En avril dernier, le Covid 19 a emporté le neveu du fondateur de la Vème République, dans sa maison de retraite de Bry-sur-Marne. L’essentiel de la vie de François de Gaulle s’est passé au Burkina Faso, où il a contribué à la naissance de l’Eglise catholique burkinabè.
Un aventurier de la foi
Il est né en 1922 à Montceau-les-Mines, où son père Jacques de Gaulle, frère du futur président, est ingénieur dans les charbonnages. Son enfance est marquée par la catastrophe qui s’abat sur son père : celui-ci est atteint de paraplégie.
« J’ai eu la vocation très tôt, témoignera-t-il en 2012 dans Famille Chrétienne, mais je ne l’ai confié à ma mère qu’à 11 ans. Elle m’a dit : – Je vais en parler à ton père. Celui-ci, frappé par une maladie qui le paralysait, ne pouvait s’exprimer qu’avec une extrême difficulté. Après avoir bu un peu d’eau, il réussit néanmoins à articuler la phrase la plus importante de ma vie : – Je suis très fier de toi ».
Les jeunes catholiques de ce temps vibrent au récit des missionnaires qui vont évangéliser l’Afrique. L’ancien scout François choisit les Pères Blancs et entre à 18 ans à leur noviciat de Tunis, en septembre 1940, après la défaite française et l’appel à la Résistance du Général De Gaulle.
En juin 1942, il est « mobilisé » dans les Chantiers de jeunesse – une conscription camouflée mise en place par Vichy. Après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, il est versé dans le 67ème régiment d’Artillerie de l’Armée française d’Afrique et combat la Wehrmacht de l’Italie jusqu’à Berlin.
Le 29 juin 1950, il est ordonné prêtre à Carthage, sur les terres de Saint Augustin. Son premier poste est la modeste paroisse de Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso, alors colonie française sous le nom de Haute-Volta. « Il n’y avait presque aucun chrétien et pas d’Église. » Le nouveau curé va présenter ses respects au chef mossi, l’ethnie majoritaire. « De Gaulle ? Vous aussi faites partie d’une famille de chef », constate le prince tribal. Un rien moqueur, ce dernier lui offre un coq en cadeau de bienvenue.
Boire son Nescafé dans un pot de chambre…pour la cause du Christ
Il travaille ensuite plus au sud à Koudougou, comme curé et comme économe (responsable des finances du diocèse). Il apprend le mooré, la langue nationale mossie. L’évangélisation s’appuie sur un noyau de convertis, par exemple le chef du village de Kodolgho, mais plus encore sur des catéchistes, de simples laïcs mariés qui se consacrent bénévolement à l’Eglise, en plus de leur travail « soit comme agriculteurs, soit comme tailleurs, soit comme réparateurs de bicyclettes ou réparateurs de pneus ».
La paroisse est immense, couvrant des centaines de village. François de Gaulle la parcourt en moto sur des routes de terre, faisant étape la nuit dans une case attribuée par les villageois. « Le lendemain matin je célèbre une messe qui rassemble tous les chrétiens de la région. Ce n’est pas la grande foule, mais enfin ils sont là. Puis on s’occupe des catéchumènes… Ensuite, pendant toute la journée, on va visiter les gens case par case. C’est vraiment du porte-à-porte car, dans cette région, l’habitat est assez dispersé. Puis le lendemain, on repart pour le village suivant… C’est ainsi qu’on visitait tous les autres villages de la région ».
Conditions plutôt roots : « Après une nuit dans une case, ayant avec moi une boîte de Nescafé, je voulais prendre un café le matin. Mais je n’avais pas d’eau chaude et je demande à une brave femme des environs de me faire chauffer de l’eau, ce qu’elle fait très gentiment, et elle m’apporte, avec son beau sourire, l’eau chaude dans un pot de chambre ! Je n’avais ni bol, ni verre, ni quart, j’ai donc mélangé mon Nescafé dans le pot de chambre…
Mais boire dans un pot de chambre, même tout neuf, ce n’est pas facile ! Enfin en m’inclinant et en aspirant, j’ai réussi à boire mon café ! »
Encore massivement païenne en 1955, la Haute-Volta française était une terre sahélienne où l’Islam venu du nord faisaient ses premières reconnaissances, y rencontrant l’Evangile amené d’Europe depuis la côte.
« Nous avons assisté à la naissance d’une Église locale, ce qui n’arrive pas tous les siècles, explique en 2012 l’abbé De Gaulle. Les soixante-sept mille baptisés de 1950 sont devenus 1 million et demi aujourd’hui. Cinquante prêtres sont ordonnés cette année dans les quinze diocèses. » Parmi ces chrétiens, le plus célèbre enfant du Burkina, le capitaine Thomas Sankara, infatigable défenseur des pauvres quand il était à la tête du pays.
« Briques dans le ventre » : une figure majeure de l’Eglise burkinabè
L’autonomie (1958) puis l’indépendance (1960) de la colonie, voulue par l’oncle, signifie le départ du neveu, souffrant d’hépatite, mais aussi sans doute parce que son nom est trop lourd à porter dans un contexte de fierté retrouvée pour les Africains. « Je m’appelais de Gaulle avant que mon oncle ne soit célèbre ! », répliquait François à ceux qui lui parlait sans cesse du grand Charles. « J’ai reçu, à cause de lui, des coups de pied au corps et au cœur. »
C’est contre son gré qu’il retourne en 1960 à Paris où il occupe les fonctions de trésorier de la Province de France des Pères Blancs. A l’occasion, il va dire la messe à la chapelle de l’Elysée. En 1970, il concélèbre à Colombey-les-Deux-Eglises les obsèques du Grand Homme, avec lequel il avait des liens personnels très forts. Prenant la place de son père Jacques décédé 4 ans plus tôt, Charles de Gaulle l’avait encouragé dans sa vocation en 1950 : « C’est du meilleur de mon esprit et du plus profond de mon cœur que je t’adresse mes voeux pour le 29 juin. Il n’appartient qu’à toi-même de reconnaître si tu es « appelé ». Mais si tu t’en sens certain, je puis te dire, comme ton cher Papa te l’aurait dit, que tu dois répondre. »
En 1973, à 51 ans, l’abbé François obtient enfin de repartir au Burkina, sa deuxième patrie. En poste à Mukassa, puis de nouveau à Koudougou et Kokolgho, il finit par le Grand Séminaire de Ouagadougou, la capitale.
Etre curé dans l’Afrique nouvellement indépendante, c’est participer à la construction matérielle du pays, un peu comme dans l’Europe médiévale. La base, c’est l’agriculture : « Nous avons essayé d’améliorer les conditions de vie de la population. La population reste toujours fondamentalement paysanne et donc cultive pendant la période des pluies. Mais il pleut relativement peu dans ce pays, et pendant un temps relativement court ; les toutes premières pluies tombent en mai, l’hivernage ne se développe vraiment qu’à partir des mois de juin-juillet. En octobre tout est fini. On est donc essentiellement sous le régime de la monoculture du mil, avec un peu de maïs, un tout petit peu de riz, culture aussi du haricot. Mais les gens ne connaissaient pas la culture potagère, et n’avaient pas l’habitude de faire des jardins. Voilà donc une chose qu’on a voulu développer, cette culture des jardins qui peut se faire en période sèche. Pour cela, il a fallu construire des barrages. Le diocèse de Koudougou a mis sur pied toute une équipe pour la construction de barrages. Puis on a fait creuser des puits permettant de donner de l’eau pour la boisson, pour les animaux, mais aussi pour des jardins. Et là je voudrais spécialement remercier les organismes donateurs, le plus important ayant été le Secours Catholique français. »
« Comme les gens faisaient aussi beaucoup de travaux à la main, on a essayé de développer la culture attelée. L’ensemble des transports de marchandises se faisant à têtes d’homme, et quand je dis têtes d’homme, c’est beaucoup à têtes de femme ! On a beaucoup travaillé à l’amélioration du transport par des petites brouettes, genre brouettes chinoises, mais aussi par des charrettes, charrettes métalliques tirées par des ânes. La paroisse de Kokolgho dans les quinze dernières années en a commercialisées près de 700. Ce sont des chiffres importants. »
Ses talents de logisticien valent à l’abbé François le surnom de « Briques dans le ventre » : il est avec d’autres à l’origine de dizaines d’églises et de dispensaires médicaux. Préfigurant les méthodes de Sankara, ces constructions reposent la mobilisation de la population : « On a réussi dans la paroisse une mobilisation tout à fait extraordinaire pour la création de ces nouvelles églises. La totalité des matériaux, le sable, le gravier, les pierres étaient récoltés par des bénévoles, stockés et transportés par des bénévoles. Mais l’eau aussi. En Europe c’est facile, on ouvre un robinet et puis l’eau coule. Dans toutes ces régions, quand on veut construire, il faut de l’eau, beaucoup d’eau, et la totalité de l’eau va venir sur des bicyclettes, sur la tête des gens, ou avec des charrettes à âne, pour arriver tout au long de la construction à fournir l’eau nécessaire. Les maçons seront presque toujours des maçons de Koudougou, eux seront payés, ainsi que les spécialistes du fer, les portes les fenêtres et les charpentes. Mais on ne va que très rarement utiliser les grands moyens. »
Il a été récompensé de son action en se voyant décerner la décoration d’officier de l’Ordre national du Burkina Faso, qui complète celles qu’il a glanées sur les champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale.
En 2008, à 86 ans, il prend sa retraite en France, où il étonne par sa vivacité d’esprit et son énergie. Le Covid sera finalement venu le trouver dans son « Ephad » de Bry-sur-Marne. Il est inhumé à 98 ans, sans la présence de sa famille ni de ses confrères missionnaires. Quant à la presse et au gouvernement burkinabè, ils ne semblent pas avoir mis au courant…
Enora Pesked
Les citations viennent : – d’un article de Luc Ardant dans Famille Chrétienne du 17/7/2012 : https://www.famillechretienne.fr/foi-chretienne/temoignages/francois-de-gaulle-pretre-pour-l-afrique-4906
- d’un site consacré à l’action missionnaire de François de Gaulle : http://peresblancs.org/degaulle.htm
Illustrations : DR
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Une réponse à “Burkina Faso. Retour sur la disparition de l’abbé François de Gaulle, neveu du Général”
Excellent résumé & commentaire d’Enora Peskel.