Chroniques vouées à l’ensauvagement

Nous en étions là, à reluquer les pendules qui nous annonçaient que le temps était venu et qu’il fallait croire les bourriques anticolonialistes. Un fait divers, en l’occurence le brûlement haineux d’ornements et de musique dans la cathédrale Saint Pierre / Saint Paul, conduisit à nous souvenir d’un épisode ancien de notre histoire naturelle. C’est ainsi qu’au fond des choses, nous retrouvâmes des échos de ce qui suivit l’édit de séparation de l’Eglise et de l’Etat… époque où les cathédrales passèrent, pour la plupart, à la propriété du gouvernement. C’était au temps (1910) de la grande inondation de Paris par la Marne et la Seine. Autant dire la préhistoire…tss.

Trois semaines avant Pâques qui, cette année 1910, tombait le 27 mars, Paris se séchait des inondations de l’hiver précédent. L’eau stagnait dans les caves du 17 rue Bonaparte, Paris, Sixième arrondissement,… comme ailleurs. Mais le retrait des eaux n’avait rien à voir, si ce n’est par l’étymologie, avec les activités de la cinquantaine de personnes employées à l’étude du locataire des lieux : M. Duez, administrateur judiciaire.

Bref, quand la police, à midi quarante, le 8 mars 1910, se présenta à la concierge, la bonne femme laissa passer les deux inspecteurs en gabardine et chapeau melon… Ils venaient arrêter M. Duez, qui rentrait de ses courses (il avait acheté ce matin-là son eau de toilette préférée). Il était midi quarante-cinq lorsqu’ils repassèrent devant la concierge, en compagnie du recherché, et le conduisirent « en taxiauto » (c’est le terme du temps) au bureau du doyen des juges d’instruction, M. Albanel.

Cette incursion de la police dans une affaire vieille de dix ans s’expliquait par la confusion qui régnait sur l’avenir d’un fantasme politique qui faisait les choux gras de la Presse et le milieu de la Religion : l’affaire du « milliard des congrégations » *. Si le mirobolant total était « suspect d’exactitude » (hi hi hi), l’Etat attendait la « liquidation » des biens de cette partie de l’Eglise (les biens des « congrégations »). Encore fallait-il concrétiser sa résolution. Les opérations de réalisation avaient été confiées à trois cabinets soigneusement sélectionnés, ceux de MM. Duez, Lecouturier et Ménage… administrateurs judiciaires, la crème de la crème.

*Rappelons qu’un franc 1900 vaut 3,7 euros 2020…

Dix ans pour y voir clair… c’est long, c’est interminable. Si la Justice, à l’époque, était prompte à décréter la décapitation des malfaisants incivilisés (id est, les « anarchistes »), elle avait déjà ses lenteurs pour les affaires au Civil. Les journaux du temps (la si Belle Epoque) en firent des tonnes sur l’arrestation du sieur Duez et la commentèrent, tous bords confondus. Ainsi, dès le 9 mars 1910, on pouvait lire dans l’Echo de Paris (un journal classe, pour le meilleur monde), cet édito non signé : « Le liquidateur est en prison, mais il ne faut pas que l’on cherche à nous donner le change; il ne faut pas qu’il y ait simplement un escroc de moins : le procès qui s’engage est celui de toute une politique et de toute une morale, celles précisément au nom desquelles a pu opérer le liquidateur Duez, la morale du moindre scrupule, la politique du tripotagre et de la spoliation. » Pareillement dans l’Humanité de Jaurès, qui était favorable aux lois anti-congrégationistes…

Pour sa part, le sieur Judet, de l’Eclair (« du Vatican », disaient les mauvaises langues) parlait, sur un ton très « rézosocios », de « l’armée des petits bourreaux immondes… qui se sont jetés sur leurs victimes pour les dépecer et les ruiner. Telles les fourmis africaines qui n’entrent dans une maison que pour la dévorer de la cave au toit, quand elles en sortent… rien n’a résisté aux terribles mandibules de ces infatigables carnassiers. Ainsi, le jour où les liquidateurs eurent le droit de s’abattre sur les biens de l’Eglise catholique, personne n’avait de doute sur la férocité de leur travail… Ils dépassent même la mesure de ce que les maîtres impitoyables du Bloc des gauches peuvent tolérer »… ce qui était mettre en cause tous les gouvernements depuis celui de Waldeck-Rousseau, en juin 1899, qui y avaient trouvé leur majorité. Cela fit de beaux débats à la Chambre…

C’est ce qu’il advint au début de la semaine suivante, le lundi 14 mars et mardi 15 mars. Jean Jaurès parla en premier, avec l’emphase qui faisait son succès, de la misère de ceux « qui sont livrés depuis trop longtemps à des hommes de proie souverains ». Maurice Barrès remarqua, mezzo voce : « On ne pouvait évidemment trouver que des canailles pour faire la besogne qu’on leur confiait ! »… Le brouhaha couvrit la suite dont une allusion qui suggérait que les canailles « sont très bien apparentées dans la magistrature » (notée dans le compte rendu de la séance au Journal Officiel de 1910). Au fil du temps, on apprit que Duez n’avait pas été seul, que son confrère Lecouturier avait gagné 99 000 francs (x 3,7 €) pour la seule année 1907… avec notamment la liquidation de la distillerie de la Grande Chartreuse rachetée par M. Emile Cusenier… qu’il était chargé de 79 congrégations sur 148… que son confrère Ménage en avait la charge de 56… mais que Duez, le seul inculpé (pour l’heure) n’en avait reçu que 13. Je vous fais grâce des interminables polémiques qui réjouirent les rangs de la droite d’alors, attristèrent les « bons » républicains et indignèrent les vociférateurs déjà présents dans les esprits, le louchébem, et les déjà futurs « espaces-de-non-droit »…

Il fallut attendre la prestation de M. Paul Beauregard (1853-1919), député de la Seine depuis 1889, spécialiste de droit commercial, pour commencer à y voir clair. Il développa sur le MILLIARD… après avoir fait l’éloge de Briand, de Barthou, et montré comment l’Etat s’était emparé de la marque « Chartreuse » (ce qui serait trop long à expliquer au jour d’aujourd’hui… hi hi hi). « En votre nom, confia-t-il à ses confrères, le gouvernement que vous souteniez avec tant d’acharnement, a trompé le pays ; il lui a tendu un piège, non pas à son honnêteté, mais plutôt à sa cupidité en lui faisant croire que vous alliez confisquer un milliard à son profit. » Alors, ce MILLIARD, où se trouvait-il ? A ce jour de 1910, « on n’a encaissé que deux cent mille francs (x 3,7 €) au profit de l’Etat. Cela fait un beau trou (dans la raquette) ! Le milliard annoncé, on ne le trouve pas, on ne le trouvera pas ! »

Et Paul Beauregard de commenter à ces béotiens un document qu’il sortit de sa serviette… Il parla devant les députés de la droite et du centre partagés entre l’indignation et l’amusement, les députés de gauche manifestement muets et contrits. On trouvait, « résumée en quatre colonnes, l’enquête tout entière »… Première colonne : « valeurs des biens appartenant aux congrégations »; deuxième colonne : « valeurs des biens détenus à titre de locataires »; troisième colonne : « hypothèques frappant les biens des première et deuxième colonnes »; quatrième colonne : « la plus fantaisiste et la plus remarquable du point de vue de l’esprit d’invention, tous les immeubles dont on ne sait pas exactement s’ils appartiennent ou non à une congrégation » … Et Beauregard termina par l’addition, joignant le geste à la parole – un trait : « Total, un milliard soixante et onze millions ! »…

(à suivre : où il sera question des conséquences)

MORASSE

PS. Coffin… coffin… cela veut dire « cercueil » en anglais !!… tss. Ce qui est une pure méchanceté de la Nature…

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