Plus de deux ans après le début de son contrôle, la chambre régionale des comptes de Bretagne vient de publier son rapport d’observations définitives (ROD) sur la Chambre de commerce et d’industrie métropolitaine Bretagne Ouest (CCIMBO). La cible était de taille, il est vrai. La CCIMBO regroupe les anciennes CCI de Brest, Quimper et Morlaix. Filiales incluses, elle compte 900 salariés et gère une demi-douzaine de ports de pêche, de plaisance et de commerce, trois aéroports, des installations de réparation navale, des centres de formation professionnelle, etc.
Le ROD révèle qu’entre Cornouaille et Léon, tout ne baigne pas dans l’huile. La distinction entre les deux pays colle aux semelles de la CCIMBO. Le regroupement des trois CCI, début 2016, a été quasiment imposé par le pouvoir central et régional. Le choix de Brest comme siège commun a été mal vécu par Quimper et Morlaix. Les tiraillements internes se sont traduits par l’adoption d’un règlement intérieur boiteux. En grande partie rejeté par le préfet de région, il n’est pas encore finalisé à ce jour. (Circonstance atténuante : annoncée en décembre 2019, la « norme d’intervention » nationale qui aurait dû servir de modèle n’est toujours pas disponible.)
Anti-localisme destructeur
Le texte adopté résulte « des efforts des élus de trois CCI pour synthétiser une volonté politique assez forte pour revenir sur deux siècles d’histoire consulaire dans trois circonscriptions aussi singulières », écrit Frank Bellion, président de la CCIMBO, en réponse à la Chambre. Ne témoigne-t-il pas surtout de l’inanité de ces efforts à une époque où l’on redécouvre les intérêts du localisme ?
Au règlement intérieur, il a fallu ajouter une « charte » destinée à préserver les intérêts de Quimper et Morlaix. Ce qui fait tiquer la chambre régionale des comptes. « La charte accorde aux nouvelles délégations de Brest, Quimper et Morlaix un rôle exorbitant qui n’est pas conforme aux règles applicables », gronde-t-elle. Évidemment, à quoi bon centraliser par la porte si c’est pour relocaliser par la fenêtre ?
L’organigramme de la CCIMBO a été presque aussi difficile à accoucher que son règlement intérieur. Et les entreprises, qui sont le public et la raison d’être d’une CCI, sont en train de se désintéresser de la question. « Force est de constater une baisse continue de la fréquentation sur la période, qui peut traduire un moindre intérêt des élus », note la Chambre : sur les 85 membres de l’assemblée générale de la CCIMBO élus en 2016, il ne restait que 41 participants à l’assemblée du 27 novembre 2018.
Situation financière satisfaisante malgré tout
Les tiraillements entre Léon et Cornouaille ont des conséquences pratiques. La Chambre détaille le cas de l’élévateur à bateaux de Brest. Cette installation réclamée par les industriels brestois de la réparation navale fera concurrence à celle existant à Concarneau. La région Bretagne a fini par rendre un jugement de Salomon : d’accord, Brest aura son élévateur, mais il sera tout petit, 250 tonnes seulement, au lieu des 450 tonnes demandées par les industriels. « Pour autant le choix de la région n’est pas si tranché qu’il y paraît », note la Chambre avec un peu d’ironie semble-t-il. En effet, les travaux d’infrastructure (d’un coût de 8 millions d’euros) sont dimensionnés pour un élévateur de… 650 tonnes.
Fort heureusement, la situation financière de la CCIMBO est « satisfaisante ». C’est d’autant plus méritoire que ses recettes fiscales, qui lui sont versées par l’État, ont nettement baissé. Entre 2013 et 2018, elles ont chuté de 52,5 %, contre une moyenne de 43,4 % pour la France entière. S’ajoute à cela un prélèvement total de 18,3 millions d’euros réclamé par l’État dans la loi de finances pour 2015 pour « participer à l’effort de redressement des finances publiques » !
Des critiques envers l’État, l’Europe et la région
La chambre régionale des comptes se penche longuement sur les résultats du port de Brest. Son organisation est très complexe en raison du grand nombre d’acteurs impliqués, souligne-t-elle. Une nouvelle organisation s’impose. Elle dépend avant tout de la région Bretagne, propriétaire des ports bretons. Hélas, note pudiquement la Chambre, « si la volonté de la région d’unifier et de s’impliquer plus directement dans la gouvernance est manifeste, les contours du futur modèle ne sont en revanche pas encore totalement définis ».
La Chambre étudie aussi attentivement le fonctionnement du port de Roscoff, propriété de la région Bretagne, dont la CCIMBO est concessionnaire. Sa gestion est originale à plus d’un titre, en particulier parce que l’activité de passagers et de fret du port de commerce dépend d’un unique armateur, Brittany Ferries.
Brexit oblige, Roscoff cherche à accroître le trafic vers l’Irlande. Mais cela l’oblige à investir. Or il ne pourrait pas obtenir d’aides européennes car l’Union européenne privilégie les ports du Benelux, du Pas-de-Calais et du Havre. Ce que souligne Frank Bellion, président de la CCIMBO, dans sa réponse à la Chambre, sur un registre assez « bonnet rouge » : « Avec nos partenaires publics, nous avons le sentiment d’être seuls à soutenir les activités portuaires et l’économie maritime quand l’État nous a laissé longtemps isolés devant l’Union européenne et sa volonté d’écarter la Bretagne des routes maritimes qui lui sont essentielles ».
Un demi-million pour un projet foireux
La Chambre n’a pu étudier en détail toutes les activités de la CCIMBO. On aurait pourtant aimé en savoir plus sur les relations de celle-ci avec la fondation Zero Emissions Research and Initiatives (Zeri) et le projet « Blue Economy en Cornouaille », initié par un écolo-gourou belge.
Médiacités vientde publier une enquête fouillée d’Erwan Seznec sur le personnage et ses activités dans les Pays de la Loire. Le site d’investigation a interrogé la CCIMBO. Elle préfère se taire « par embarras » sur le projet finistérien abandonné en 2018, auquel elle aurait versé 500 000 euros. Dommage que la chambre régionale des comptes n’ait pas éclairé cette question.
Illustrations : photos BI, droits réservés
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