« Bretons insulaires, Bretons armoricains ». Jean Danze raconte le lien historique entre les deux Bretagne [Interview]

Les éditions Yoran Embanner viennent de publier un ouvrage,- intitulé « Bretons insulaires, Bretons armoricains, 9 siècles d’Histoire (-56/851) » remarquable livre signé Jean Danzé, qui raconte les liens, historiques, entre les deux Bretagne, de chaque côté de la Manche, et entre Bretons insulaires et Bretons d’Armoriques.

Neuf siècles séparent la conquête de l’Armorique par les Romains de l’émergence du Royaume de Bretagne. Une période le plus souvent survolée par les historiens classiques. Pourtant, à cette époque, les terres de l’ouest et les Îles Britanniques ont connu une succession d’événements, souvent tragiques. Avec en toile de fond, l’émigration des Bretons insulaires qui prendront la mer pour venir s’établir en Armorique.

Faire revivre ce qui s’est effectivement passé, c’est l’objectif de ce livre qui s’écarte des schémas convenus. En effet, la démarche est résolument novatrice : ces siècles lointains ont été revisités en naviguant « au plus près », comme disent les marins : au plus près des textes de l’époque, écrits par des auteurs qui en ont été souvent les témoins directs. Mais également  des recherches archéologiques les plus récentes, menées en Bretagne comme Outre-Manche. L’ouvrage s’appuie, notamment, sur plus de 80 publications scientifiques postérieures à l’an 2000.

En ressort une fresque « pleine de bruit et de fureur », jalonnée par des personnalités marquantes comme la reine Boudicca, Niall l’Irlandais, Conan Mériadec, Vortigern, Waroch, ou Judicaël. Puis viendra le temps des Rois de Bretagne, de Nominoë et de ses successeurs. Une longue épopée qui traduit surtout la volonté tenace de nos prédécesseurs sur la vieille terre d’Armorique de demeurer maîtres de leur destin.

Nous avons interrogé Jean Danzé pour découvrir cet ouvrage essentiel , à commander ici

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Jean Danzé : Je suis brestois. Ma famille trouve ses origines à Douarnenez et au Cap Sizun il y a quatre cent ans. Du côté maternel nos racines sont à Landévennec. Comme beaucoup, j’ai quitté la Bretagne pendant plusieurs années pour mes études et mes premières expériences professionnelles. J’ai fait l’essentiel de ma carrière au sein du groupe Crédit Mutuel de Bretagne. Très tôt, je me suis intéressé à l’histoire des pays celtiques. J’ai publié un premier ouvrage, « Bretagne pré-celtique, aux origines du peuplement armoricain », chez Coop Breizh en 2001. Puis un second, en 2011, « Le Secret des Menhirs, de Bretagne et d’ailleurs » aux Editions La Découvrance, une étude sur la signification de ces colosses de pierre.

J’ai ensuite entrepris de retracer ce qui s’était passé en Bretagne au cours des neuf siècles qui séparent la défaite des Vénètes en 56 avant J.C. de la naissance du Royaume de Bretagne avec Nominoë, vers 850.

Breizh-info.com : Comment avez vous mené à bien vos recherches historiques ?

Jean Danzé : La fin de l’Antiquité et le Très Haut Moyen-Âge sont souvent négligés par les auteurs classiques, qui évoquent l’absence de sources, de données fiables. On en arrive à considèrer qu’il ne s’est rien passé de notable dans notre péninsule armoricaine au cours de la période romaine, et guère plus, plus tard, à l’époque où les Mérovingiens et les Capétiens régnaient sur la Gaule.

La réalité est toute différente, si on reprend la question à la base, en se focalisant sur les textes des auteurs anciens, contemporains des événements qu’ils relatent. Car on constate que les écrits de ces témoins ont été souvents interprétés, dénaturés et sortis de leur contexte, parfois pour les asservir à la défense d’une cause. En effet, en ce domaine, il convient de se montrer vigilant pour ne pas considérer ce passé lointain à l’aune de nos préoccupations ou options partisanes d’aujourd’hui.

Par ailleurs, depuis un siècle et demi, l’archéologie a fait de considérables progrès, sous la houlette de spécialistes alliant rigueur et professionnalisme. Là aussi, la Bretagne est une terre d’excellence. Nous disposons donc d’éléments matériels susceptibles d’apporter un jour nouveau à la recherche. N’oublions pas l’apport de la toponymie, les noms de lieux : beaucoup ont gardé le souvenir de ces temps anciens.

Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a amené à écrire ce livre sur le destin parallèle entre bretons insulaires et bretons armoricains ?

Tous ces matériaux n’ont pas toujours été mis en relation avec les faits historiques concernant la les contrées voisines de la Bretagne. Notamment les Îles Britanniques, les autres pays celtiques. La Grande-Bretagne actuelle, comme son nom l’indique, est le pays d’origine des Bretons. L’archéologie montre en effet que la Manche a constitué, dès ces siècles lointains, une « mare nostrum » celtique, vecteur séculaire d’échanges économiques et culturels. C’est ainsi qu’il est apparu nécessaire d’élargir la démarche aux dans un contexte plus large. Pour constituer cet ouvrage, ont été ainsi réunies en dix ans quelques 250 références, pour l’essentiel des publications scientifiques britanniques ou « continentales », dont 80 postérieures à l’an 2.000.

Un simple exemple : cette approche amène à une nouvelle vision de la présence romaine en Armorique et dans l’Île de Bretagne, qui remet en cause la « pax romana » : ces conquérants auraient apporté cinq siècles de paix. S’il y eu effectivement des intermèdes pacifiques, ils furent entrecoupés de crises, comme celle de 180-190. Ou celle, majeure, des années 275 qui vit les Armoricains abandonner les noms de ville romains pour reprendre ceux des leurs anciens peuples.

Mais ce qui caractérise surtout la période, c’est l’émigration bretonne : les Bretons des îles britanniques, repoussés par les envahisseurs anglo-saxons, furent contraints de prendre la mer pour venir s’établir en Armorique. Un phénomène d’importance, car ils deviendront dominants sur leur terre d’accueil. Bientôt, la péninsule armoricaine portera le nom de Bretagne, le pays des Bretons. Nous sommes aujourd’hui à la fois les descendants des anciens Armoricains, bâtisseurs de mégalithes, mais aussi de ces nouveaux arrivants.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui lie ces Bretons ? Qu’est ce qui les différencie ?

Jean Danzé : L’histoire classique nous dit que cette migration a débuté au IVème siècle, et s’est poursuivie pour s’achever au VIIème. Ce qui est exact, mais pour le moins imprécis. Pour y voir plus clair, il faut réhabiliter la chronologie, et reconstituer ce qui s’est passé Outre-Manche, comment les Bretons ont lutté pied à pied contre les vagues successives de nouveaux arrivants germaniques. Vers 530, la pression sera telle que beaucoup, pour fuir le conflit, furent contraints de prendre la route de l’exil. Ce sont eux qui franchiront la mer pour venir s’établir en Armorique.

Les Bretons apportent la religion chrétienne, peu diffusée jusque là en Armorique. C’est l’époque où les moines de l’Île de Bretagne, traversent la Manche. Ils bâtissent leurs oratoires sur les ilots du littoral. Leur souvenir est resté dans la mémoire des peuples : saint Maudez, saint Tugdual, saint Paul Aurélien, saint Corentin… Ils pratiquent les anciens rites celtiques, tandis que dans les Îles Britanniques, le christianisme romain s’impose. Vers 650, la Bretagne sera la seule contrée qui sera restée fidèle aux usages des premiers Celtes chrétiens. Ce qui incitera des religieux irlandais à se rendre en Bretagne pour continuer à vivre dans la foi de leurs pères.

Nous savons mieux, aujourd’hui, comment les Bretons se sont implantés en Armorique. Ils se sont d’abord consacrés à l’élevage. Puis, au fil des années, ils ont acquis des terres et les ont mises en culture. C’est sur ces bases économiques que se sont constituées des principautés sous l’autorité de chefs locaux. Ceux-ci ne tarderont pas à se heurter à leurs puissants voisins, les rois francs. Pour leur résister, ils se rangeront sous la bannière d’un unique souverain, donnant naissance au Royaume de Bretagne. Celui-ci sera suffisament structuré pour sauvegarder ses spécificités et traverser les siècles jusqu’en 1532.

Breizh-info.com : Qui furent les principales figures bretonnes de ces 9 siècles que vous traversez durant votre ouvrage ?

Jean Danzé : Le cours de ces siècles lointains est jalonné de personnalités marquées émérgeant de la brume des temps et du légendaire. Ainsi, Outre-Manche, la reine Boudicca rallie les peuples bretons et lève l’étendard contre l’occupant romain. La résistance contre les envahisseurs anglo-saxons sera incarnée par le mythique Arthur : il est probable que, faute d’être roi, vers 500, il était à la tête d’un contingent de cavaliers. Tandis qu’Aurelius Ambrosianus aurait été l’organisateur de l’armée bretonne.

En Bretagne armoricaine, Waroch, en 578, mène ses troupe à l’assaut des Francs. Judicaël, l’homme qui ne voulait pas être roi, accepte la couronne avant de se retirer dans un monastère vers 640. Morvan, chef de l’armée de bretonne en 815, affronte les troupes de Louis le Pieux. Nominoë, premier roi de Bretagne, négocie habilement avec les Francs vers 830, et les repousse les armes à la main.

Pendant ce temps, Outre-Manche, les Anglo-Saxons continueront progresser vers l’ouest. Les Bretons résistent farouchement, mais doivent abandonner leurs terres ou se soumettre. Seuls les Bretons du Pays de Galles et de l’ouest du Cornwall parviendront à sauvegarder leurs libertés, leur langue et leurs traditions celtiques.

Breizh-info.com : Quel héritage conservent aujourd’hui encore, des deux côtés de la Manche, les peuples qui habitent la Bretagne et la Grande Bretagne ?

Jean Danzé : Bretons insulaires et Bretons armoricains parlaient la même langue. Celle-ci a naturellement évolué et donné naissance au breton, au cornique et au gallois, qui comptent aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de locuteurs, 15 siècles après leur séparation. Par delà cette communauté linguistique, le plus frappant est sans doute l’intense volonté de ces peuples à rester fidèle à leur culture celtique, à la faire vivre et à la transmettre.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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