Avec « Un traître mot », Thomas Clavel s’impose comme étant le George Orwell français

Notre époque est abominable pour les hommes libres. Flicage généralisé, mots interdits, lynchages médiatiques et politiques, hystéries féministes et racialistes, il devient quasiment impossible de s’exprimer dans l’espace public sans susciter des sorties inimaginables il y a quelques années encore.

Le livre de Thomas Claver, Un traitre mot, cerne par ailleurs parfaitement notre époque totalitaire.

À quoi ressemblerait en effet un monde où le langage serait entièrement soumis à l’idéologie victimaire ? Où le code pénal, aux mains des minorités agissantes, punirait plus sévèrement les crimes de langue que les crimes de sang ? Ce monde, c’est peut-être déjà le nôtre. C’est celui qu’a choisi de mettre en scène Thomas Clavel dans un premier roman maîtrisé de bout en bout.

Piégé par une sordide télévendeuse, Maxence, jeune professeur de littérature à l’Université, laisse échapper quelques mots malheureux formellement proscrits par la novlangue qui a octroyé aux « dominés » un privilège de police sémantique. Commence alors une irrésistible descente aux enfers. Policiers, magistrats, rééducateurs passent au crible sa paisible existence livresque. Au terme d’un procès en sorcellerie, le voilà jeté en prison, dans le quartier des délinquants textuels. Où Maxence découvre qu’il n’est pas seul…

Un traître mot est une fiction terrifiante de réalisme. On a l’impression que ce qui arrive au héros principal peut arriver à n’importe quel dissident demain. Il y a du Orwell dans Clavel.

Son livre doit faire prendre conscience à tout un chacun qu’il est urgent de balayer les fossoyeurs de nos libertés.

Pour en discuter, nous avons interrogé l’auteur.

Un traître mot – Thomas Clavel – Nouvelle librairie éditions – 14,9 (à commander ici)

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Thomas Clavel : J’enseigne le français depuis dix ans, en banlieue parisienne. Je suis également chroniqueur à Causeur et Boulevard Voltaire. J’ai publié l’an dernier un recueil de nouvelles, Les Vocations infernales, qui interrogent la fausseté du monde contemporain. L’une d’entre elles, Pour de faux, raconte un quiproquo délirant dans un collège de Seine-Saint-Denis. Le jour d’un exercice attentat-intrusion, de vrais djihadistes (du genre Pieds-Nickelés !) pénètrent à l’intérieur de l’enceinte de l’établissement avec des armes lourdes. Et prennent en otage un prof de dessin confiné avec ses élèves — et persuadé qu’il s’agit d’une simple mise en scène pédagogique organisée par l’Éducation nationale ! Je ne dévoile pas la fin mais il y aura quelques rebondissements savoureux…

Breizh-info.com : Après Les vocations infernales, vous enchaînez donc avec Un traître mot. D’où vous est venue l’idée d’écrire cet ouvrage ?

Thomas Clavel : Mon livre est fondé sur un constat très simple : nous appartenons à une séquence historique éminemment religieuse. Nous pensions naguère que l’idéologie victimaire se déployait exclusivement dans la sphère politique, à l’intérieur des milieux associatifs et militants, en surface. En réalité, cette idéologie s’est enracinée, au point de devenir une véritable mystique. Nous avons connu plusieurs vagues successives : la vague arc-en-ciel, la vague me-too — et récemment cette déferlante indigéniste inouïe, avec des scènes religieuses d’agenouillement collectif, de processions, de lavements de pieds et de déboulonnage de statues ! On le voit bien : cette hystérie victimaire n’a plus grand-chose à voir avec la fameuse « repentance républicaine ». Elle a envahi, comme un encens capiteux, comme un virus s’attaquant à l’âme, l’entièreté du corps social. Si tu n’es pas victime de la société catholique, mâle et patriarcale, c’est que tu as raté ta vie : tel est son slogan ! Au fond, on voit bien en quoi consiste cette religion : diviniser des victimes supposées (bien souvent auto-désignées) afin de placer certaines minorités au-dessus du reste de l’Humanité — et de privilégier les « opprimés » !

Car cette religion de l’Homme ne souffre pas l’égalité. Elle la déteste. Elle la vomit. Certes, elle la brandit presque toujours comme un étendard. Mais c’est un étendard falsifié. Philippe Muray employait l’expression d’égalitisme démoniaque. Les hommes sont égaux devant Dieu : mais devant leur propre tribunal révolutionnaire, ils ne cessent de convoiter les premières places ! Cette religion victimaire, antiraciste, progressiste — appelez-la comme vous voulez, après tout, le Diable a plusieurs noms ! — est fondamentalement, littéralement antichrétienne. La discorde est son credo. « Détestez-vous les uns les autres », son évangile. Diviser les nations, son projet diabolique. On le voit, on le sent : cette religion n’est pas une religion de paix et d’amour. Bien au contraire, elle est profondément inquisitoriale et procédurière. Elle traque. Elle attend au tournant. Elle est impitoyable. Elle est friande de tribunaux et de procès en tout genre. Elle a sa propre police politique — et sa propre police sémantique. Et c’est ainsi que commence mon roman : désormais, les mots relevant du blasphème (et de toute espèce d’atteinte au fameux « Vivre-Ensemble ») sont plus sévèrement punis par le code pénal que les violences physiques. Peu à peu, les prisons se vident de tous les délinquants et autres criminels de geste et se peuplent d’une nouvelle catégorie : les criminels de mots.

Breizh-info.com : Si je vous dis qu’il y a du Orwell dans votre livre, je n’ai pas l’impression d’être très original. Néanmoins c’est le cas, et la société que vous brossez est terrifiante. En sommes-nous proches ?

Thomas Clavel : Orwell a parfaitement compris que le langage était au cœur du système totalitaire. Sa novlangue (terme qu’on emploie à tort et à travers) est soumise à un long travail de sape, d’amenuisement — le champ des mots s’épuisant comme peau de chagrin jusqu’à disparaître presque complètement. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que notre langue médiatique officielle fonctionne au contraire par prolifération, par multiplication. En seulement quelques années, un tas de mots sont sortis du néant pour nous intoxiquer en profondeur, à petit feu, par inoculation de microdoses ; mots nouveaux et brusquement divinisés, purs produits de l’idéologie progressiste, parmi lesquels on peut citer inclusifintersectionnalitéféminicidehomoparentalitéhétéronormatifcisgenre — et tous les mots se terminant par phobie (Philippe Muray parlait de « Cage aux phobes » !) dont les délicieux grossophobie ou transphobie.

À côté de ces mots nouveaux et abominablement laids, on trouve la catégorie des mots redéfinis par la langue officielle, comme amalgamenauséabondstigmatisationdistanciation — et l’immanquable confinement, désormais considéré comme une pure banalité sémantique et conversationnelle ayant rendu tout à fait tolérable aux yeux (et aux oreilles) du plus grand nombre notre enfermement collectif ! Confinement que le pouvoir aime affubler de préfixes avec lesquels il joue avec gourmandise : confinement, reconfinement, et pourquoi pas hyperconfinement !

Enfin, il y a bien sûr cette troisième catégorie de mots, les mots interdits, tous ceux qui ont conduit mes personnages en prison, dans le quartier de haute sécurité des délinquants textuels !

Breizh-info.com : Derrière votre roman, c’est à un véritable réquisitoire contre notre monde moderne que vous vous livrez. Un réquisitoire particulièrement incorrect politiquement. N’avez-vous pas peur de vous fermer tous les cercles conformistes et littéraires ?

Thomas Clavel : La peur n’est pas vraiment de mon côté. La peur, je crois qu’elle est du côté de ceux qui appartiennent aux cercles que vous évoquez. Leur place est précaire et fragile — et bien souvent illégitime puisqu’ils ont pour la plupart d’entre eux été conviés à la grande table médiatique pour des raisons échappant totalement à la chose littéraire. Pour des raisons presque exclusivement commerciales ou idéologiques. La plupart des écrivains qui tentent de nous faire croire qu’ils sont rebelles se sont en fait agenouillés.

La plupart de ceux qui veulent nous faire croire qu’ils sont entrés dans la danse de l’irrévérence et de l’insolence à la française sont tout simplement rentrés dans le rang. Dans le rang des bons sentiments ou bien de la posture victimaire. De la « littérature feel-good » ou « think good ». J’aimerais citer une nouvelle fois Philippe Muray. Dans L’Empire du Bien, voici ce qu’il écrit : « La réalité ne tient pas debout en plein vent caritatif. Un romancier véridique, aujourd’hui, serait traité comme autrefois les porteurs de mauvaises nouvelles : on le mettrait à mort séance tenante, dès remise du manuscrit. C’est pour cela exactement qu’il n’y a plus de romanciers. Parce que quelqu’un qui oserait aller à fond, réellement, et jusqu’au bout de ce qui est observable, ne pourrait qu’apparaître porteur de nouvelles affreusement désagréables. »

Breizh-info.com : La question qui se pose à travers votre ouvrage, mais plus globalement au regard de l’évolution de notre société est : comment un homme libre peut-il survivre dans une société de contrôle et de répression comme la nôtre. La deuxième partie de votre livre esquisse-t-elle une partie de la réponse globale ?

Thomas Clavel : À l’antiracisme officiel, opposer l’anti-antiracisme, qui n’est pas un racisme, mais qui est un antipoison. À la mafia antiraciste ayant excité les rancœurs et les haines à des fins électorales ou financières, opposer l’antimafia de l’esprit. À l’intoxication linguistique, opposer un travail critique de déconstruction sémantique. Les mots de la langue officielle agissent comme des narcotiques. Ils nous empoisonnent, nous endorment, nous font basculer lentement du monde de la réalité vers un monde entièrement falsifié, soumis à la discorde victimaire, soumis à la division, à la surenchère, soumis au pire.

Aussi convient-il d’interroger chaque mot prononcé à l’occasion du grand simulacre médiatique. Pourquoi cette speakerine emploie-t-elle ce mot plutôt qu’un autre, cette expression plutôt qu’une autre ? Faire preuve d’esprit de révolte et d’esprit critique. Déconstruire le langage des constructeurs d’idoles. Traquer la langue officielle tout comme la langue officielle nous traque. Lui rendre coup pour coup. Enquêter sur les inquisiteurs. Leur rendre la vie impossible. Faire un peu taire ceux qui rêvent de nous clouer le bec. Mordre les idéologues avant qu’ils nous musèlent. Forcer la serrure de la langue avant qu’elle ne soit l’entière propriété des prêtres médiatiques. Ne plus avoir honte. Oser lever la voix. Enfin, surtout, relire les grands auteurs, et retrouver le plaisir des mots, leur innocence. Les désintoxiquer, les décaper, leur rendre leurs lettres de noblesse et leur lustre naturel, comme le fait en prison Maxence, mon personnage principal, en compagnie de certains de ses camarades. À ses risques et périls…

Breizh-info.com : Dernière question : avez-vous des conseils pour nos lecteurs, en matière de littérature récente. Des livres qui vous ont particulièrement séduits, et que vous conseilleriez ?

Thomas Clavel : Deux romans me viennent à l’esprit. Le Diable tout le temps de Donald Ray Pollock. Un récit impitoyable sur la violence religieuse archaïque aux États-Unis. Disgrâce de Coetzee, qui raconte d’abord la chute d’un professeur accusé d’agression sexuelle par une étudiante (du genre me-too !) puis le viol réel de sa propre fille par un gang, dans une Afrique du Sud post-apartheid.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
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