||||
Parti socialiste brésilien (PSB) |
Centre-gauche-gauche, socialisme démocratique |
8,15 |
5,11 |
415 |
252 |
Parti des travailleurs (PT) |
Gauche redistributrice à tendance souverainiste |
6,58 |
6,81 |
255 |
183 |
Parti démocratique travailliste (PDT) |
Centre-gauche-gauche, socialisme démocratique, anti-Lula |
6,21 |
5,19 |
336 |
314 |
Parti socialisme et liberté (PSOL) |
Gauche-extrême-gauche, droits LGBT, cannabis et socialisme démocratique |
2,03 |
2,18 |
2 |
5 |
Parti communiste du Brésil (PCdoB) |
Centre-gauche maoïste |
1,88 |
1,16 |
83 |
46 |
Réseau autosuffisant (REDE) |
Centre-gauche écologiste |
0,96 |
0,38 |
6 |
5 |
Parti socialiste des travailleurs unifié (PSTU) |
Extrême-gauche, marxiste orthodoxe, trotskyste |
0,08 |
0,03 |
0 |
0 |
Parti de la cause ouvrière (PCO) |
Extrême-gauche marxiste orthodoxe, trotskyste, légalisation du cannabis |
0,01 |
0,004 |
0 |
0 |
Parti communiste brésilien (PCB) |
Extrême-gauche marxiste classique (stalinien) |
0,02 |
0,002 |
0 |
0 |
Unité Populaire |
Extrême-gauche, contre la finance internationale, le racisme et le sexisme |
0,00 |
0,02 |
0 |
0 |
Total opposition |
25,92 |
20,88 |
1097 |
805 |
|
Non classés faute de données |
|||||
Parti travailliste chrétien (PTC) |
Droite, Démocratie chrétienne, anciennement alliée au PT |
0,26 |
0,20 |
15 |
1 |
Parti de la mobilisation nationale (PMN) |
Centre gauche paysan et patriote social |
0,78 |
0,16 |
28 |
13 |
Démocratie chrétienne (DC) |
Droite, démocratie chrétienne |
0,21 |
0,24 |
9 |
1 |
Parti des femmes brésiliennes (PMB) |
Droite, Pro-vie et conservatisme paternaliste |
0,28 |
0,06 |
4 |
1 |
Illustrations : DR
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