Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

CNews. Éric Zemmour (S2) : cette année encore, il bat des records d’audience et réinvente l’info

Soir après soir, la mine de Zemmour est plus réjouie. On parierait qu’il vient de lire les audiences de la veille, en hausse constante. Face à l’info est maintenant le programme le plus regardé de CNews, avec 400 à 500 000 téléspectateurs et approchant les 3 % de part d’audience. Le 24 septembre, il culmine ainsi à 543 000 téléspectateurs et 3.1 % de part d’audience.

Le 2 septembre, Éric Zemmour a même battu Cyril Hanouna : « le rôle des maires », « le sort de l’économie française » et « la visite de Macron en Irak », au menu de l’émission ce soir-là, ont plus séduit les spectateurs que le concours de « petits-suisses à gober » qui opposait Benjamin Castaldi à Géraldine Maillet dans Touche pas à mon poste.

Au-delà, c’est toute CNews qui est emportée par la locomotive Zemmour. Alors qu’en 2017, elle avait touché le fond avec une audience moyenne de 0.6 %, elle termine l’année 2019 à 0.9 % (audiences de décembre). En 2020, elle a d’ores-et-déjà dépassé les 1 %, atteignant 1.5 % en juin.

CNews est en train de bouleverser la hiérarchie des chaînes d’information continue. Possédée par le tycoon franco-israélien Patrick Drahi (12 milliards d’euros et 4 nationalités en poche), managée par un proche du couple Macron, BFM est toujours première, mais, trop gouvernementale, elle a perdu de sa superbe pendant le confinement. En juin, dans un contexte porteur pour les chaînes d’info, elle plafonne à 2.5 % de l’audience (contre 2.7 % en moyenne annuelle à son apogée de 2017). CNews, jusque-là troisième, prend la deuxième place (1.5 %), devant LCI (1.2 % en juin), laissant loin derrière les cancres de France Info (0.6 %).

Aux origines du succès actuel : la purge Bolloré de 2016

Au-delà du puissant effet du produit d’appel Zemmour, le succès de la chaîne trouve son origine indirecte dans la crise d’I-Télé. En 2016, l’ancêtre de CNews n’en donne plus pour son argent à son actionnaire principal, le quadri-milliardaire Vincent Bolloré. Déficitaire, elle reste loin derrière BFM et l’arrivée de LCI sur la TNT risque encore d’aggraver les choses.

L’embauche de Jean-Marc Morandini met le feu aux poudres. Il a un profil animateur de télé réalité et, dans le cadre d’un casting, se trouve alors visé par une plainte pour « corruption de mineurs ». Les journalistes en place voient dans cette arrivée le début d’une dérive vers le sensationnalisme, et de façon plus profonde un changement de ligne éditoriale. Car pour faire de l’audience, Morandini n’hésite pas à aller là où les autres journalistes ne vont pas, comme le montre son site Jean-Marc Morandini.com.

La rédaction d’I-Télé-CNews entame une grève de 31 jours, un record historique pour la télé française. Les grévistes sont confiants dans leur lutte car ils ont le soutien du président François Hollande. Et aussi de Xavier Niel, homme aux multiples réseaux qui n’a rien à refuser à un pouvoir politique qui attribue les fréquences de téléphonie mobile. L’entrepreneur libertarien aux 7 milliards d’euros laisse entendre qu’il est prêt à se dévouer pour défendre « l’indépendance » de la rédaction – en rachetant à bas prix la chaîne de Bolloré.

Mais le magnat breton est têtu. L’année précédente, il n’a pas hésité à mettre au pas la coûteuse et bohème Canal+, supprimant au passage les Guignols de l’Info, qui indisposaient Nicolas Sarkozy. Bolloré ne vendra pas à Niel, il ne cèdera pas à la rédaction. 100 journalistes sur 120 de CNews quittent alors le navire, la tête haute et… pleine de projets.

Parmi eux, la création avec les indemnités de licenciement du site internet Explicite, qui met l’expertise journalistique de 54 anciens d’I-Télé au service de Facebook, Twitter et YouTube, pour y lutter contre les « fausses informations » et « la montée de l’extrême-droite » en toute « indépendance » (Le Monde du 16/1/2017). Mais après quelques mois d’existence fantomatique, Explicite met la clé sous la porte en janvier 2019, les financements de la « désintox » étant accaparés par Le Monde, Libération et l’AFP.

CNews, de nouveaux talents de droite et une info différente

Le départ des journalistes anti-Bolloré a représenté un appel d’air énorme. Et donné leur chance à des acteurs d’un type nouveau : des journalistes télé clairement à droite(1). C’est avec ce sang neuf que s’invente chaque soir dans Face à l’Info un nouveau modèle journalistique.

Eric de Riedmatten, Dimitri Pavlenko (pour l’économie) ou Harold Hyman (pour la géopolitique, du moins en première saison)… autant de bons professionnels qui officient aujourd’hui en pleine lumière auprès de Zemmour, mais qui semblent avoir longtemps végété dans l’ombre de rédactions hostiles. Il leur en reste un côté bûcheurs discrets, qui n’avancent rien sans l’avoir potassé, et qui ont même la modestie de confesser leur ignorance, s’ils s’en rendent compte.

Le plus déconcertant est Marc Menant : avec sa tête de naturopathe, il représente la gauche de sensibilité écolo, mais d’une gauche érudite et qui admettrait l’existence de points de vue opposés aux siens. Son rôle est d’évoquer le passé sans esprit de repentance, comme « une fête pour l’intelligence », amenant à la table de Face à l’Info des invités inactuels comme Marco Polo, Charles V, Napoléon Ier, Louise Michel ou Adolphe Thiers.

Enfin, Christine Kelly(3) réinvente le métier de présentatrice, ne coupant pas les intervenants à tout bout de champ, les relançant d’un ton pince sans rire, tout en veillant quand même à ce que la liberté de ton ne fasse pas sursauter ses anciens collègues du CSA – qui semblent s’être endormis sur leurs écrans de surveillance.

Le Canard enchaîné décrit un monde à l’envers où les journalistes de gauche rasent les murs

Cette absence de réaction du CSA depuis un an laisse songeur. Car les anciens d’I-Télé avaient raison : depuis la crise de 2016, Bolloré a changé peu à peu la ligne éditoriale. Les derniers journalistes de gauche de CNews vivent aujourd’hui ce qu’ils font subir ailleurs aux autres depuis des années(2).

« Le service police-justice de la rédaction a pour consigne d’être réactif sur les faits divers antiflics, les incivilités anti-Blancs. Il chasse ces infos sur Twitter, Facebook. En juillet un mec avait préparé un off pro-migrants pour la matinale, il a été convoqué le lendemain… », témoigne dans Le Canard enchaîné du 25 septembre un employé de CNews.

Toujours selon Christophe Nobili, l’auteur de l’enquête du Canard, les « ultra-réacs de la maison » tiendraient le haut du pavé, avec l’assentiment du directeur de la chaîne Serge Nedjar qui intimiderait ceux qui ne sont pas dans la ligne. C’est ainsi que Gérard Leclerc souffrirait pour ses idées, pour la première fois de sa carrière. Pascal Praud, présenté comme le promoteur de cet « entre-soi des droites », l’aurait rétrogradé dans L’Heure des Pros : le demi-frère de Julien Clerc ne passerait à l’antenne que trois jours par semaine, contre cinq auparavant !

La naissance d’une chaîne vraiment de droite sous un président de centre-gauche a de quoi interroger. En quoi cela peut-il être utile à ce dernier ?

Zemmour contre Marine et Macron en embuscade ?

Éric Zemmour et beaucoup de ceux qui ont été recrutés sur CNews viennent de la droite classique, et pour quelques-uns, de la droite catholique illibérale. Mais au lieu de renforcer la concurrence de Macron à sa droite, cette tonalité politique pourrait créer des difficultés au parti de gouvernement qui l’incarne, Les Républicains. Zemmour est influent chez nombre d’électeurs de LR, mais pas chez ses dirigeants qui sont indexés sur l’agenda mondialiste du grand patronat.

Zemmour est également un caillou dans la chaussure de Marine Le Pen. Il a expliqué très clairement ses désaccords avec la dirigeante du Rassemblement national, dans l’émission du 16 septembre dernier. Il lui préfère sa nièce Marion Maréchal Le Pen, qui prône l’alliance des droites, en s’appuyant sur un électorat LR décrit comme « réactionnaire, anti-immigrés, anti-assistanat, antiféministe, anti-LGBT » – dans la bouche de Zemmour, ce sont des compliments.

Dans la même émission, l’éditorialiste accrédite aussi l’idée de l’incapacité de Marine Le Pen à l’emporter. Elle chercherait seulement « à élargir sa base », mais sans passer d’alliance avec les partis. Zemmour concède que la force de la présidente du RN est la loyauté de son électorat populaire, « qui n’aime pas qu’on lui tape dessus ». Il dépeint l’ancienne avocate comme « une femme de gauche », attachée à la justice plus qu’à l’identité, favorable à la retraite à 60 ans et au modèle social français. Dimitri Pavlenko rappelle que, lors de son discours de Fréjus, « elle s’est même adressée aux immigrés, avec la proposition que le dernier arrivé en France ferme la porte derrière lui ».

Emmanuel Macron semble vouloir jouer de ces dissensions comme d’un piano, mais c’est peut-être avec le feu qu’il joue. Car si Versailles finissait par s’entendre avec les descendants des communards, et s’ils étaient rejoints par les « Français de branche » tout aussi inquiets de la santé de l’Arbre France, alors le pianiste de l’Élysée pourrait s’en mordre les doigts…

A.T.

  1. À ces journalistes de Face à l’Info, s’ajoutent d’autres intervenants sur d’autres émissions et qui reflètent la même ligne : Charlotte d’Ornellas, Gabrielle Cluzel, Eugénie Bastié…
  2. On pense parmi d’autres à Fabrice Le Quintrec, mis au placard à Radio France en 1998 pour avoir cité le journal Présent dans une revue de presse pluraliste. Ses « confrères » ne l’ont alors pas défendu contre la direction, bien au contraire.
  3. Comme Zemmour, cette enfant de la Guadeloupe commence à être victime de menaces personnelles et s’est récemment retrouvée au centre des fantasmes raciaux tordus de la gauche décoloniale : Daniel Schneidermann, chroniqueur à Libération (même bailleur de fonds que BFM), l’a par exemple dépeinte en « servante » du « Maître » Zemmour. https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/zemmour-et-sa-servante

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Une réponse à “CNews. Éric Zemmour (S2) : cette année encore, il bat des records d’audience et réinvente l’info”

  1. Santoni dit :

    De très loin la meilleure chaine d’info en continu. Avec les émissions de C. Kelly et Pascal Praud

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Politique

Baromètre politique : les Français inquiets pour leur pouvoir d’achat et la sécurité, la popularité de Macron s’effrite

Découvrir l'article

A La Une, Politique

Discours de politique générale de Michel Barnier : Que retenir ?

Découvrir l'article

Economie

McKinsey, une firme au coeur du pouvoir. Revoir le Cash investigation dédié

Découvrir l'article

CARHAIX, Insolite

Carhaix. Quand un appel à « Eliminer Macron et Barnier » devient un « tag à caractère politique » pour un hebdomadaire local

Découvrir l'article

Politique

Michel Barnier devient le plus vieux Premier ministre de l’histoire de la Vème République

Découvrir l'article

Politique, Vu ailleurs

L’extrême centre ? Un danger totalitaire. Par Jean-Yves Le Gallou

Découvrir l'article

E brezhoneg, Politique

Politikerezh : hag e vo votet en-dro a-benn bloaz ?

Découvrir l'article

Histoire, Insolite

Plutôt Napoléon que Macron : le sondage insolite sur les Français et le retour de l’Empereur

Découvrir l'article

Sociétal

Répression médiatique. CNews sanctionné par l’Arcom de 80 000 euros d’amendes pour avoir laissé dire à un intervenant que « l’immigration tue »

Découvrir l'article

Sociétal

Le front ripoublicain ? – Le Nouvel I-Média

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky