Tenet est un film dont la double mission est de sauver le monde : dans le scénario, il s’agit de conjurer la destruction de l’humanité ; dans la vraie vie, il lui incombe de remplir les salles et d’éviter la banqueroute des exploitants. On peut parier en effet qu’après six mois passés à regarder les blockbusters sur des écrans d’ordinateur, l’amateur de sensations fortes se ruera voir Tenet, le dernier film de Nolan n’ayant rien à envier aux James Bond et autres Jason Bourne pour les scènes de bravoure à forte valeur pyrotechnique.
Mais l’on ne saurait se contenter, avec le créateur d’Inception ou d’Interstellar, d’une simple récréation cinéphilique. Familier des emboîtements spatio-temporels et des mises en abyme, Nolan s’attelle ici à rien de moins qu’au second principe de la thermodynamique, à savoir l’entropie, un principe d’accélération et d’évolution d’un système, en prise avec le temps linéaire. Dans Tenet, dont le titre fonctionne comme un palindrome, c’est la possibilité d’inverser l’entropie (donc prosaïquement le retour dans le temps) qui constitue l’arme absolue, utilisée par nos lointains descendants, décidés à effacer les siècles qui ont vu la planète devenir inhabitable.
Autour de cette quête impérieuse gravitent les bons (deux agents de renseignements et un « protagoniste », tel est-il nommé) et un très méchant (un oligarque russe dont la passion pour le plutonium s’avère fatale), joué de façon caricaturale par un Kenneth Branagh en roue libre. À condition d’avoir fait le plein de sommeil et de café, le film, pas si inintelligible que veut le faire croire une presse paresseuse, s’avère captivant de bout en bout, si l’on accepte – et c’est notre cas – de se laisser embarquer par la narration et d’assimiler les flots d’informations déversés pendant 150 minutes.
Le cinéma est un art forain, et Nolan pourrait en remontrer à Barnum. Après, l’on ne peut s’empêcher de songer aux multiples invraisemblances qu’un apprenti scénariste se serait fait fort d’éviter (l’usage des masques à oxygène, présenté comme crucial, n’a brusquement plus cours) et une grosse faiblesse d’écriture du personnage féminin, une mater dolorosa obsédée par son rejeton. Mais sans être licencié en physique, il est possible de se divertir, au premier degré, de l’utilisation vertigineuse du temps, cette dimension impalpable que le talent de Nolan, qui a dû visionner en boucle La Jetée, de Chris Marker, et L’Armée des 12 singes, de Terry Gilliam, parvient à rendre à la fois concret, visuel et esthétique. À défaut d’être le meilleur film de l’année, Tenet est pour l’instant le projet le plus original.
Sévérac.
Illustration : DR
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