Tous les amateurs de cyclisme attendent le départ du Tour de France 2020 (et avant ça, la reprise de la saison). Mais pour vous faire patienter, après l’interview de Jean-Paul Ollivier, nous vous proposons celle de Christian Laborde au sujet de son dernier ouvrage sur le champion André Darrigade (aux éditions du Rocher).
Tout commence en 1929, à Narrosse, minuscule village des Landes, où les parents d’André Darrigade sont métayers. Pour échapper à ce labeur, André prend le vélo par les cornes et devient champion cycliste, sur la piste et sur la route.
Christian Laborde raconte, avec lyrisme et précision, l’épopée de Darrigade, le sprinteur des Trente glorieuses, champion de France, champion du monde, vainqueur des Six Jours de Paris, héros magnifique du Tour de France qu’il dispute de 1953 à 1966, remportant 22 étapes, s’emparant tantôt du maillot jaune tantôt du maillot vert.
Et l’on croise, dans ce livre, Fausto Coppi, Ferdi Kübler, Guy et Roger Lapébie, Hugo Koblet, Jean Robic, Louison Bobet, Rik Van Looy, Rik Van Steenbergen… Et l’on entend, dans ce livre, Luis Mariano, Les Soeurs Étienne, Les Frères Jacques, Charles Trenet, Dario Moreno et, bien sûr, l’accordéon d’Yvette Horner.
Poète, romancier, pamphlétaire, auteur du roman culte L’Os de Dionysos censuré en 1987 pour « pornographie, abus de mots baroques et trouble à l’ordre public », Christian Laborde monte volontiers sur les planches avec Nougaro by Laborde et Poulidor by Laborde, one-man-shows.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire sur Darrigade ?
Christian Laborde : J’ai écrit sur des coureurs complets (Hinault, Indurain, Armstrong), sur des grimpeurs aériens (Charly Gaul, Jean Robic) : il était temps que j’écrive sur un sprinteur, sur un Géant de la route qui a rendez-vous avec le vent, gicle, perfore le vent, et fabrique du vent. Avec ce « Darrigade », j’ai écrit enfin un livre éolien.
Breizh-info.com : Qu’est ce que l’histoire du sport retiendra principalement de ce grand champion cycliste ?
Christian Laborde : L’histoire retiendra qu’il a été le plus grand sprinteur du Tourde France. Le plus grand, oui. Je sais, je sais Cavendish a gagné 30 étapes et Darrigade 22. Mais Cavendish, durant le Tour, on ne le voit que dans les 300 derniers mètres qui précèdent la ligne, lors des quelques étapes dont l’arrivée se juge au sprint. Amené par sa garde, il ne sort que pour sprinter.
André Darrigade, lui, c’est différent, on le voit tout le temps. Ilparticipe à l’échappée du matin et, quand elle va au bout, il l’emporte au sprint. De plus, durant les 3 semaines que dure le Tour, Darrigade fait son boulot d’équipier d’Anquetil. Il lui arrive souvent de se laisser décrocher de l’échappée et de renoncer à un sprint qu’il aurait sans doute gagné pour attendre Anquetil et le ramener sur la tête de la course. Darrigade ne s’économise jamais. Darrigade, c’est au-dessus, à part, incroyable.
Breizh-info.com : Votre livre évoque le cyclisme, mais également « un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». On a l’impression de plonger dans un pays qui n’existe plus sous votre plume …
Christian Laborde : C’est la France des Trente Glorieuses, également celle de l’enfance de Darrigade, fils de métayer qui, pour échapper à la métairie, devient un Géant du Tour. La France de Darrigade, c’est la France de Poulidor, fils de métayer lui aussi. Dans cette France-là, il y a la terre, le vent, les arbres, et une course un cycliste dans chaque village. Un village, deux gendarmes, un peloton et hop ! c’est la course, le grand prix entre l’église et la mairie ! Le vélo était partout.
Cette France-là, c’était aussi l’âge d’or du cyclisme. Il y avait du monde au balcon du peloton lorsque Darrigade débarque de Narrosse : Coppi, Magni, Koblet, Kübler, Van Steenbergen, Van Looy, Bobet, Bahamontes…
Breizh-info.com : Quelle fut pour vous la plus belle victoire de Darrigade sur le Tour et pourquoi ?
Christian Laborde : Je choisirai la première et la dernière. La première : l’étape Luchon-Albi, en 1953, 228km. C’est son premier Tour. Darrigade court pour l’équipe régionale du Sud-Ouest. IL attaque à ….188 km de l’arrivée.
Quel sprinteur aujourd’hui attaquerait à 188 km de l’arrivée ? Il attaque, une échappée se forme, elle va au bout et, à 600 mètres de la ligne, Darrigade sprinte et gagne. Sa dernière victoire : l’étape Bayonne-Bordeaux, en 1964. Darrigade a toujours rêvé de gagner chez les siens, sur le vélodrome de Bordeaux. Et cette piste de Bordeaux lui sourit enfin en 1964, et il l’emporte en battant Barry Hoban.
Breizh-info.com : Le cyclisme aussi a bien changé. Qu’est-ce qui faisait selon vous le charme de ce cyclisme tel qu’il n’est plus pratiqué aujourd’hui, où tout n’est que calcul et comportements aseptisés ?
Christian Laborde : C’était un cyclisme de flibustiers, de mecs qui partaient seuls, de loin, sans écouter les conseils des coachs toujours morts de trouille. Oui, des flibustiers, des corsaires, comme Robic qui n’en faisait qu’à sa tête. Un seul pavillon : celui de l’aventure, de l’audace. Darrigade aussi, c’était l’aventure, l’audace sur la route et sur la piste. Des aventuriers ! L’attaque était permanente : ça passe ou ça casse ! Et c’était toujours beau ! Et comme c’était beau, ça reste dans notre mémoire. On se souvient, on n’oublie pas.
Breizh-info.com : Que vous inspire ce Tour de France à venir fin août ? Allez-y, si vous le souhaitez, de vos souhaits et de votre pronostic ?
Christian Laborde : Le Tour en septembre, ça me plaît. La lumière est délicieuse dans les cols, en septembre. De plus, les bêtes seront déjà descendues des estives… Les troupeaux regarderont passer les échappés…Ajoutons que le Tour en septembre, c’est parfait pour les élèves : ils auront une bonne raison de faire l’école buissonnière. Ils sécheront les cours pour applaudir Romain Bardet. Ah ! l’école buissonnière, la découverte de la liberté… J’espère que les étapes de montagne iront au bout, qu’il n’ y aura pas de coulée de boue pour couper à route à Egan Bernal.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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