Marthe Robin, une Sainte ?

Marie-Thérèse Avon-Soletti, Maître de conférences honoraire d’histoire du droit, nous adresse un texte au sujet de Marthe Robin, présentée comme « une mystique catholique française, fondatrice des Foyers de Charité, connue pour des phénomènes tels que des visions religieuses, des stigmates et l’inédie que lui attribuent divers membres de son entourage.

Son dossier en vue d’une éventuelle béatification a été déposé auprès des autorités diocésaines en 1987 puis transmis au Saint-Siège en 1996. Le  a été signée à Rome, à la Congrégation pour les causes des saints, la « Positio », recueil élaboré à partir de tous les éléments recueillis visant à authentifier sa réputation de sainteté ; elle a abouti à la reconnaissance de l’« héroïcité des vertus » le . Toutefois, la publication en 2020 d’un rapport jusqu’alors secret remet en cause l’authenticité de ces prétendus miracles.

C’est au sujet de ce rapport que nous écrit Marie-Thérèse Avon-Soletti.

Un livre du Carme Conrad de Meester, décédé en 2019, « La fraude mystique de Marthe Robin » paru chez Cerf en octobre 2020, renverse l’image de cette paysanne de la Drôme restée plus de cinquante ans cloîtrée dans sa chambre, dans la petite ferme de ses parents à Châteauneuf-de-Galaure et que des personnes en nombre toujours plus grand sont venus visiter pour lui confier leurs préoccupations et en recevoir des conseils.

Marthe Robin : son histoire

Discrète pendant des années, cette présence s’est peu à peu affirmée sous l’influence du Père Finet qui a entouré Marthe Robin d’un écran protecteur pour canaliser les visites. Vivant la Passion du Christ le vendredi selon les témoins qui l’ont approchée, Marthe Robin n’a connu d’autre horizon que cette chambre vers laquelle affluaient prêtres et fidèles, toujours en présence d’un tiers. À sa mort, en 1981, des voix s’élèvent pour demander à Rome de trancher sur son cas.

La première phase d’une éventuelle reconnaissance de faits confirmant l’héroïcité des vertus est confiée au diocèse ; et, en 1988, c’est à l’évêque du lieu que revient la charge de nommer deux théologiens dont le Carme Conrad De Meester, spécialiste de mystiques comme Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus entre autres, pour évaluer les écrits de Marthe Robin. À l’issue de la consultation, le Père Conrad de Meester réfute la dimension mystique de Marthe Robin, alors que le second théologien n’émet aucune réserve à ce sujet.

Conrad De Meester appuie ses arguments sur le fait qu’il retrouve dans les écrits de Marthe Robin des phrases directement tirées d’autres mystiques. Et il en déduit un plagiat, une copie volontaire d’un autre auteur que Marthe Robin veut faire passer pour ses propres écrits. L’autre théologien, ainsi que les théologiens de Rome, qui sont parvenus au même constat en déduisent, eux, que Marthe Robin qui n’avait aucune notion de théologie reprend les termes de lectures qu’elle a faites dans sa jeunesse pour exprimer ce qu’elle a vécu. Le plus étonnant demeure le nombre impressionnant de mystiques dont on retrouve les expressions dans ses écrits et dont la lecture ou la copie aurait nécessité la présence d’un nombre considérable de livres dans cette chambre de ferme. Mais, ceci reste une question d’experts qui n’est pas de notre ressort.

Comme Rome ne suit pas les conclusions de Conrad De Meester, celui-ci pour prouver que ses arguments reposent sur des faits vérifiables, poursuit jusqu’à son décès un travail consacré à la simulation de Marthe Robin, un travail uniquement à charge, relevant le moindre indice pour démontrer le caractère de manipulatrice de cette femme. Ce combat devient sa thèse, une thèse qu’il défend de toute sa science pour en établir le bien-fondé. Mais, pour y parvenir, le Carme se centre uniquement sur Marthe Robin au point de la considérer comme la tête pensante et l’organisatrice de tout ce qui se déroule à Châteauneufde-Galaure. Par un effet de causalité nécessaire, si Marthe Robin a pu tromper son monde pendant plus de cinquante ans, cela implique de sa part une force de persuasion peu commune, une personnalité capable de subjuguer ceux qui l’approchaient, y compris le Père Finet, et les multiples prêtres et érudits qui lui ont parlé. En quelque sorte, cette intrigante aurait été le véritable maître de Châteauneuf-de-Galaure.

Marthe Robin manipulatrice : Une version qui ne repose par sur la réalité

Or, les témoignages prouvent que cette version ne repose pas sur la réalité. Je ne peux que rapporter des propos de personnes qui ont bénéficié d’un entretien avec Marthe Robin, un prêtre et quatre fidèles venus d’horizons divers et qui ne se connaissaient pas. Ces témoignages, je les ai reçus plusieurs mois à plusieurs années après le décès de Marthe Robin. Personnellement, je ne suis jamais allée à Châteauneuf de Galaure dans la Drôme, et je m’en tiens aux propos tenus par ces cinq témoins qui ont parlé à Marthe Robin, et dont les témoignages sont concordants.

Le prêtre m’a confié que, au cours de la conversation, Marthe Robin lui a demandé comment il donnait la communion. Ce prêtre qui était l’Abbé Robert Largier (curé de la paroisse de la Sainte Trinité à l’époque, dans la ville de Lyon) – je peux le nommer puisque tous les protagonistes sont décédés – a répondu qu’il donnait la communion exclusivement sur les lèvres. C’est alors que Marthe Robin s’est adressée vivement au Père Finet qui était à côté du lit : « Vous voyez ce que je vous avais dit, c’était possible, c’était ce qu’il fallait faire ». L’Abbé Largier, un peu confus d’avoir provoqué cette réaction, a changé de sujet. Mais il a été frappé par ces paroles. Marthe Robin n’était pas celle qui orientait la communauté qui se formait. Sa pensée n’était pas suivie lorsqu’elle risquait de déranger le conformisme qui s’installait dans l’Église. Et face à un prêtre omniprésent, il est des pratiques qu’elle n’a pas pu empêcher alors qu’elle les réprouvait.

Les quatre autres témoignages viennent de fidèles qui, tous, ont été frappés par la surveillance étroite dont faisait l’objet Marthe Robin de la part de son entourage. Impossible de lui parler sans une personne présente, le Père Finet ou une autre. Bien sûr, il n’était pas possible de laisser cette femme seule avec des inconnus qui auraient pu la maltraiter. Mais, du moins, un peu de discrétion aurait-elle été la bienvenue en se tenant écarté du lit. Or, la personne présente était toujours placée de façon à entendre tout, aucune intimité de parole n’était possible. Les quatre témoins ont été frappés par cette attitude qui leur a fait dire, à tous les quatre, qu’ils avaient considéré Marthe Robin, plus comme une prisonnière de son entourage, que comme une personne respectée pour son charisme.

Ils ont tous ressenti un décalage entre la prévenance apparente et la domination réelle qui s’exerçait de façon continue. Et pourtant, malgré ce malaise ressenti, les paroles de Marthe Robin, par la lucidité de ses réponses, par sa clairvoyance, ont profondément marqué ces quatre personnes venues la consulter. Ce ne sont que cinq témoignages parmi tant d’autres. Mais leur concordance intrigue, si on y ajoute aussi le fait que cette femme, qui ne pouvait avoir aucune intimité le jour, qui était en permanence gardée par un proche ostensiblement placé à côté d’elle quand elle parlait aux visiteurs venus lui demander un conseil, est morte seule dans sa chambre, sans personne pour veiller sur elle, ni pour accourir à la moindre alerte. Marthe Robin est morte seule. Où était son entourage si invasif à ce moment-là ? Si des anomalies existent dans la vie de Marthe Robin, il est évident, pour qui veut avoir les yeux ouverts, que ces anomalies sont plus liées à un entourage qui a scrupuleusement suivi un programme de maintien dans le sillage de Vatican II pour être accepté, quitte à imposer contrainte et pression de la pensée à une femme clouée dans son lit.

Les milliers de témoignages de visiteurs ainsi que le nombre impressionnant de prêtres présents à son enterrement le prouvent, cela n’a pas empêché Marthe Robin d’exercer le talent que Dieu lui avait donné, ni d’accomplir sa vocation à chaque moment unique de sa rencontre avec un visiteur. Elle a exercé alors la maternité spirituelle dont elle était investie de façon privilégiée. Alors, elle était libre. Alors, elle était vraie. Alors, elle était celle que Dieu avait ancrée dans ce village pour répondre aux angoisses des pauvres gens et leur communiquer la force de la maternité spirituelle, issue de Dieu.

Mais, pour le reste, elle a été prisonnière de certains proches, comme elle l’était déjà de son corps. La réflexion sur la communion dans la bouche le prouve. Marthe Robin n’a pas pu imposer ce qu’elle savait être bien et en concordance avec la volonté de Dieu . On a réussi à la persuader de composer pour des raisons diverses, lui martelant une impossibilité qu’elle a fini par accepter de guerre lasse, tout en vivant quand même dans l’inquiétude de ne pas avoir obéi à Dieu, comme le prouve sa question à l’Abbé Robert Largier. Elle qui a côtoyé tant de prêtres venus la voir n’a sans doute jamais pu se confesser en toute liberté, la confidentialité avec des personnes extérieures lui étant interdite. Elle a souffert la Passion. Elle a également souffert de la trahison de proches sans pouvoir la surmonter. Dieu voit les cœurs avait l’habitude de dire l’Abbé Robert Largier. Il faudra bien départager ce qui est du fait de Marthe Robin et de son entourage, ce qui appartient à son charisme – la maternité spirituelle – et ce que son entourage a voulu lui attribuer pour engranger le succès.

Marie-Thérèse Avon-Soletti, Maître de conférences honoraire d’histoire du droit

Illustrations : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Marthe Robin, une Sainte ?”

  1. Pschitt dit :

    Consternante histoire de maltraitance ! Mais ces gens qu accouraient au chevet de l’otage pour entendre ce qu’ils souhaitaient entendre, de même certains consultent des voyants ou des marabouts, sont complices. Sans marché pas de business.

    • Marie-Thérèse Avon-Soletti dit :

      Il ne s’agit pas forcément de maltraitance, au sens physique du terme, mais de pression psychologique forte pour maintenir un cap et de surveillance de tous les instants. Quant à ceux qui venaient, ils n’avaient en tête que cet entretien. Ni marché, ni business ne les intéressaient. Les plus attentifs ont remarqué une véritable distorsion entre Marthe Robin et son entourage. Mais la majorité n’a vu que ce qu’on voulait bien lui montrer, un peu comme de nos jours où rares sont les personnes lucides. Ceci n’enlève rien au don de maternité spirituelle qu’avait cette femme qui a soulagé et réconforté les milliers de visiteurs venus la voir, tout en restant cloîtrée dans une chambre. Contrairement à des « voyants » qui font du commerce comme cela se remarque ailleurs, le vie de Marthe Robin a été particulièrement aride. C’est la raison pour laquelle, si on veut être honnête, il faut bien distinguer un don spirituel qui a existé comme de nombreux témoignages peuvent en attester, et une volonté de certaines personnes de son entourage de l’exploiter. Il n’est pas juste de centrer les accusations uniquement sur celle qui a subi des pressions auxquelles manifestement elle n’a pu résister et taire la responsabilité des vrais manipulateurs.
      Marie-Thérèse Avon-Soletti

  2. Maroussia dit :

    Bel article. L’entourage de Marthe n’a pu que jouer un rôle important, voire parfois néfaste.
    L’enfer est parfois pavé de bonnes intentions…Combien de saints ou de saintes ont souffert dans leur congrégation, ou par leur confesseur.
    Combien ont vu leurs écrits « revisités » par la mère supérieure ou le père Abbé.
    Même Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face n’y a pas échappé. « Sans perdre de temps, mère Agnès se met au travail après la mort de Thérèse : sous la responsabilité de mère Marie de Gonzague, elle fond les trois manuscrits en un seul volume, qu’elle découpe en chapitres. Elle reprend largement le texte, corrige ce qui lui paraît incorrect. Comme l’affirme le père François de Sainte-Marie, spécialiste des manuscrits thérésiens. Elle a pratiquement réécrit l’autobiographie ». https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Thérèse_de_Lisieux

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