Irancy a deux gloires : son délicieux vin rouge et son grand architecte, là bas presque oublié, mais qui, à Paris, a sa noble rue, la rue Soufflot. Les cortèges s’y succèdent selon les régimes (on en est au VIIIe de la Cinquième…) et selon les caprices. En ce moment, des invertébrés militent pour un ticket d’entrée alors que Sainte Geneviève n’en souhaite pas tant. Désolant…Tout ça pour dire que le Panthéon des grands hommes attend toujours l’entrée au Reposoir national de Maurice Genevoix… Le petit roi l’a promise pour novembre de cette année.
Il n’est pas inutile de reparler de cet écrivain qui fut, de 1958 à 1973, Secrétaire perpétuel de l’Académie française. Le poste est occupé, aujourd’hui, par Mme Carrère d’Encausse, qui a une œuvre historique importante sur la Russie. Elle s’est rendue célèbre par la prophétie de la disparition de l’URSS, à la fin des années 1970… mais il y avait erreur sur l’origine car personne n’est parfait ! Comme le dit Wikipédia, si l’URSS sombra, ce ne fut pas « à cause de la forte natalité des républiques musulmanes d’Asie centrale (…) l’URSS explosa certes, mais le mouvement sécessionniste partit des Pays baltes, la partie la plus européanisée de l’Union soviétique, alors que les républiques musulmanes restèrent globalement calmes jusqu’à leur accession à l’indépendance. » La nouvelle n’est pas encore parvenue au Kazakstan ni à la Russie blanche (« Bela-rus », ça veut dire « blanc-russe» en slave).
Donc, Maurice Genevoix fut qualifié jadis « d’écrivain pour les mulots », par un « subtil écocompatible » qui lui préférait Jean-Edern ou son pote Sollers… Des lumières ! Un de ces jours, ces deux-là entreront au Panthéon, si le temps le permet.
Ceux de Quatorze
Maurice Genevoix a combattu en Quatorze et fut gravement blessé en Quinze : il était sous-lieutenant au 106e d’infanterie, 7e compagnie… et tenait son front aux Eparges, un patelin dominant la Woëvre, devant Metz et Gravelotte. Tout est raconté de première main par le sous-lieutenant Genevoix dans une série qui commence par « Ceux de Quatorze », un maître-livre. Jusqu’à mon dernier souffle, cet ouvrage m’inspirera un très profond respect… Dans un autre genre, et pour une époque différente, c’est le même ressenti quand on lit Vassili Grossman et son « Vie et Destin ». Comment ont-ils fait ces malheureux pour échapper à la mort qui leur arrivait directe sur les cratères et les entonnoirs où ils gîtaient ? La chance ?
Une fois sorti des abattoirs, Genevoix avait perdu son âme et son bras gauche. Le goût de vivre lui revint avec l’écriture telle que lui conseillait son guide, le secrétaire général de la rue d’Ulm, Paul Dupuy, avec lequel il était lié. Il se réfugia à Châteauneuf-sur-Loire, son pays natal. Il était aussi orphelin, sa mère était morte en 1903 alors qu’il était encore lycéen, à Orléans. Sa tante par alliance lui ouvrit son coeur et l’encouragea dans son nouveau métier. Il avait d’abord été khâgneux au lycée Lakanal de Sceaux pendant deux ans, de 1908 à 1911. Il avait été admis à l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm dans la foulée avant d’effectuer un service militaire d’un an, en 1912, à Bordeaux, au 144e d’infanterie… ce qui fit coïncider la sortie de sa promotion avec le début de la Grande Guerre. La terrible boucherie * le happa alors qu’il venait tout juste de présenter son diplôme de fin d’études supérieures sur « le réalisme dans les romans de Maupassant » – ce qui ne manquait pas de perspicacité : le protégé de Flaubert était mort seulement vingt ans plus tôt et ne suscitait pas vraiment d’enthousiasme.
En 1959, Maurice Genevoix présenta un autre livre admirable réunissant trois « camarades » : André Ducasse, Jacques Meyer et Gabriel Perreux, trois « normaliens » qui, au lieu d’entrer rue d’Ulm, partirent au combat. Ils avaient un an de retard sur le préfacier… « Vie et Mort des Français », tel est le titre. Et Genevoix parle ainsi des trois auteurs : « Soûlés d’horreurs, hantés jusque dans leur sommeil par des cauchemars trop ressemblants à leurs souvenirs, comment n’auraient-ils pas cédé, pareils à leurs frères épargnés, au désir de tourner la page, d’oublier, de redevenir des hommes « normaux », qui ne tireraient plus sur des hommes et sur qui l’on ne tirerait plus »… Alors, ces trois témoins racontèrent la guerre « au ras des chaumes », ajoutant le long ruban des douleurs à ce qui avait déjà été l’objet d’une étude plus ancienne, en 1929, par Jean Norton Cru : « Témoins », une forte et longue analyse des « survivants » et des bavards à la Barbusse.
Ce n’est pas l’auteur de « Raboliot » qui entrera au Panthéon en novembre, loin des nécropoles et cimetières militaires de village où dorment les martyrs, mais un sous-lieutenant, à la tête d’un cortège de six millions d’« épargnés », nos ancêtres. Nous ne les oublions pas !
Morasse
* La tuerie ne fut ni uniforme ni égalitaire : parmi les 236 anciens élèves de l’ENS morts au combat lors de la Première Guerre Mondiale on trouve la moitié (50%) des 211 élèves envoyés au front après avoir réussi le concours entre 1910 et 1913 contre 26 % de ceux entrés entre 1904 et 1909 et 13 % de ceux des promotions 1886-1903. Tous, officiers… (Statistique des élèves et anciens élèves de l’ENS).
* Les Bretons perdirent 6 % de leurs 3 millions d’habitants… dont beaucoup de marins. Les pertes du reste de la France se situe entre 2% et 4%…
* Collectif, Vie et Mort des Français, 1959, Hachette (Nouvelle édition en 1962).
Crédit photo : Moonik/Wikimedia (cc)
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Une réponse à “La Désolation du Panthéon…”
on y mettra plutot bhl ça fera plaisir a fredo mittrand