Le 8 novembre à 13h02, Jérémie Beyou s’élancera pour son quatrième Vendée Globe consécutif, le premier à bord de l’IMOCA Charal. Un véritable concentré de technologies qui nécessite chez le skipper des compétences de plus en plus pointues dans des domaines très variés. Le tour du monde en solitaire est-il pour autant un exercice très différent par rapport aux premières éditions ? Eléments de réponse avec Jérémie Beyou et Pierre-François Dargnies, directeur technique du Charal Sailing Team.
Depuis le premier Vendée Globe en 1989, la course autour du monde en solitaire sans escale ni assistance a connu un nombre impressionnant d’évolutions technologiques dans le domaine de la météo et de la stratégie : positionnement par satellite (GPS), fichiers de plus en plus pointus, logiciels de routage, pilotes automatiques customisés, antennes satellites permettant une communication haut débit, les skippers disposent aujourd’hui d’outils extrêmement perfectionnés pour faire le tour du monde.
Et même d’une édition à l’autre, les sauts technologiques peuvent être impressionnants, comme le souligne Pierre-François Dargnies :
« Si l’on compare avec le précédent Vendée Globe, les évolutions se concentrent dans trois domaines principaux : l’instrumentation, qui n’existait quasiment pas il y a quatre ans, et qui, grâce à de nombreux capteurs, te donne en temps réel les charges qui pèsent, par exemple, sur les foils, les safrans ou la totalité des câbles ; les pilotes automatiques, qui permettent de barrer le bateau en fonction de plusieurs paramètres souhaités par le skipper, via ce qu’on appelle un système de surcouches, conçues spécialement par l’équipe ; la communication, avec de nouvelles antennes plus fiables et surtout permettant un meilleur débit. »
Les marins doivent-ils devenir de vrais « geeks » pour maîtriser ces outils ? « On n’est pas obligé d’être ingénieur pour faire avancer vite un IMOCA, mais c’est un plus d’avoir un bagage technique ou alors il faut de l’expérience, comme Jérémie, répond Pierre-François Dargnies. A force de naviguer, il est capable de détecter quand il dépasse les limites du bateau et donc quand il doit lever le pied, avant même que les alarmes ne sonnent. » Le skipper de Charal ajoute de son côté : « C’est évident qu’en termes d’informatique et d’électronique, notre métier a changé par rapport aux premiers Vendée Globe. On passe aussi moins de temps à faire du composite sur le bateau ou à réparer des pièces d’accastillage, parce que le matériel est plus fiable et le degré de préparation des équipes plus élevé. »
Faut-il en déduire que les marins ne sont devenus que de simples pilotes asservis à la technologie ? « Non. Dans le fond, ça reste du solitaire, un exercice à part entière, répond Jérémie Beyou. Même si tu as plus d’outils de décision et des informations météo plus précises, à un moment, c’est à toi de trancher sur ta stratégie, de sentir si ton bateau est capable d’encaisser la route suggérée par le routage, et si, toi-même, tu peux en donner un peu plus ou, au contraire, si tu es fatigué. Toutes ces notions restent au centre du jeu et ne changeront jamais. »
Et elles reviennent parfois au premier plan quand la technologie vient à défaillir, ce qui avait été le cas lors du Vendée Globe 2016 pour Jérémie, privé avant d’entrer dans le Grand Sud de ses antennes satellites, lui permettant de recevoir les fichiers météo. Ce qui l’avait contraint à naviguer à l’ancienne et à faire appel à quelques souvenirs : « Je suis de la génération GPS et fichiers Grib (fichiers météo que l’on récupère via une connexion Internet), mais quand j’ai préparé mon premier Vendée Globe en 2008 avec Pierre Lasnier, il avait tenu à m’apprendre à faire le tour du monde sans fichier grib au cas où j’en aurais été privé. Donc à prévoir la météo en fonction du baromètre, de la température de l’eau, de la forme des nuages… Et au final, j’ai eu à me servir de tout ça sur ce Vendée Globe. Au début, je me demandais comment j’allais faire et au fur et à mesure, c’est presque devenu un jeu. »
Le Finistérien, qui monta sur la troisième marche du podium, a alors sans doute partagé avec les pionniers des premiers Vendée Globe une dimension plus « aventure » qui, estime-t-il, existera toujours, même à bord de machines ultra perfectionnées capables de tourner autour de la planète en moins de 70 jours (contre 109 pour Titouan Lamazou, vainqueur en 1989-90) : « Aujourd’hui, tout le monde parle de formes de foils, des performances des bateaux, mais à deux semaines du départ du Vendée Globe, tu commences à réaliser que c’est quand même une aventure de folie, que tu vas te retrouver en haut de la falaise et qu’il va falloir sauter. Et là, ce n’est que du mental. » Mais aussi du physique, car les nouveaux bateaux, construits autour des foils, donc pour voler dans de nombreuses conditions, sont devenus beaucoup plus exigeants que ne l’étaient leurs prédécesseurs, nécessitant une préparation sportive de très haut niveau…
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