« L’immigration est une chance pour la France » : le plus souvent, de nos jours, cette formule est utilisée par antiphrase, comme une moquerie. Hormis une frange de vieux idéalistes et d’employeurs en quête de main-d’œuvre pas chère, beaucoup de ceux qui l’emploient ajoutent implicitement soit « quelle blague, hein ? », soit « …et c’est bien fait pour elle ».
On pense en général qu’elle date de la parution en 1984 du livre de Bernard Stasi (1930-2011), qui portait ce titre. Cette « chance », à ses yeux, c’était d’abord lui : il était d’origine immigrée – non pas est-allemande mais espagnole et italienne. Énarque de formation, éphémère ministre des DOM-TOM pendant dix mois sous Pompidou, il a consacré une grande partie de sa carrière à donner des leçons de morale à la France et aux Français « de souche ».
Le Père Joseph de l’immigration est né à Nantes
Avec « l’immigration est une chance pour la France », cependant, Bernard Stasi a pris un train en marche. Cette formule était apparue pour la première fois en 1980, à propos des immigrés : « leur présence en France ou leur retour dans leur pays après un séjour en France, s’il a représenté pour eux une promotion, sont l’un et l’autre une chance pour le rôle de la France dans les échanges internationaux ». La phrase figure Réflexions et propositions sur les besoins éducatifs, sociaux et culturels des travailleurs immigrés et de leurs familles, rapport d’une commission Culture et Immigration installée le 21 novembre 1979 par Valéry Giscard d’Estaing à l’instigation de Lionel Stoléru.
Né à Nantes, Lionel Stoléru (1937-2016), avait lui aussi une raison personnelle de chanter les louanges de l’immigration : ses parents étaient des juifs originaires de Roumanie et d’Autriche. Polytechnicien et docteur en économie, cet hyperconceptuel est paradoxalement devenu secrétaire d’État aux Travailleurs manuels, puis aux Travailleurs manuels et immigrés sous Giscard d’Estaing. Régulièrement blackboulé par les électeurs mais toujours empressé auprès du pouvoir, il s’est rapproché des socialistes après l’élection de François Mitterrand, ce qui lui a valu de redevenir secrétaire d’État, au Plan cette fois. En 2007, il a choisi Nicolas Sarkozy mais n’a pu obtenir mieux qu’une mission sur le thème des PME.
Un propagandiste de l’islam
« Dans l’ensemble, les jeunes immigrés posent les mêmes problèmes que les Français placés dans une situation socio-économique comparable », affirmait la Commission. Par aveuglement ou par calcul ? Les problèmes spécifiques posés par les musulmans n’étaient pas encore entièrement visibles, sans doute. Pourtant, le président de la Commission, Jean Fernand-Laurent, ex ambassadeur auprès de l’Unesco, connaissait bien la question. Mais avec un regard partisan. Il publierait d’ailleurs en 2004 une brochure intitulée Faut-il craindre l’islam ? – avec pour réponse : surtout pas. C’est probablement sous son influence que la Commission préconisait de « reconnaître l’islam, en droit et en fait, comme l’une des religions de la France ».
Relire quarante ans après le rapport de la commission Culture et Immigration engendre un sentiment de consternation. Rejetant explicitement les démarches d’assimilation, une certaine élite politico-sociale entendait faciliter l’existence propre de communautés étrangères sur le territoire français – ce qu’on appellerait plus tard inclusion. Et tout irait bien. « Éclairée » par ce rapport et par les conseils de l’éminence grise Stoléru, la France a avancé les yeux grands fermés. On voit le résultat.
Illustration : [cc] Gare de Lyon en 1980, photo bigup21 via Panoramio
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