Retiré en Bretagne, le cardinal Barbarin livre sa version de l’affaire Preynat (extraits)

Démissionnaire de l’évêché de Lyon, l’ancien primat des Gaules remplit maintenant pour le diocèse de Rennes des missions moins exposées : professeur d’histoire de l’Église au Séminaire Saint-Yves et aumônier des Petites Sœurs des Pauvres de Saint-Pern. Après avoir été condamné pour non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineurs en 2019, il a été innocenté en appel en 2020. Dans un livre qui vient de paraitre, il brave l’opinion publique et affirme sa vérité contre les médias. Et si la faute de l’abbé Barbarin n’était pas celle qu’on croit ?

Les citations qui suivent viennent du livre « En mon âme et conscience »(Plon).

Le contexte idéologique de l’affaire Preynat 

« Durant le temps de ma formation au séminaire (…), rien de précis sur la pédophilie (…) ». Le supérieur « avait décrit avec des mots simples certaines situations concrètes de dérives ». Le livre rappelle aussi les années de formation du séminariste Preynat, qui appartient à la même génération que Philippe Barbarin : s’étant confié sur ses pulsions à ses supérieurs (dont l’un sera mis en cause pour pédophilie), Preynat est envoyé chez un psychiatre, qui le déclare bon pour le service.

« Il faut rappeler que dans les années 70-80-90, beaucoup de personnalités en vue minimisaient et justifiaient ces pratiques (…) A cette époque-là, dès qu’on s’offusquait, on entendait souffler un vent contraire : ‘ Arrêtez de nous bassiner avec votre morale judéo-chrétienne ! ’ »

Changement d’époque à partir des années 90 : « Nous avons pris conscience de l’horreur de ces actes et de leurs conséquences dramatiques pour les victimes ».

A partir des années 2000, les évêques français commencent à discuter plus franchement entre eux du problème de la pédophilie. « Tout cela me sera utile lorsqu’un cas (il ne s’agit pas de Preynat) se présentera dans mon diocèse en 2007, au moment où me parviendra pour la première fois un témoignage. J’ai alerté aussitôt le préfet et le procureur. »

Dans son livre, le cardinal Barbarin évoque avec amertume le deux poids deux mesures du système médiatique, qui jusque dans les années 80 ne dénonçait pas les atteintes sexuelles sur mineurs, mais en faisait la promotion rigolarde. Barbarin donne l’exemple de Matzneff et de l’émission littéraire Apostrophe. Daniel Cohn-Bendit y était aussi venu évoquer son expérience dans les crèches autogérées de Francfort. L’ancien leader de 68 regrette aujourd’hui ce qu’il qualifie de provocations sans bases réelles.

Une affaire longtemps traitée en interne par les évêques de Lyon

1991 : Mgr Decourtray, évêque de Lyon, déplace Bernard Preynat, un curé apprécié et dynamique : il est écarté de sa paroisse bourgeoise de Sainte-Foy-lès-Lyon pour une paroisse rurale du diocèse. « Tout le quartier savait, en avait parlé à la sortie de la messe, chez le boulanger, chez le boucher, dans les rues… Mais personne, ni une victime, ni un parent n’avait déposé plainte pour ces faits ».

Avant sa nouvelle affectation, Decourtray reçoit Preynat : « Bon maintenant, on tourne la page. Est-ce que je peux vous faire confiance ? »

Le cardinal Billé, successeur de Decourtray, déclare à ses collaborateurs : « Moins vous en saurez, mieux cela vaudra ».

2002-2016 : comment Philippe Barbarin a géré le sulfureux Preynat

« On avait entendu dire… Des informations circulaient au sujet de Bernard Preynat ; il s’agissait de rumeurs troubles. À partir de mon arrivée dans le diocèse de Lyon en 2002, progressivement, untel me disait… j’apprenais dans une conversation… une personne affirmait qu’elle avait ‘dit’, mais quoi exactement ? » 

« Un jour de novembre, peut-être en 2007, (la journaliste Isabelle de Gaulmyn, au cours d’un entretien off dans le cadre de l’assemblée des évêques à Lourdes) me glisse le nom de Bernard Preynat, parce qu’elle habitait le quartier et fréquentait sa paroisse (…) elle déclara (plus tard) qu’elle n’avait pas détaillé les faits car elle les connaissait peu. Rien de précis n’a été dit ». Journaliste à La Croix, Isabelle de Gaulmyn, ancienne membre des scouts Preynat, place la discussion vers 2004-2005. Dans ce dossier juridiquement complexe, le détail des dates est important.

2010 : « Je prends connaissance du dossier » de Preynat, étrangement vide : sur l’affaire de 1991 à Sainte-Foy-lès-Lyon, seulement 2 lettres venant de parents : l’une parlant « d’exaction » commise par Preynat, l’autre de « calomnie » contre Preynat.

Cette dernière lettre vient du parent d’un garçon qui se révèlera être une victime de Preynat. La mère expliquera plus tard à Mgr Barbarin la raison de cet aveuglement : « la stratégie de Preynat consistait d’abord à nouer des amitiés fortes avec les familles de ses victimes, en entrant dans leur intimité, pour pouvoir, ensuite, manipuler les enfants ».

 Mars 2010 : « J’ai fait venir Bernard Preynat car le temps était venu de le changer de paroisse (…) Je me souviens bien de ma première question : ‘Mais comment de telles choses sont-elles possibles ?’ Et il m’a répondu : ‘ce n’est pas la peine de vous expliquer. Vous ne comprendriez pas ‘ (…) J’aurais dû insister pour qu’il me réponde (…) J’ai donc aussitôt interrogé pour savoir si depuis 1991 il y avait eu le moindre enfant abîmé. Et il m’a répondu clairement : ‘non, jamais. J’ai été ébouillanté par ce qu’il m’est arrivé’. Ai-je eu peur de ce que j’aurais pu découvrir ? Avec le recul, je m’en veux de ne pas l’avoir interrogé davantage. J’ai manqué de courage ». L’enquête policière confirmera les paroles de Preynat : les agressions qui avaient pour cadre les camps et les week end scouts, ont eu lieu de 1971 à 1991 et n’ont pas été réitérées après.

Philippe Barbarin confie une nouvelle mission paroissiale à Bernard Preynat et lui donne même en 2011 de l’avancement (il encadre comme doyen 18 autres curés).

2014 : Le cardinal reçoit d’un père de famille une longue lettre de remerciement pour la confirmation de son fils. En post-scriptum, le motif central de la lettre, comme une bouteille à la mer : « au fait, je suis une victime du père Preynat. » Philippe Barbarin le contacte aussitôt : « ce père de famille s’en veut de ne pas avoir porté plainte avant 38 ans, âge limite » de prescription (20 après la majorité). « Nous ne pensons ni lui, ni moi à saisir la justice en raison de son âge (…) La justice me le reprochera plus tard, en déclarant qu’il ne m’appartenait pas de juger de la prescription (…) il n’y a pas d’obligation légale à dénoncer des faits prescrits. Et cela sera confirmé par la justice en 2020 ».

 L’affaire Preynat devient l’affaire Barbarin

2016 : l’affaire éclate in extremis, grâce aux toutes dernières victimes de Preynat, les agressions les plus nombreuses étant couvertes par la prescription. A son tour, le cardinal Barbarin est accusé de « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ».

« La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits, mais certains peut-être pas ». Cette déclaration du cardinal Barbarin lors d’une conférence de presse a été commentée comme révélant le cynisme d’un grand prélat. François Ozon en a tiré le titre de son film sur l’affaire.

Dans son livre, Philippe Barbarin donne une autre explication : « Au lieu de déclarer : c’étaient des faits très anciens, je dis que grâce à Dieu les faits étaient prescrits. Grâce à Dieu, c’est une expression qui vient habituellement sur mes lèvres, presque de manière automatique (…) Qui n’a jamais eu une expression malheureuse ? » Plus simplement, il peut s’agir d’un ouf de soulagement, totalement compréhensible, de la part de quelqu’un qui se sent mis hors de cause après avoir eu confirmation que Preynat n’a pas récidivé après 1991.

Plusieurs passages épars montrent le désarroi du prélat face au traitement sévère qui est réservé à la hiérarchie catholique : « Dans quelle autre institution cela a eu lieu ? » (être mis en cause pour les fautes de ses prédécesseurs).

« Pour d’épouvantables actes de pédophilie, commis par un prêtre entre douze et vingt-cinq ans avant mon arrivée à Lyon en 2002, je suis devenu la cible d’attaques violentes (…) On m’accusait d’avoir ‘couvert’ un prêtre pédophile (…) Vous devenez tout d’un coup un personnage épouvantable, monstrueux, n’éprouvant aucun respect pour la souffrance des victimes. A partir de ce moment, plus aucune de mes paroles ne devient ‘audible’, le déchaînement médiatique ne va que s’amplifier. Je suis la bête noire. L’affaire Preynat devient l’affaire Barbarin (…). On me traque jusque dans la cathédrale. J’ai la sensation d’être devenu la proie de fauves tapis en embuscade, tout autour de moi, prêts à me dévorer. Aucun média n’a affirmé directement que j’étais un pédophile, mais l’association avec mon nom est devenue si étroite, forte et généralisée que cela s’est infiltré, mois après mois, dans la tête de tout le monde (…) Dans les aéroports, dans les gares, des gens que je n’avais jamais vus me disaient : ‘J’espère que la justice vous condamnera sévèrement !’ Je comprends très bien leur colère. Ce problème de la pédophilie a été identifié, avec un nom qui était Barbarin. » 

« Aujourd’hui, à écouter le discours ambiant, on croirait que seuls les prêtres sont pédophiles ! (…) Il s’agit, hélas, d’une horreur fréquente dans les écoles, les classes de musique, le sport, le cinéma (…) et même le monde médical et les hôpitaux, et surtout dans les familles (…) Mais chez un prêtre, l’abus nous scandalise davantage ».

Le cardinal se montre pessimiste sur l’avenir de l’Eglise de France, avec une référence énigmatique au Maghreb : « Quand nous pensons à ce qu’il s’est passé en Afrique du Nord entre le 2ème siècle et le 7ème siècle, à l’heure d’une chrétienté florissante, nous comprenons qu’il est difficile de raisonner sur l’avenir. » Que s’est-il passé au 7ème siècle dans la patrie de Saint Augustin ? Le cardinal réserve le détail ses explications aux séminaristes de Rennes…

La fraternité, une vertu chrétienne devenue folle

Le livre éclaire enfin sur la psychologie bisounours des prélats qui gouvernent l’Église catholique.

Preynat « demeure un frère …Même lorsque le scandale est énorme et les faits particulièrement révoltants, le coupable reste un de nos semblables … Nous veillons sur lui … Un prêtre a accepté de garder le contact avec lui, de le rencontrer régulièrement pour faire le point sur sa santé, sa vie quotidienne, pour l’écouter ».

Ce sentiment de fraternité sans réserve semble à l’origine de la faute incontestable que l’on peut reprocher au cardinal Barbarin. Après un rapide entretien, il a remis Preynat dans le circuit, prenant le risque de le voir récidiver, trahissant ainsi sa charge d’évêque qui est d’abord de protéger son troupeau.

Le Christ savait pourtant se montrer dur. Le cardinal cite lui-même le passage des Évangiles concernant les pédophiles (Matthieu, 18,6) : « Mais celui qui scandalisera un seul de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui pendît au cou une meule de moulin et qu’on le jetât au fond de la mer ! »

E.P.

Crédit photo : MEDEF/Wikimedia (cc)
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