Jusqu’au 3 janvier 2021, le musée du château des ducs de Bretagne présente à Nantes l’exposition LU, un siècle d’innovation (1846-1957). Pourquoi cette limitation à 1957 ? La marque LU existe toujours en 2020 ; elle est même leader du marché européen de la biscuiterie.
Les vieux Nantais évoquent avec des trémolos dans la voix les odeurs de pâtisserie chaude qui s’étendaient sur la ville quand le vent soufflait du Sud. Mais ça, c’était avant. Prise dans le tourbillon de la mondialisation, l’entreprise s’est fondue dans des groupes de plus en plus gigantesques ‑ aujourd’hui Mondelez International. Sa marque a été apposée sur des produits qui n’étaient pas les siens à l’origine. Son usine historique, face au château de Nantes, a quitté la ville depuis longtemps. Automatisation oblige, les effectifs ont largement diminué.
Même pour les Nantais, 1957, ça commence à faire loin. La passion locale s’émousse. La vente aux enchères de la collection d’Olivier Fruneau-Maigret, fin 2018, a rapporté trois fois moins d’argent que celle de la famille Lefèvre-Utile quinze ans plus tôt, pour un nombre d’objets bien supérieur pourtant.
Quant aux visiteurs étrangers, on ne peut espérer que le titre de l’exposition leur parle beaucoup (1). Ça tombe bien, le covid-19 a radicalement réduit leur contingent. On visite donc l’exposition sans attente ni bousculade. Et c’est ce qu’il faut, car ce « siècle d’innovation » est surtout riche en objets d’intérieur : paquets de biscuits, bien sûr, mais aussi documents publicitaires et œuvres d’art. La sélection est bien faite, presque poétique parfois, et joliment présentée, les cartels instructifs : on découvre en parallèle la technique et le marketing d’une entreprise nantaise en avance sur son temps.
Toute la race mystique
Mais pourquoi donc le musée du château a-t-il tenu à les accompagner de « textes complémentaires [qui] permettent d’aborder la division sexuée du travail et son évolution, ou encore l’utilisation de l’image féminine dans la publicité » ? La pédanterie sociologisante de ces commentaires surajoutés serait insupportable si elle n’était risible. Une publicité pour la gaufrette Flirt « fait référence aux rituels codifiés de la séduction au sein de la bourgeoisie, lorsqu’il s’agit de conclure une alliance dans le cadre de l’institution que représente le mariage ». À moins que le jeune homme n’ait des intentions plus immédiates et moins avouables ?
L’auteur de ces textes se surpasse avec son commentaire sur La Bretonne, un tableau d’Hippolyte Berteaux utilisé à titre publicitaire : « Ce portrait idéalisé d’une jeune Bretonne, les yeux levés vers le ciel, évoque une représentation de la Vierge, dont le culte a connu un regain au 19e siècle […]. Le peintre propose ici un modèle édifiant, mêlant vertu et obéissance à la volonté divine. ». Peintre de genre, Hippolyte Berteaux ne lésinait pas sur les effets. S’il avait voulu représenter sa Pontavéniste les yeux levés vers le ciel, il les aurait levés franchement. S’il avait voulu en faire une évocation religieuse, il lui aurait mis au cou un crucifix plutôt qu’un cœur. Et surtout, il n’aurait pas fait figurer en bas du cadre cette citation d’Anatole Le Braz : « Elle porte en ses doigts pieux la gerbe du printemps celtique, et toute la race mystique fleurit, suave, dans ses yeux ».
L’œuvre la plus connue d’Hippolyte Berteaux n’est d’ailleurs pas cette Bretonne mais le plafond du théâtre Graslin, une œuvre résolument païenne commandée en 1880 par la municipalité républicaine de Charles Lechat. Autant dire que le musée du château fantasme complètement…
(1) Mondelez a d’ailleurs fermé en 2019 son musée historique de la marque LU hébergé depuis vingt ans au château de Goulaine.
E.F.
Illustration : photo BI, droits réservés. La Bretonne de Berteaux, photo [cc] Selbymay via Wikimedia Commons.
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