Le quartier de Maurepas à Rennes, a changé ces dernières décennies. Ces dernières semaines, les violences s’y sont multipliées au grand jour (sans compter toutes celles qui n’ont pas « les honneurs » médiatiques).
Coups de couteaux square du Dr-Hippolyte-Dayot début septembre, immeuble criblé de balles le 17 juin, fusillade au gros chêne en mai, coups de couteaux le même mois, la liste de cesse de s’allonger sans que les autorités ne traitent le problème à la racine (les élus municipaux de la majorité préférant stigmatiser ceux qui dénoncent l’explosion de la violence et continuer d’arroser financièrement les quartiers via des « associations » qui ont pourtant échoué à mener à bien leurs missions depuis des années).
Nous avons reçu ce témoignage, de M. Rondeau, habitant historique du quartier, qui évoque les transformations du quartier et le pourrissement du « vivre ensemble » en son sein.
Le Quartier de Maurepas, nous y sommes arrivés, mes parents, mes deux sœurs (13 et 14 ans) et moi (15 ans), réfugiés en septembre 1962, après deux mois passés en Vendée, terre natale de mon père. Nous étions « dépatriés » d’Algérie française, département français d’Oranie, le 92, numéro repris en 1965 par les Hauts de Seine. Mon père avait échappé par miracle aux massacres du 5 juillet à Oran. Nous fumes logés par la préfecture (père fonctionnaire) dans une des cinq nouvelles tours, grandes pour l’époque (15 étages), à l’entrée de la ville par la Rue de Fougères. 1962. Avec notre appartement, nos meubles et la plupart de nos vêtements, tout nos souvenirs, photos, jouets, etc. étaient restés sur ma Terre natale. Avant de pouvoir acheter mieux : des matelas par terre, une table formica, cinq chaises et le même nombre de fourchettes, cuillères, couteaux, assiettes et verres, quelques casseroles et poêles. Curieusement, une télévision. Car, à l’époque, la vente en masse des télés explosait, la France s’en équipait. Les vendeurs la laissaient, sans que les gens la paient immédiatement, contre un engagement. Mes parents ont commencé à payer deux ou trois ans plus tard. Oui, ils avaient tout perdu.
Nous formions une bande de plusieurs adolescents mâles, fous furieux, car issus de la guerre, ivres de nos heurts contre forces de l’Ordre en Algérie, des attentats et des morts dans les rues. A Rennes, nous avons fait quelques conneries, souvent en parallèle d’engagements politiques nationaux (pour les militants métropolitains, nous avions l’aura des commandos OAS, souvent surfaite compte tenu de nos âges) et plusieurs d’entre nous engageaient une préparation militaire parachutiste (nos idoles en Algérie). Nous nous battions contre les blousons noirs, parce qu’ils nous agressaient par bandes entières, parce que nous étions Pieds-Noirs. Car le « racisme », nous avons connu. Nous rendions coup pour coup, bande par bande, quartier par quartier. Batailles à coups de nerfs de bœufs.
Mais on ne s’attaquait pas aux passants. On pouvait se balader dans Rennes dans tous les quartiers, y compris en centre ville, y compris la nuit. Nous ne dealions pas. Il n’y avait pas de meurtres d’innocents, ni de fusillades, ni de coups de couteaux. J’en ai pris un plus tard en défendant un cafetier de Maurepas, avec mon ami Christian, contre deux voyous, dont celui qui me perça sortait de prison.
Et nous, nous ne pleurions pas sur notre sort. La société non plus, pas plus que tous ces humanistes. Nous avons fait nos vies, et même souvent réussi. Et puis, construit nos familles. Et pourtant, nous n’avons pas eu toutes ces associations pour nous accueillir. DEFERRE, le maire de Marseille, disait même « qu’il fallait nous rejeter à la mer », nous dont les parents avaient constitué la seule Armée française de Libération de la France. Les dockers communistes de la CGT faisaient même plonger dans les ports les conteneurs qui transportaient les quelques biens de ceux qui avaient réussi à emporter quelque chose.
Mes parents sont restés vivre dans Maurepas, certes dans un immeuble plus petit de trois étages, plus convenable à maman qui ne supportait pas de vivre au 10eme dans la tour. Ils y sont décédés, il y a quelques dix ans, après l’âge de 90 ans, après avoir vécu paisiblement à Maurepas. C’était avant le « Vivre ensemble ». Mes sœurs vivent à Rennes. Mes neveux se sentent Bretons, mais aussi Pieds Noirs.
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