Pour Thierry Jigourel, les fêtes bretonnes et celtiques sont « un antidote à la désespérance et à la privation de nos libertés » [Entretien]

Depuis plusieurs années, l’éditeur Yoran Embanner souhaitait publier un livre sur les fêtes bretonnes et celtiques. C’est chose faite aujourd’hui grâce au travail de Thierry Jigourel, qui avait déjà réfléchi  et travaillé  sur les  fêtes  celtiques traditionnelles, pour  divers magasines et qui sort donc un livre intitulé « Fêtes bretonnes et celtiques ».

Depuis des  années, il a en effet parcouru les  divers  festivals celtiques  et  bretons, de la  Bogue d’Or  de Redon  au  festival  Celtic  Connections de Glasgow  qui  se déroule  en janvier, en passant par le festival  de harpe  celtique de Dinan, le  Fil  de Lorient  ou le  Cornouaille  de  Quimper.

Il a aussi  publié ,  chez  un  éditeur  français, un ouvrage dédié  aux pardons bretons, un  autre  consacré aux cornemuses   de Bretagne  et  un sur les festoù-noz. Il avait donc, avant l’écriture de ce livre, amassé  pas mal  de  souvenirs, d’impressions, de  documents,  d’ouvrages,  fait des rencontres lui permettait d’aborder et d’approfondir un sujet le passionnant, lui rappelant le titre de son roman préféré : la Fête de Nuit de  Xavier Grall.

Nous avons évoqué cet ouvrage — essentiel pour comprendre une partie de l’âme bretonne et celte –  avec son éditeur, Yoran Embanner, qui a répondu à nos questions après avoir consulté Thierry Jigourel, éveille de peuple majeur en Bretagne.

Fêtes bretonnes et celtiques — Thierry Jigourel — Yoran Embanner — 29,9 € (à commander ici pour soutenir l’éditeur)

Breizh-info.com : Ce qui est particulièrement flagrant en Bretagne est que la plupart des grandes fêtes qui s’y déroulent parviennent, avec brio, à mêler modernité et tradition. Comment l’expliquez-vous ?

Editions Yoran Embanner : Cette alchimie est difficile à expliquer. Sans doute que les Bretons ne sont pas coupés de leurs racines, mais qu’ils sont ancrés pleinement dans la Tradition et non pas dans la muséographie. La Tradition crée et est évolutive, contrairement à la muséographie, qui est figée et répétitive.

Cet aspect intimement mêlé de tradition et de modernité vient certainement du fait que la culture bretonne est encore vivante, en dépité du rouleau compresseur totalitaire du dernier pays centralisé d’Europe. La langue bretonne est encore vivante, c’est pourquoi elle est encore créatrice. Il en va de même de la musique et des fêtes, qui ne sont pas « folkloriques », mais « traditionnelles ». Les Bretons savent conserver l’esprit des fêtes, mêmes s’ils les revêtent d’habits neufs.

Ces fêtes sont capables de s’adapter à une certaine modernité, aux progrès techniques, et à l’urbanisation de la société, sans perdre l’essentiel de leur âme et de leur identité. Le meilleur exemple est celui du fest-noz qui a réussi à passer du stade mod-kozh au stade mod-nevez sans se dénaturer.

Breizh-info.com : Quels sont, pour les Bretons, les moments les plus importants de l’année, qui ont traversé les âges ?

Editions Yoran Embanner : Je dirais que ce sont ceux hérités des deux fêtes celtiques de Samain/Samonios, la fête des âmes du calendrier chrétien, Gouel an Anaon, gouel an Hollzent, soit la fête des défunts et la Toussaint, version légèrement christianisée de la fête celtique de tous les morts et de tous les dieux, durant laquelle s’ouvraient les portes de l’autre monde.

Notre barde national Glenmor disait que chez les Bretons, le « 11 Novembre est fête nationale » au regard de la proportion des Bretons sacrifiés pendant une guerre qui n’avait de grand que les souffrances imposées aux peuples. C’était de l’humour noir bien entendu. Mais dans quelle mesure, ces morts honorés en miz-du, le « mois noir » de novembre, ne sont-ils pas, dans l’esprit de nos grands-parents, associés à tous ceux de nos clans, vénérés à la Toussaint ?

L’autre grand moment de l’année correspond à l’ancienne fête de Lugnasad, à la culminante de l’été, qui voit tant de fêtes se dérouler sur le territoire de la Bretagne, de la fête des chevaux au sommet du Menez Bré au Festival Interceltique en passant par la Troménie de Locronan. C’est un moment fondamental aussi.

Breizh-info.com : Comment peut-on expliquer la grande religiosité autour des Pardons notamment, alors que dans le même temps, les églises de Bretagne se vident ?

Editions Yoran Embanner : Je me souviens d’un excellent article signé Pierre Duclos je crois, publié dans Géo, à propos des pardons. Il expliquait que la popularité des petits pardons de campagne vient de faire que le pardon aujourd’hui est dépouillé de son aspect pénitentiel et qu’il met l’accent sur les aspects culturels et identitaires.

On s’y rend pour rendre hommage à St Weltaz, le protecteur des chevaux, ou à Herbot, celui des bêtes à cornes, pour retrouver la famille et les amis. On se rend au pardon de St Anne la Palud ou à la Troménie de Locronan pour porter fièrement le costume du Tad Kozh, ou celui de la Mamm-Gozh, plus que pour faire pénitence ou acte de contrition.

C’est l’esprit qui prévaut par exemple aux fêtes, très œcuméniques, de la Vallée des saints ou lors du pèlerinage du Tro Breizh. Des fêtes portées par une spiritualité large et de grand vent. Des fêtes portées aussi par des messes, des cantiques en Breton.

Breizh-info.com : Cette propension bretonne à « faire la fête » ne cache-t-elle pas des maux très lourds ? L’Alcoolisme, la consommation de drogues diverses, ravagent aujourd’hui y compris la jeunesse bretonne…

Editions Yoran Embanner : Peut-être s’agissant de la fête du samedi soir, faite par certains jeunes. Un ami corse éditeur m’avait confié avoir été effrayé par cette propension des jeunes Bretons à organiser ce type de fête, où le but est de boire vite pour accéder vite à l’ivresse.

Un mode de consommation et un comportement proches de celui de nos amis et cousins grands bretons. Il m’avait dit qu’il n avait jamais vu ce comportement dans son pays. Ceci dit, on boit beaucoup moins dans toutes les autres fêtes et en particulier dans les  festoù-noz que dans les années 80 par exemple.

Comme si, justement, cette dimension identitaire de la fête protégeait les Bretons contre la désespérance née de la privation de libertés, de la perte de l’indépendance, de la lutte séculaire contre un État totalitaire. Je pense en particulier aux travaux d’ethnopsychiatrie formidables du Dr Carrer, qui prouvent que c’est précisément la destruction programmée et organisée par Paris ainsi que l’interdiction de notre langue – ce que Patrick Le Lay qualifiait à juste titre de « génocide culturel » – qui est à l’origine du nombre impressionnant de suicides en Bretagne. Suicides rapides par la corde ou plus lents par l’alcool.

Les fêtes traditionnelles, où se mêlent musique bretonne, danses et langue bretonne, seraient justement des antidotes à la désespérance liée à cette privation de liberté et de nos droits fondamentaux.

Breizh-info.com : Faire la fête, n’est-ce pas finalement aussi tenter d’oublier, un moment, le statut de peuple vaincu, tels des Indiens d’Amérique ?

Editions Yoran Embanner : Oui c’est vrai, mais c’est aussi résister. Justement parce que dans toutes ces fêtes traditionnelles, on boit moins que dans les fêtes du samedi soir privées de cette dimension identitaire. Mais la fête c’est aussi gai et joyeux par nature. Et là je pense à une autre citation de Xavier Grall qui disait que nos ancêtres saisissaient tous les prétextes pour faire la fête. Prétexte des saints, et prétexte du blé en herbe. C’est si vrai que, pour venir à bout de la résistance des Bretons, la Révolution française avait décidé d’interdire jusque nos pardons.

Paris (ou l’État français) a horreur de tous particularismes, ça va contre l’uniformisation de la population française. De plus, les fêtes bretonnes, non subventionnées, ou si peu, ont plus de succès que les fêtes organisées par l’état (Printemps de Bourges, Francopholies de la Rochelle, Avignon, etc.) et pourquoi ? Parce qu’il existe un peuple breton, c’est-à-dire une communauté humaine, solidaire.

Ce n’est pas un hasard si c’est en Bretagne qu’il y a le plus d’associations, un taux comparable à l’Allemagne, ce qui se traduit par l’habitude du bénévolat et toutes nos fêtes ne fonctionnent que grâce aux bénévoles. Paris essaye donc de mettre fin à cette pratique et sort son arsenal juridique :

  • le bénévolat assimilé a du « travail dissimulé »
  • les enfants des cercles celtiques qui défilent en costume : « travail des enfants »
  • contrôles-biniou systématiques, etc.

Après s’être attaqué à notre langue, avoir dissimulé notre Histoire en nous imposant l’Histoire de l’état qui nous a conquis, avoir supprimé nos droits nationaux en divisant la Bretagne en 5 départements, bien surveillés par 5 préfets, Paris attaque maintenant notre style de vie, la qualité de nos relations humaines. En clair, faire rentrer les Bretons dans la population française, une population d’administrés sans âme, sans racines et soumise. Funeste perspective !

Notons au passage que les seules fêtes authentiques qui restent sur le territoire français sont des fêtes ethniques :

  • Le carnaval de Dunkerque et tous ceux, plus petits de Flandre française
  • La feria de Dax en Gascogne occitane
  • Les fêtes de Bayonne en Euskadi-Nord

Et toutes les fêtes de Bretagne. Tout le reste a été détruit par le rouleau compresseur français. Toutes ces fêtes ont une âme, une ambiance de joie primitive et collective, avec ses codes, ses traditions, ses rites, mais attention, depuis quelque temps, elles sont envahies par un public français, complètement ignorant de ces traditions. Ce public n’a que faire des locaux, il arrive avec sa mentalité, ce qui explique des dérapages (bagarres, vols et viols) qui n’existaient pas avant.

Si l’on veut rester nous-mêmes, il est temps de dire « trawalc’h ! » (raz le-bol !) à Paris. La définition de la nationalité française s’appuie sur cette maxime d’Ernest Renan : « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ».

De « grandes choses » ? Oui, avoir servi de chair à canon pour les guerres impérialistes des rois, celles de la Révolution et de l’Empire, deux guerres mondiales provoquées par la France, et les guerres coloniales, ce ne sont pas pour nous de « grandes choses », en tout cas une chose est sûre, nous ne voulons plus faire de « grandes choses » avec la France.

Breizh-info.com : La fête a également une dimension que l’on retrouve chez d’autres peuples celtes. Comment expliquez-vous ce caractère, cette propension communautaire ?

Editions Yoran Embanner : Je pense que la fête est inhérente à l’Homme. C’est un besoin de toutes les communautés, qu’elles soient indiennes, aïnoues, du Kamtchatcka ou du Krezi Breizh. C’est ce qui permet de décompresser, de se retrouver, de faire connaissance et donc de repartir plus fort vers le travail ou la résistance.

La particularité de nos fêtes, comme celles de tous les peuples authentiques et enracinés, c’est qu’elles sont précisément vraies, enracinées, porteuses de sens.

Mais l’État français tente de les faire disparaitres, grâce à tout un arsenal de mesures controuvées, et de les remplacer par de pitoyables ersatz ou parodies de fêtes obligatoires où tout le monde doit sortir en même temps, le petit doigt sur le pantalon, écouter les mêmes musiques, aux mêmes endroits, au même moment : la fête de la musique en est l’esemple même.

C’est que l’État s’aperçoit que ce besoin est consubstantiel à l’Homme, comme le besoin de spiritualité. C’est la raison pour laquelle il tente aussi de substituer une spiritualité de pacotille aux spiritualités enracinées, de remplacer l’Église par l’Etat par exemple. Dieu par la Nation, les chapelles ou la cathédrale par le panthéon, le pape ou le grand druide par le président de la République, nos saints populaires par Victor Hugo et les nouveaux prophètes de leur République…

Mais sachons résister et conserver à nos fêtes cet aspect populaire, coloré, clanique et enraciné. Sachons rester nous-mêmes, ni-hon unan ! C’est ainsi que nous saurons séduire les autres et être respectés de nous-mêmes et des autres peuples.

Propos recueillis par YV

Illustration : DR
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