Avec 1429 morts par million d’habitants à ce jour, la Belgique serait le pays le plus touché au monde par la mortalité liée au Covid.
Dans un rapport paru du 16 novembre 2020, Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International, avance un début d’ explication : « Les résultats de notre enquête nous permettent d’affirmer que les MR/MRS (= maisons de retraite) et leurs résident·e·s ont été abandonné·e·s par nos autorités, et ce, jusqu’à ce que ce drame soit publiquement dénoncé et que le pire de la première phase de la pandémie soit passé. Malgré les risques évidents, et bien qu’elles en aient eu conscience, nos autorités ont échoué à mettre en place des mesures rapides et suffisantes pour protéger non seulement les résident·e·s, mais aussi le personnel des MR/MRS, lequel a réalisé et continue de réaliser un travail crucial dans des conditions très pénibles. »
Ce qu’on trouve dans le rapport d’Amnesty international sur la situation dans les MR/MRS belges
Le rapport donne la parole aux cadres dirigeants de santé, à quelques soignants, aux familles, enfin aux personnes âgées elles-mêmes, qui dans tous les pays ont été les principales victimes de la crise du Covid. Voici quelques extraits bruts :
« Chaque fois qu’une soignante (dépourvue de masques, introuvables au début) entrait dans ma chambre pour m’aider à faire ma toilette, j’avais peur. Je me demandais si le COVID n’entrait pas avec elle ». – Henriette*, 87 ans
« Malgré les bons soins dont bénéficie ma mère dans la maison de retraite, elle se sent comme dans une “prison” coupée de la société, traitée avec condescendance, discriminée en raison de son âge. Elle dit qu’elle ne s’est jamais sentie aussi malheureuse de toute sa vie, y compris pendant la guerre. »
– Fernanda, fille d’Emma *, résidente en maison de repos
« J’ai vu ma mère pleurer davantage ces cinq derniers mois qu’au cours des 50 dernières années. Elle a dit des choses comme : “Tu m’as mise ici, tu veux te débarrasser de moi, je veux mourir, pourquoi tu ne viens pas me voir…” » – Justine, fille de Georgette * (95 ans)
« J’ai appelé la maison de repos trois fois par jour, on m’a raconté ce qui s’était passé ce jour-là… Tout ce qu’ils m’ont dit était positif. Son taux de sucre n’était pas bon, il montait toujours… mais tous les jours j’entendais ces messages : elle est dans sa chambre, elle a bien mangé, elle est calme, que des bonnes nouvelles. Je me sentais bien à ce sujet ». Lorsque les visites sont à nouveau autorisées, il va rendre visite à sa belle-mère : « J’arrive dans cette pièce et ma belle-mère était allongée là, à moitié morte, émaciée. Je voulais lui faire boire un peu et la redresser, sa colonne vertébrale dépassait de deux centimètres… J’ai immédiatement appelé un médecin… il a vu que quelque chose n’allait pas : “Elle est complètement déshydratée, elle n’a pas eu d’eau depuis une semaine et demie, elle n’a pas bu et sa teneur en sel est très élevée”. (…) L’infirmière du premier étage est passée et a dit : “Ma collègue est malade et je suis ici seule pour 20 personnes”. Elle a rapidement pris l’ambulance pour aller à l’hôpital. Il s’est avéré que ses deux jambes étaient en train de mourir, elle avait une phlébite dans les deux jambes, elles étaient obstruées par un caillot et elles étaient mortes. C’est très douloureux… Ils nous avaient dit qu’elle se promenait. Ce n’est pas possible, elle devait être au lit depuis trois jours. » La dame de 83 ans meurt peu après. – témoignage anonyme
« Mon mari avait 85 ans. Lorsque je n’ai plus pu le visiter, nous sommes restés en contact par Whatsapp, deux fois par semaine, grâce à un assistant social. Je voyais qu’il n’avait pas sa prothèse dentaire supérieure et qu’on ne lui mettait pas ses lunettes. Plusieurs fois, il avait son pull sur son pyjama et il n’était pas rasé. Mon mari n’arrivait plus que très difficilement à manger seul. Au fil du temps, il maigrissait. Je le voyais vraiment dépérir. Quand je m’en suis inquiétée auprès du personnel, une soignante m’a répondu : “il nous est impossible de donner à manger à tout le monde tous les jours” ». – une dame de 79 ans
« J’ai été appelé, le 14 avril, pour dire « un dernier au revoir » à mon beau-père mourant, d’après le personnel, d’un « COVID-19 sans symptômes ». Il était au lit, en position fœtale, apathique et en déshydratation majeure… Beaucoup de verres d’eau et quelques jours plus tard, il marchait ! (…) Un grand nombre de décès déclarés ”COVID-19” ou « suspects » ont eu lieu par glissement ou manque de soins. Il ne faut plus s’en cacher » – Dr Brihaye
« Au début du mois d’avril, c’est devenu l’enfer dans notre maison de repos. Dans l’équipe, nous étions plusieurs à éprouver un sentiment de honte de ne pas pouvoir soigner les résidents comme il le fallait. Même leur donner à boire régulièrement était devenu difficile, vu le nombre élevé d’absents parmi le personnel soignant » – Samira, aide-soignante dans une maison de repos de Bruxelles
« Pour de nombreux employés, il était douloureux de voir le matériel dont ils devaient se contenter, alors que le personnel hospitalier était enveloppé dans des EPI pour entrer dans les chambres “COVID”. Il n’y avait pas de masques FFP2, ils se mettaient en danger pour fournir les soins dont les résidents avaient besoin. » – Iris Demol, Association des villes et communes flamandes (Vereniging van Vlaamse Steden en Gemeenten)
« Jusqu’à la fin mars, il ne nous est même pas venu à l’esprit d’envoyer des gens à l’hôpital parce que tout le monde (médecins, médias, hôpital) disait que cela n’aidait pas et qu’ils ne pouvaient pas faire beaucoup plus que ce que nous faisions dans la maison de repos. Le médecin ne venait plus, nous devions donc décider nous-mêmes si quelqu’un devait aller à l’hôpital ou non…. » – Geert Uytterschaut, directeur du VLOZO, réseau des maisons de retraite privées de Flandres
« Tout le monde a été frappé par les images des hôpitaux italiens et espagnols (…). Ces situations ont beaucoup marqué nos décideurs fédéraux qui se sont dit dès le départ qu’il fallait absolument éviter que les soins intensifs ne soient débordés. Les maisons de repos ont été reléguées en deuxième ligne et les résidents, de même que le personnel, en ont été victimes » – Vincent Frédéricq, secrétaire général de la Femarbel, réseau des maisons de retraite privées de Wallonie et de Bruxelles
« Vous receviez d’abord un message d’encouragement du [service public de radiodiffusion]… et ensuite seulement [les lignes directrices du ministère]… Un journaliste appelle pour me demander ce que je pense des nouvelles lignes directrices, alors que je n’en sais encore rien. [Le journaliste] me les envoie ensuite pour que je les commente. » – Naiké Costa, directrice d’un Centre de soins résidentiel (WZC)
La Belgique, l’Etat le plus désorganisé d’Occident ?
Si ces témoignages impressionnent, crier haro sur le baudet belge serait toutefois prématuré. Certes, la Belgique Vivaldi fait pire que l’Amérique de Trump (830 morts par million d’habitants) ou que la France de Macron (786). Mais on reste dans tous ces cas à un niveau de mortalité d’environ un habitant pour 1000. A comparer aux statistiques de la Corée du Sud (10 habitants par million) ou du Japon (16) : c’est-à-dire une mortalité Covid 100 moins importantes, quasi imperceptible.
La Belgique ne serait ainsi que le pire cas parmi les cancres de la planète, les pays occidentaux et latino-américains, en opposition aux pays asiatiques d’extrême-Orient, exemplaires dans la crise du Covid.
Les causes de cette situation sont multiples et encore mal connues. Cependant, un intellectuel belge, Francis Biesmans, pointe les responsabilités du système politique de son pays. Ce professeur à l’Université de Lorraine vient de faire paraitre un livre, « Le Pari wallon », et développe une analyse souverainiste, wallonne et de gauche (ces deux derniers adjectifs étant de toute façon synonymes).
Dans une interview au site français Le Vent se lève, il met les pieds dans le Plat Pays: « La gestion de la pandémie par l’État fédéral s’est avérée catastrophique. Le non-renouvellement du stock stratégique de masques, les retards considérables dans l’acquisition et la distribution de ces masques, l’absence de réalisation des tests adéquats pour le Covid-19 et les carences en matière de respirateurs artificiels, pourtant indispensables aux soins intensifs, ont révélé une impréparation totale du gouvernement fédéral autant que des erreurs de gestion qui défient l’entendement. Ces lacunes et ces erreurs, il faut le souligner, ont eu des conséquences très graves, notamment parce qu’elles ont accru la mortalité chez nos seniors. »
Cette crise révèlerait selon Biesmans les failles structurelles d’un système ultraparlementaire, hors sol, en pilotage automatique : la coalition actuelle Vivaldi compte 7 partis, qui ont mis 494 jours pour constituer un gouvernement qui n’est même pas représentatif d’une majorité d’habitants ! De plus, le millefeuille administratif belge est peut-être plus confus que celui qui régit la France. Biesmans donne l’exemple de l’organisation sanitaire :
« Le fédéral a la haute main sur le cadre juridique, le mode de financement et le montant des remboursements des soins de santé. En d’autres termes, il est le maître absolu pour tout ce qui est remboursé par la Sécurité sociale ; d’un point de vue budgétaire, il est aussi compétent pour 90 % des politiques relatives aux soins de santé et à l’aide aux personnes handicapées.
La Région wallonne a dans ses compétences les soins aux personnes âgées, la santé mentale, les assuétudes, le vaste domaine de la prévention (à l’exception des écoles), les soins de première ligne, les maisons de soins psychiatriques et les infrastructures hospitalières.
La Communauté française est compétente pour agréer les hôpitaux universitaires. Elle exerce également la tutelle sur l’ONE (Œuvre Nationale de l’Enfance) qui a en charge l’exercice de la prévention à l’école (les fameuses visites médicales) et la vaccination des enfants. »
Au XIXème siècle, juste après la Grande-Bretagne, la Belgique a été le deuxième pays au monde à s’engager dans la Révolution industrielle. Son déclassement actuel a une signification pour l’Europe toute entière.
A.T.
Crédit photo : Image par Susanne Pälmer de Pixabay
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Une réponse à “Covid 19. Amnesty international accuse la Belgique d’avoir sacrifié ses anciens”
Ce con ne peut s’empêcher d’utiliser l’écriture inclusive pour bien montrer qu’il reste quand même dans le camp du bien malgré ses dénonciations. Et surtout pas un mot sur l’hydroxychloroquine interdite dans ce pays. On a l’impression qu’il n’y a que les masques et les respirateurs artificiels pour combattre le virus.