Il m’est arrivé de discuter (courtoisement !) avec des « racisés ». Les échanges ont vite tourné au dialogue de sourds, mais à chaque fois on m’a renvoyé cet argument : la France en colonisant l’Afrique aurait commis le crime de « déculturer » et « dénationaliser » des milliers de peuples et de civilisations autochtones. Pourtant, les langues indigènes existent toujours, une Afrique partagée en un millier de mini-états (un pour chaque peuple) serait un cauchemar. Surtout l’Islam a été bien plus brutal que les colons anglais et Français. Cette religion a éliminé dans le Sahel un grand nombre de coutumes et d’us anciens et fait entrer le plus souvent de force, une centaine de millions d’Africains dans une autre civilisation. De même l’Histoire africaine n’est qu’une succession de spoliations, de peuples chassés de leurs terres ancestrales par des envahisseurs. Ainsi, les premiers habitants de l’Afrique les Pygmées ont-ils été massacrés et refoulés hors des zones fertiles dans des territoires insalubres que personne n’a voulu leur disputer.
Shaka, un génocidaire africain
Le plus célèbre des génocidaires africains s’appelle Shaka. Il est né en 1787. Selon certaines sources il était le bâtard d’un chef du clan zoulou, sa mère au caractère fort ayant été répudiée juste avant la naissance de son fils. Shaka aurait été rejeté et humilié par son père, régulièrement persécuté par ses camarades, ce qui aurait généré chez lui un fort désir de vengeance.
Devenu adulte, Shaka offre ses services à Dingiswayho le chef de la tribu voisine des Batwenas. Il fait preuve de ses talents militaires ; il devient le bras droit et le porte-parole de Dingiswayho. Ce dernier aide Shaka à s’imposer à la tête des Zoulous après la mort de son père. Peu de temps après, Dingiswayho est fait prisonnier et exécuté par le chef des tribus Ngwane. Les Batwenas placent alors à leur tête Shaka. Ce dernier réussit difficilement à soumettre les Ngwanes, avant de s’imposer rapidement à la plus grande partie des tribus du Natal. Il crée une armée de métier qui constitue le pivot de la nouvelle société dont les structures anciennes sont bouleversées. Il astreint tous ses sujets au service militaire, multiplie les entraînements, augmente la nourriture carnée des meilleurs guerriers met sur pied un corps d’auxiliaires féminines, impose la langue zouloue à tous ses voisins. Il met au point une tactique militaire imparable : il divise ses troupes en quatre corps, deux placés au centre l’un derrière l’autre, (le crâne) les deux autres sur les ailes (les cornes du buffle), une des ailes étant cachée et n’intervenant que quand le combat est engagé, l’autre pratiquant l’encerclement.
L’armée de Shaka atteignait à son apogée les 100 000 hommes avec une réserve de 500 000 guerriers provenant des tribus soumises. Le chef zoulou se taille en seulement quatre ans un vaste empire dans le Natal et conquiert un territoire plus grand que la France. Les vieillards des peuples soumis sont massacrés, les femmes et les jeunes sont intégrés à condition de devenir zoulous à part entière en abandonnant leur nom et leur langue.
De nombreuses communautés préfèrent fuir en attaquant au passage leurs voisins plutôt que d’affronter Shaka, amplifiant un vaste mouvement de peuples (le Mfecane). Celui-ci avait commencé avant l’ascension de Shaka. L’introduction du maïs en provenance d’Amérique aurait en effet provoqué une explosion démographique au Natal, mais une sécheresse catastrophique de 10 ans aurait entraîné des guerres pour la conquête des points d’eau et des meilleures terres. Les conséquences du Mfecane sont importantes. La carte ethnique de toute l’Afrique australe est entièrement bouleversée. De nouveaux états se créent, des peuples entiers sont réduits à l’errance et à la famine. La présence des Boers, les fermiers blancs d’origine néerlandaise interdisant l’accès aux meilleures terres du Sud et de l’Est, les fugitifs sont repoussés vers les terres arides de l’Ouest ou sont obligés de se faire volontairement esclaves.
En 1822, Shaka est au faîte de sa puissance, mais les premiers craquements se font sentir. Deux de ses généraux se brouillent avec lui et chacun de leur côté entreprennent de fonder des royaumes en appliquant les méthodes brutales du chef zoulou. Shaka devient de plus en plus tyrannique, ce qui lui vaut l’opposition de son propre peuple. En 1827, à la mort de sa mère il fait exécuter 7 000 personnes, interdit aux gens mariés de vivre ensemble pendant un an et de boire du lait. Ces mesures de deuil extrême appartenaient, certes, dans la tradition zouloue, mais leur importance démesurée provoque une réaction. Shaka est assassiné à l’issue d’un complot familial, mettant en scène deux de ses demi-frères et sa tante.
Shaka était sans conteste un chef charismatique et compétent. À partir d’un petit clan d’une dizaine de milliers de personnes il a bâti en 4 ans un empire qui regroupait plusieurs millions d’habitants. Il n’a pu réussir cet exploit qu’en se montrant brutal et cruel. La figure de Shaka provoque un clivage dans l’Afrique du Sud de 2020. Tyran sanguinaire pour les Blancs et les métis, il est un modèle aux yeux de beaucoup de nationalistes noirs. Une tentative de réhabilitation universitaire a même eu lieu, présentant la politique génocidaire de Shaka comme une réaction à la poussée boer et portugaise, mais les arguments avancés semblent peu convaincants. Il serait plus exact de souligner que Shaka n’a pas eu le choix de ses moyens. Il ne pouvait forger son état qu’en se montrant implacable. La moindre faiblesse lui aurait été fatale. En tout cas un point est incontestable, Shaka a plus détruit en Afrique australe de cultures indigènes que les colons blancs.
Christian de Moliner
Illustration : DR
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