La bataille d’Austerlitz fut livrée le 2 décembre 1805, un an, jour pour jour, après le sacre de Napoléon. Le champ de bataille se situe en Tchéquie, à huit kilomètres à l’est de Brno (Brünn), à 110 kilomètres au nord de Vienne. Un site pénéplané avec en son centre un bas plateau dit de Pratzen et en arrière des étangs et des marais. Le château d’Austerlitz (aujourd’hui Slavkov) est à l’écart. Il hébergea l’empereur d’Autriche François II et le tsar Alexandre Ier. Napoléon s’y installa pour dicter ses conditions aux vaincus.
Austerlitz conclut une campagne menée tambour battant contre la Troisième Coalition, l’Angleterre, l’Autriche et la Russie. Trop faibles pour intervenir sur le continent et n’y tenant pas, les Anglais se borneront (si l’on peut dire) à détruire la flotte franco-espagnole à Trafalgar, le 21 octobre 1805.
Dès la fin juillet, Napoléon avait compris que ses moyens navals ne suffisaient pas pour envahir l’Angleterre. Aussi décida-t-il de vider le camp de Boulogne de ses 200 000 hommes pour marcher sur l’empire d’Autriche. Fin septembre, le Rhin étai franchi, la Bavière envahie, une armée autrichienne battue à Ulm et Elchingen. Puis ce fut la marche sur Vienne, occupée sans coup férir. Le tsar accourait, une armée austro-russe de près de 100 000 hommes se concentrait.
Mis en rivalité avec l’autrichien Weyrother (médiocre), le russe Koutouzov passait la main. Autant courtisan que militaire, l’entourage des deux empereurs, incompétents sur le terrain, vendait la peau de Napoléon avant de l’avoir tué d’autant qu’on le créditait de juste 70 000 hommes.
Multipliant feintes et diversions, Napoléon avait conduit l’ennemi là où il le voulait. Au soir du 1er décembre, il fit le tour des bivouacs puis il s’accorda une courte nuit. Au petit matin, dans la nuit et le brouillard, les Austro-Russes se mirent en marche, occupant le plateau de Pratzen. A huit heures, le soleil perça la brume, une heure plus tard, l’infanterie française prenait possession de Pratzen, coupant en deux le dispositif ennemi.
Koutouzov comprit le danger, il voulut réagir, trop tard. On lança les chevaliers-gardes russes contre la cavalerie de la Garde qui les balayèrent à un contre dix. Un choc digne de l’Iliade.
Dès 15 heures, les deux empereurs avaient pris la fuite, en petit équipage, laissant leurs hommes se ruer dans la débandade. A 17 heures, tout était fini. 1 500 morts côté français, autour de 5 000 austro-russes, 25 000 prisonniers, des dizaines de drapeaux perdus…
« Soldats, je suis content de vous… Vous avez, à la journée d’Austerlitz, décoré vos aigles d’une gloire immortelle… il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour que l’on réponde : Voilà un brave. »
Toujours enseignée dans les écoles militaires du monde entier, la bataille d’Austerlitz demeure la reine des victoires. Patton, affligé de métempsychose, se voyait dans la redingote du petit tondu… Il est vrai qu’il s’était déclaré Scipion Emilien écrasant Hannibal à Zama (202 avant notre ère).
Tout cela est bien joli. Mais les guerres ayant changé d’uniformes, d’armes, d’esprit et de culture, s’étant muées en massacres industriels, la portée d’Austerlitz est ailleurs.
Un historien russe de la période soviétique, Alfred Manfred (1906-1976) l’avait parfaitement compris et cela mérite une longue citation :
« On a souvent appelé Austerlitz « la bataille des trois Empereurs ». Mais cette appellation courante masque l’essentiel, ce qui a rendu cette bataille célèbre. Elle n’a pas frappé l’esprit des hommes du temps pour entrer ensuite dans les annales de l’Histoire parce qu’un empereur avait triomphé de deux autres. Pour les contemporains, la bataille d’Austerlitz ne fut pas une épreuve de force entre trois monarques sur le champ de bataille, mais quelque chose d’incommensurablement plus important : un duel entre le nouveau monde et l’ancien. Les hommes d’avant-garde, ceux qu’avaient marqués les rêves de liberté du siècle passé, applaudissaient aux victoires de l’armée française. Elle se battait sous le drapeau tricolore de la République contre le joug de la monarchie millénaire des Habsbourg, et de l’aigle bicéphale de l’Empire russe. Un officier d’origine obscure, qui avait conquis à la pointe de l’épée la couronne impériale, contre les plus augustes monarques, oints du Seigneur, représentant les plus anciennes dynasties, maîtres d’Empires féodaux, ce n’était pas une bataille de canons et de fusils, mais un combat entre des systèmes sociaux différents. Derrière Bonaparte se profilait un passé récent, les héros de Valmy et de Fleurus, les volontaires de 1793.
* Alfred Manfred, Napoléon Bonaparte, Moscou, 1971, trad. Française, Editions du Progrès, Moscou, 1980.
Jean-Joël BREGEON, Historien.
Photo : François Gérard, La bataille d’Austerlitz, château de Versailles
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