Été 85. A propos du dernier film de François Ozon

Un an après l’excellent Grâce à Dieu, le nouveau film de François Ozon, l’un des rares films français rescapés du Box office en cet été ciné meurtrier, vaut-il la peine que l’on s’aventure, dûment muni de masques et de gel hydroalcoolique, dans les salles obscures ? Si les premières minutes de l’œuvre déroutent (un jouvenceau meurtrier, des gendarmes lookés eighties – parce qu’il n’est pas un détail de l’époque qui ne soit obsessionnellement reproduit à l’écran –, un juge d’application des peines : on pense à Action Directe façon minet…), l’arc narratif principal montre un auteur et cinéaste nettement plus à son aise quand il s’agit d’évoquer les passions et les crises d’un ado en plein chantier affectif.

En ce début du mois de juillet 1985, l’été débute assez mal pour Alex : son meilleur ami vient de rencontrer l’âme sœur et lui fait faux bond, son dériveur chavire par gros temps… Reste La rencontre décisive avec David, qui sauve providentiellement l’apprenti matelot de la noyade. Ce n’est pas déflorer l’intrigue que d’annoncer le coup de foudre façon Harlequin entre le damoiseau et son aîné de deux ans. Hésitant entre un certain maniérisme et une approche plus réaliste de la liaison des deux amants sur fond de Cure, de fêtes foraines, de cabines téléphoniques et de marinières vintage, le film parvient à faire affleurer sous la romance les rapports de classe entre le rejeton de prolos et le fils de petits commerçants, une éducation sentimentale express et une révélation identitaire, infusés par un romantisme dont la démesure périlleuse est à mettre au crédit du film et emporte les quelques réserves sur le caractère artificiel de certaines scènes.

Le finale du film, une clé de voûte sur laquelle compte un peu trop Ozon (et qui apparaît nettement moins forte d’un point de vue dramatique que nombre de séquences plus anodines), ne clôt peut-être pas l’œuvre de façon convaincante. Mais, des semaines après la vision d’Été 85, demeurent dans les souvenirs du spectateur l’ébullition juvénile de la première étreinte, l’insouciance de rouler à tomber ouvert dans l’arrière-pays normand et cette  fiévreuse liberté d’une temporalité ajustée à la seule cadence des désirs, où l’espace et les autres s’abolissent dans la félicité océanique d’un monde plus grand que soi ; un monde où l’on est grisé de s’abîmer.

Une capsule de temps d’avant la catastrophe sociale, économique et sanitaire du moment, qui donnera dans 35 ans une teinte nettement moins romanesque à notre été 2020.

Sévérac    

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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