Bernard Rio que l’on connaît pour sa connaissance et sa pratique des chemins millénaires qui parcourent l’Europe se risque ici, confinement oblige, à une fiction qui relève de l’« heroic fantasy ». Un genre qui, en France, reste marginal alors qu’il est très apprécié dans les pays de langue anglaise (R.E. Howard, Tolkien, L. Alexander…) Il faut dire que pratiquée par des auteurs malhabiles, l’« heroic fantasy » (que nous traduisons par merveilleux héroïque) est trop souvent bavarde, filandreuse et même absconse.
Et pourtant ses mérites sont incontestables. Elle se nourrit des mythes fondateurs de l’Europe pour mieux projeter dans le futur des cultures multiséculaires. Elle nous fait circuler dans des espaces temps qui rendent improbables, aléatoires des destinées humaines et surhumaines.
Avec Un dieu sauvage, Rio reprend à son compte la dichotomie classique des dominants ou « gens d’En-Haut » et des dominés ou gens « d’En-Bas ». La transcription du modèle économique et social qui régit les hommes aujourd’hui. Toutes les règles, les contraintes qui régulent les modèles capitalistes, pour la jouissance des uns et la soumission du plus grand nombre.
Ici, l’ordre des médecins-prêcheurs (tiens donc !) croit profiter de ses pouvoirs « ad aeternam ». Sa mise au pas des dominés est impitoyable, tout un ordre carcéral qui confine de jour et de nuit pour mieux produire (Et allons donc…)
Mais aux âmes bien nées la transgression ne fait pas peur. Quatre femmes, Senta la tisseuse, Beara l’aubergiste, Andarta la bibliothécaire et Mata le médecin vont repousser les interdits pour mener une quête salvatrice, spirituelle, existentielle. Car Rio ne veut pas se limiter à un schéma de lutte des classes dont il sait la conclusion inévitable : les dominés prennent le pouvoir et instaurent une tyrannie pire que l’ancienne.
Pour renverser l’ordre des Prêcheurs qui « n’est qu’un désordre organisé », les quatre femmes recherchent une « délivrance » qui « suit les voies du sacré, qui ne cherche pas à nier ou à tuer Dieu mais à intégrer et à manifester une part d’éternité. »
Rio ne s’en cache pas, le confinement du printemps 2020 l’a inspiré. Il n’a cessé de le transposer dans son récit. Pour ce marcheur invétéré, le voyage immobile s’est imposé. Hors de toutes les destinations du monde d’avant, « tout compris », il s’est découvert face au vivant, végétal, animal ; une nature qui n’est plus un décor mais qui charge l’âme, lui permet d’entrer en symbiose avec l’essentiel.
Son invite est catégorique, renouons avec le « dieu sauvage » qui fait de nous des sujets et non des objets. Puisse l’actuelle pandémie mettre à mal l’ordre des Prêcheurs !
Jean Heurtin
* Bernard RIO, Un dieu sauvage, Coop Breizh, 205 p. , 18 euros.
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