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Georges Minois : « L’élément religieux est absent des motivations de Charles Martel » [Interview]

Les éditions Perrin publient un livre important, signé Georges Minois, intitulé Charles Martel.

Sa victoire contre les arabo-musulmans à Poitiers, en 732, est à peu près tout ce qui reste de Charles Martel dans la mémoire collective, qui le considère avant tout comme le  » marteau des Sarrasins « .

L’enjeu de cette fameuse bataille connaît d’ailleurs un regain d’intérêt dans le contexte actuel, et fait l’objet de vifs débats : simple escarmouche, ou choc des civilisations qui a sauvé l’Europe de l’islamisation ? Cependant, Charles Martel ne se réduit pas à cette seule date, aussi célèbre soit-elle. Grand-père de Charlemagne, il assure la transition entre la dynastie moribonde des Mérovingiens et celle des Carolingiens. Guerrier avant tout, il est devenu, par ses nombreuses victoires, mais aussi par sa collaboration avec les missionnaires et par son entente avec le pape, le prince le plus puissant de son époque, le sauveur de l’unité du monde franc, et le rempart de la chrétienté. Maître d’un immense territoire, tout en restant simplement  » maire du palais « , il prépare l’accession au trône de son fils Pépin le Bref.

Si Charles Martel reste pourtant mal connu, en raison du caractère lacunaire et laconique des chroniques de cette époque, de nombreux documents, privés et publics, sur la société franque permettent de lever en partie le voile sur cet étonnant personnage, et de mieux comprendre l’homme et son œuvre.

C’est à ce travail que s’est attelé Georges Minois avec précision et efficacité. Nous l’avons interrogé pour plonger au coeur de la vie d’un personnage majeur de l’histoire de France.

Charles Martel – Georges Minois – Perrin – 23€

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l’histoire de Charles Martel ?

Georges Minois : Ayant publié en 2010 une biographie de Charlemagne, j’ai été amené à étudier ses origines familiales, et j’ai été surpris de constater combien son grand-père, Charles Martel, était mal connu, alors qu’il avait joué un rôle fondamental dans la formation du royaume franc et dans l’ascension de la famille carolingienne.

Très peu d’ouvrages lui ont été consacrés, alors que son nom revient constamment, à la fois comme héros de la lutte contre les Arabes et comme artisan de l’union du peuple franc. Les sources qui le concernent personnellement sont, il est vrai, extrêmement minces, mais il m’a semblé important, du point de vue historiographique, de retracer l’oeuvre de cet illustre inconnu et de la replacer dans son contexte.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui relève du réel, et de l’image d’Epinal, dans ce que l’on enseignait aux enfants au 20ème siècle, sur Charles Martel (avant que l’Histoire ne cesse d’être une matière fondamentale à l’école) ?

Georges Minois : Depuis la création du système scolaire français sous la IIIe République, jusqu’au début de la cascade de réformes dans les années 1970, Charles Martel a été considéré comme une figure incontournable de l’épopée nationale, au même titre que Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, saint Louis, Jeanne d’Arc, Henri IV et quelques autres. Chacun de ces personnages était ancré dans la mémoire des élèves en liaison avec un évènement majeur représentatif de son rôle.

Inévitablement, pour des raisons pédagogiques, cet événement donnait lieu à des illustrations pittoresques et à des simplifications et amplifications.. En ce qui concerne la bataille de Poitiers, le côté image d’Epinal concernait essentiellement les proportions du combat et l’ampleur de la victoire franque, certains auteurs de manuels avançant des chiffres de combattants tout à fait invraisemblables. Mais le fait de base était tout entier contenu dans cette affirmation sobre et sans appel, propice à la mémorisation: en 732 Charles Martel arrête les Arabes à Poitiers.

Breizh-info.com : La bataille de Poitiers en 732 relève-t-elle d’une simple escarmouche comme certains historiens le disent aujourd’hui ? Peut-on dire que des enjeux européens se tramaient derrière cette bataille historique ?

Georges Minois : Quelle réalité se cache derrière cette proclamation ? Là est toute la question. Pendant plus de 1200 ans, la bataille de Poitiers a été considérée par l’immense majorité des historiens comme un événement majeur ayant sauvé l’Occident d’une invasion musulmane. Dès 754, la Chronique Mozarabe érigeait Charles Martel en chef des « Européens ».

Cette conception a été remise en cause dans le contexte de relecture de l’histoire après la Seconde Guerre Mondiale, ce qui a conduit à réduire la bataille de Poitiers à une escarmouche anecdotique, avant de la faire disparaître de la mémoire collective en l’effaçant des programmes scolaires. Cette falsification ne fait que confirmer combien l’histoire est dépendante de l’évolution culturelle. Mais les faits sont là: Poitiers a été un affrontement majeur entre une armée arabo-musulmane venant d’Espagne, dirigée par Abd el-Rahman au nom de l’Islam, et une armée franque dirigée par Charles Martel. Les premiers mènent une guerre sainte, un djihad, notion apparue dans le monde musulman et absente à cette époque de la mentalité occidentale; les seconds se battent pour défendre leur territoire et leurs biens. Guerre sainte d’un côté, guerre ethnique et territoriale de l’autre, car les Francs n’ont à l’époque qu’une connaissance très vague de l’Islam, qu’ils considèrent comme une simple secte hérétique.

L’élément religieux est absent des motivations de Charles Martel. Les conséquences de cette bataille sont considérables: à partir de 732, l’initiative passe aux Francs, qui mettent en échec les Arabo-Musulmans en Provence et dans la vallée du Rhône.

Breizh-info.com : Pouvez vous nous parler de la société franque à l’époque de Charles Martel ? Sa géographie, ses aspirations, ses conflits ?

Georges Minois : A cette époque, la France n’existe pas encore. Depuis le VIe siècle, le peuple des Francs occupe la majeure partie de l’espace compris entre la Loire et le Rhin, où s’affrontent deux royaumes rivaux dirigés par des rois de la dynastie des Mérovingiens: la Neustrie, au Nord-Ouest, et l’Austrasie, à l’Est. L’Aquitaine, la Bourgogne, l’Alémanie, la Provence, forment des entités semi-indépendantes, parfois rattachées aux royaumes mérovingiens. La société est dominée par une aristocratie terrienne et guerrière,dont les rois doivent acheter la fidélité en distribuant des domaines et du butin. Ces rois, de plus en plus faibles (les « rois fainéants »), ne sont plus que que des instruments dirigés par leur principal ministre le Maire du Palais, véritable maître du royaume, à la tête d’une puissante clientèle privée. Au Nord-Est, les royaumes francs sont confrontés aux incursions répétées des Frisons et des Saxons, peuples germaniques encore païens centrés sur la Basse Rhénanie.

Breizh-info.com : Peut-on dire que Charles Martel a été un personnage majeur, fondateur même, de l’histoire de France et de la mythologie française ?

Georges Minois : Dans ce contexte, Charles Martel joue un rôle majeur. Appartenant à la puissante famille des Pippinides, fils de Pépin d’Herstal, il devient à son tour, après bien des péripéties, Maire du palais d’Austrasie et de Neustrie, et par une série de campagnes victorieuses contre les Frisons et les Saxons, menées en parallèle avec l’évangélisation par saint Boniface, il scelle l’unification du monde franc, ce qui permettra à son fils Pépin le Bref de se proclamer roi des Francs en 751, et à son petit-fils Charlemagne de fonder le grand empire carolingien en 800.

Breizh-info.com : Avez vous d’autres livres à conseiller pour bien comprendre cette époque ?

Georges Minois : Comme nous l’avons dit, les sources concernant le personnage de Charles Martel sont très minces: à peine une dizaine de pages dans la Chronique dite de Frédégaire, dont une traduction française est parue en 2001, mais il existe de très bons ouvrages sur l’ensemble de l’histoire et de la civilisation du monde mérovingien, comme Les Mérovingiens de Jean Heuclin (2004), et Naissance de la France. Le monde mérovingien, de Patrick Geary (1989).

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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4 réponses à “Georges Minois : « L’élément religieux est absent des motivations de Charles Martel » [Interview]”

  1. Richard dit :

    Autrement dit nos différentes Nation européennes, après la chute de Rome, sont le résultat de petites guerres locales, menées au cours des siècles, par de petites familles initiales qui se sont transformées en petits rois locaux, jusqu’à devenir de grands Empereurs, puis nos diverse Nations, avec chacune sa langue d’origine locale.

  2. Elsa dit :

    Une part de l histoire de France essentielle, occultée par les gauchistes et mondialistes. Un peuple, pour exister, doit cependant savoir d où il vient et où il va.. sinon il devient mur pour son extinction.

    • Théofrède dit :

      Georges Minois ne parle pas du duc Eudes d’Aquitaine, encore plus mal connu que Charles Martel, et qui joua un role majeur à Poitiers
      il avait écrasé les Arabes onze ans plus tôt sous les murs de Toulouse et, n’ayant plus les moyens de leur résister quand ils attaquèrent de nouveau, il appela Charles Martel à la rescousse; Arabes et Francs s’affrontèrent sans résultat pendant huit jours, et c’est l’arrivée des Aquitains prenant les Arabes à revers qui décida du sort de la bataille
      Charles, champion de la « com’ réussit à s’attribuer tout le mérite de la victoire
      ses descendants s’acharnèrent sur ceux d’Eudes qu’ils firent tout pour exterminer, et si on ne sait pas d’où celui-ci sortait, à une époque où il n’y avait pas de parvenu, c’est sans doute qu’il y eut parallélement un grand nettoyage des archives

    • théofrède dit :

      pourquoi Georges Minois ne parle-t-il pas du duc Eudes d’Aquitaine, l’autre figure marquante de la bataille de Poitiers, encore bien moins connu que Charles Martel ?
      Eudes, onze ans auparavant, avait détruit l’armée musulmane sous les murs de Toulouse; quand les Musulmans renouvelèrent leur attaque, en passant cette fois par l’ouest, n’ayant plus les forces suffisantes pour les repousser, il demanda l’aide de Charles Martel
      celui-ci passa la Loire et rencontra les Musulmans vers Poitiers; pendant huit jours, les deux armées se firent face sans résultat, jusqu’à ce qu’Eudes arrive et prenne les Musulmans à revers, ce qui provoqua leur fuite
      Charles montra alors qu’il était un maître de la « comm » et s’appropria la victoire
      les Carolingien, surfant sur cette victoire qui leur ouvrit le chemin vers le trône, exterminèrent la descendance d’Eudes, et peut-être aussi le reste de sa famille, et firent manifestement l’épuration des archives
      en effet, à une époque où il n’y avait pas de parvenus, on ignore d’où venait Eudes
      on peut simplement constater qu’il portait un nom franc, ce qui est normal : l’Aquitaine formait à peu prés le quart du royaume franc, et on n’allait pas la confier à un étranger

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