À ceux qui pensent que la tension d’une séquence est proportionnelle aux moyens matériels déployés, on ne saurait trop conseiller les premières minutes de Madre, le nouveau film de Rodrigo Sorogoyen (réalisateur des remarquables El Reino et Que Dieu nous pardonne) : une femme de trente ans, sa mère et un téléphone, dans un appartement de la classe moyenne espagnole. C’est tout, et cela suffit. Une quinzaine de minutes plus tard, essoré et hagard, le spectateur est prêt à de nouvelles montagnes russes émotionnelles. À tort. Car le film embarque pour une autre destination, un autre régime narratif et un nouveau rythme – mais avec une protagoniste inchangée. Elena est devenue serveuse d’un restaurant de plage, perdue dans une mélancolie opiniâtre qu’entretiennent les immensités de dunes et d’océan désertées par le soleil, en cette fin d’été. À présent quadragénaire, Elena s’éprend de Jean, un adolescent en vacances, qui devine vite son jeu voire devance ses désirs. Les parents du garçon, qui n’y entendent pas malice, dans un premier temps, font tout pour briser le couple contre-nature, convaincus de la malignité de la soupirante. Nul ne saurait leur reprocher l’ignorance de l’histoire d’Elena, dix ans auparavant…
Ce film, à la sauvage force lyrique, sait éviter le pathos et propose l’un des plus émouvants portraits de mater dolorosa qu’il nous ait été donné de voir à l’écran depuis longtemps. Le jeu sur les arrière-plans géographiques et le hors-champ temporel se révèle d’une belle efficacité dramaturgique : toutes les séquences avec le compagnon d’Elena ou les soirées en mode clandestin en compagnie de Jean sont parcourues par le filigrane d’un passé oppressant, dont l’ombre portée colore d’une teinte tragique la portée des échanges et des gestes. Cette ballade hypnotique est enfin le récit d’un parcours d’apprentissage pour les deux amants, la fin d’un deuil et la promesse d’une délivrance, un épilogue qui marque en fait un nouveau commencement.
Sévérac
« Madre », film espagnol de Rodrigo Sorogoyen, avec Marta Nieto, Jules Poirier et Alex Brendemühl. Sortie en salle mercredi 22 juillet
Crédit photo :DR
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