Jean-Louis Arjol, policier à la retraite : « La lutte contre l’insécurité  doit se faire par l’emploi du juste milieu entre répression et prévention » [Interview]

Jean-Louis Arjol est Major de Police à la retraite. Il fût Secrétaire Général du Général de la Police et de la F.A.S.P (Fédération Autonome des Syndicats de Police) et est aujourd’hui consultant.

Après avoir terminé sa carrière en tant qu’Officier de Liaison au Mali en 2014, « compte tenu du malaise au sein de la profession  et de la situation du Service Public de Sécurité, nous avons créé avec quelques militants actifs et retraités, un collectif ( Police République et Citoyenneté ) dont je suis le Président. Ce collectif qui regroupe des policiers actifs, retraités de tous grades et de tous corps s’est donné pour mission de défendre les valeurs de la Police Républicaine et de proposer une alternative républicaine au modèle ultra libéral qui est proposé depuis des années.  Plus exactement depuis les deux derniers plans de modernisation ( Joxe en 1986 et Pasqua en 1995) »

Jean-Louis Arjol vient de publier « Police en péril » aux éditions du Cherche Midi, son troisième livre après « Mais que fait la police ? » et « Police, une affaire d’Etat ».

Il évoque dans cet ouvrage choc une Police nationale au sein de laquelle le taux de suicides n’a jamais été aussi haut, un corps au bord de l’implosion. Il se pose la question de savoir comment la Police nationale en est arrivée là. Manque de moyens, politique du chiffre et exigence de rendement, échec des politiques publiques, discrédit populaire, mais aussi, et plus généralement, intensification des violences au sein de notre société… : les causes du malaise sont multiples.

« Ce livre se fait le porte-voix des femmes et hommes qui œuvrent au quotidien pour notre sécurité, mais qui aujourd’hui peinent à faire entendre leur souffrance » explique son éditeur.

Nous avons interrogé Jean-Louis Arjol pour décortiquer son ouvrage et évoquer la situation au sein de la Police nationale aujourd’hui.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui va mal, aujourd’hui, dans la police ? Vous dites qu’il faut tout refaire, de fond en comble ?

Jean-Louis Arjol : Le Stress du à l’obligation de rendement et à des cadences de travail (horaires et situation sécuritaire du pays : fracture sociale et conflits sociaux , augmentation de la violence qui en découle , terrorisme, …) impensables au vu de la dangerosité du métier, le harcèlement hiérarchique très fréquent qui parfois découle de cette obligation de résultat imposée aux Gardiens de la Paix, un management trop souvent inhumain et centré quasi exclusivement sur la gestion et la culture du résultat, sont des facteurs de malaise au sein de la profession

La multiplication des services et le morcellement du Service Général ont aggravé la situation. En effet, la dislocation du groupe social, l’excès d’individualisation ont des conséquence sur le mal être au sein de la Police Nationale

Les policiers évoluent aujourd’hui dans un contexte professionnel ou la performance est érigée en dogme. Ils sont notés et évalués en fonction de la quantité du travail qu’ils fournissent et non de la qualité de ce travail . La loi de 2011 dite  » Loi d’orientation et  de  programmation pour la performance de la sécurité intérieure »  n’a fait qu’entériner en droit une situation de fait
Or, chaque fois que l’on pousse des collègues à faire du chiffre, ils sont mis sous pression, ils travaillent mal. Il ne faut pas chercher plus loin l’explication en général de quelques incidents ou encore de ses tensions qui existent et s’accentuent entre jeunesse et police.

En 2007 , un policier sur deux partant à la retraite n’a pas été remplacé. Entre 2007 et 2012, plus de 13 000 postes ont été perdus et compensés partiellement par des emplois « précaires » (adjoints de sécurité) L’actuel Président avait promis l’embauche de 10 000 policiers. Entre 2017 et 2020, on compte au sein de l’institution 1000 Gardiens de la paix en plus, 39 commissaires et 408 officiers en moins. On est donc loin du compte et certains corps, progressivement, sont en voie d’extinction alors que l’on manque, notamment en région parisienne d’encadrants

Le problème du service public de sécurité, c’est le problème de tous les services publics. Comme pour le « Ségur » de la santé, les policiers demandent, des effectifs, des moyens et une revalorisation salariale. Et pas de saupoudrage ou de primes . Il faut augmenter tous les policiers de 300 Euros par mois et le Président doit tenir ses engagements en matière d’effectifs .

Breizh-info.com : Il semblerait qu’un fossé sépare désormais (un gouffre même) la police de sa hiérarchie. La hiérarchie n’est-elle pas inféodée à des intérêts politiques là où les policiers eux, exercent et font ce qu’ils peuvent sur le terrain ?

Jean-Louis Arjol : La hiérarchie se borne aujourd’hui, principalement a répondre à cette obligation de rendement définie plus haut. Le management, plus exactement « le new management » directement importé des Etats Unis priorise la gestion au détriment de l’humain Or, le policier vit doublement la crise. D’abord à titre privé, ensuite à titre professionnel. Les policiers sont les pompiers du mal être social . S’il n’ose pas se confier à sa hiérarchie directe en cas de problème, sa proximité avec une arme peut induire et faciliter un passage à l’acte et provoquer les drames que l’on sait ( 59 suicides dans la profession en 2019)
J’ai proposé au moment où j’étais Secrétaire Général la mise en place d’une Académie de Police . Au sein de cette école de police, un tronc commun de formation pour tous les policiers, qu’ils soient commissaires, officiers ou gardiens, permettrait  chacun de mieux se connaître, de vivre ensemble, de partager les difficultés du travail de l’ordre. Mais les conservatismes individualistes l ‘ont jusqu’à ce jour emporté sur la raison
Breizh-info.com : Beaucoup de citoyens ont l’impression d’une forme de deux poids deux mesures, entre d’un côté, des publics « protégés pour éviter les bavures » (dans les cités notamment) et d’autres malmenés (exemple de gilets jaunes en manifestation). Qu’en est-il ?

Lorsque la police protège la population, comme au moment des attentats en 2015, elle est acclamée par la population. Lors des deux derniers conflits sociaux, du fait de l’utilisation d’une doctrine de « guerre » en matière de maintien de l’ordre et des nombreux drames (blessures graves) que cette dernière  a occasionnée , l’image de la police s’est fortement dégradée. L’institution a donné l’impression qu’elle était au service du pouvoir et non de l’intérêt général. Or, constitutionnellement, la police est instituée pour l’avantage de tous et non l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée. Elle n’a pas à se dissocier du peuple dont elle est issue. La Police Républicaine n’est ni de gauche, ni de droite.
Autant la république ne peut tolérer que l’on attaque ceux qui la protègent au péril de leur vie , autant la république ne peut tolérer que ceux qui la protègent ne soient pas irréprochables . Sur plusieurs millions d’interventions annuelles, seules au mieux 1 % font l’objet d’incidents plus communément appelées « bavures »

Toutefois, il faut opposer à la culture du résultat, de l’immédiateté et de la suspicion permanente accentuée par la diffusion d’images sur les réseaux sociaux, une culture de la transparence. Il faut mettre en place en France une instance indépendante du pouvoir exécutif, responsable devant le parlement, comme elle existe déjà en Angleterre ou en Belgique. Il faut fusionner « le Défenseur des Droits et l’I.G.P.N en un seul et même service. Ce service permettra qui plus est à des policiers qui plus est menacés dans l’exercice de leur droit syndical ou par de fausses informations qui gomment leur présomption d’innocence de se défendre, en toute transparence et de démontrer ainsi leur bonne foi. La justice ne se rend pas dans les médias ou les réseaux sociaux. Elle se rend dans les prétoires.

Breizh-info.com : En tant que syndicaliste et policier, comment avez vous réagi à l’affaire Traoré ? La presse n’a-t-elle pas commis une faute en se faisant le relais d’une famille au lourd passif judiciaire ?

Jean-Louis Arjol : L’importation du modèle américain induit aussi l’importation de toutes les formes de communautarisme. Je ne vais pas ici hurler avec les loups mais les anti fllics primaires, les partisans du communautarisme sont aussi les ennemis de la république.

Il existe deux dérives dans le domaine de la sécurité : la dérive ultra répressive très répandue médiatiquement. Mais il existe aussi une autre dérive dont on parle moins, c’est la dérive laxiste, celle qui veut transformer les policiers en « flics nounous » , celle de Christiane Taubira .

Ces deux dérives sont les deux faces d’une même pièce. Elles s’auto alimentent et font font obstacle à l’existence d’une Police Républicaine

La lutte contre l’insécurité  doit se faire par l’emploi du juste milieu entre répression et prévention. C’est à ce prix que l’on pourra retrouver « le rêve perdu de la proximité »

Guy Debord dans sa « Société du spectacle » disait « Nous nous sommes faits américains et nous en récoltons les misérables problèmes » Communautarisation , ghettoïsation, privatisation, fracture sociale…Les services publics ont déserté dans les territoires perdus de la république, ces zones de non droit d’hier devenues aujourd’hui zones « d’un autre droit » Il faut changer de modèle.

Breizh-info.com : Les policiers, ou gardiens de la paix, ont le droit de posséder une arme parce que les citoyens leur ont donné ce droit et cette responsabilité pour garantir leur sécurité. Que va-t-il se passer si la sécurité des citoyens demain n’est plus garantie par ces mêmes policiers sur ordre du pouvoir ?

Jean-Louis Arjol : Si nous ne changeons pas de modèle, nous courrons tout droit vers ce que j’appelle dans mon livre « le Grand Chaos » J’ai volontairement un paragraphe fiction dans « Police en péril » J’espère que cette fiction ne deviendra pas réalité. Si nous n’opposons pas une alternative républicaine au modèle ultra libéral pour lequel nous avons opté, c’est la porte ouverte aux milices privées , à l’auto défense. C’est la jungle ou le plus fort écrase le plus faible. C’est la fin de ce que nous avons de plus cher : la liberté

Breizh-info.com : Y’a-t-il tout de même des aspects optimistes à avoir pour demain, notamment en France, concernant la paix civile ?

Jean-Louis Arjol : Le nouveau ministre de l’intérieur doit engager immédiatement un grand débat sur la sécurité intérieure, dresser un bilan qui doit déboucher sur une nouvelle Loi d’orientation et de programmation sur la sécurité .

Cette loi doit reposer sur trois principes :

  • rapprocher la police de la population  : nouvelle doctrine du maintien de l’ordre qui privilégie la gestion démocratique des conflits sociaux, calquer les « Quartiers de Reconquête Républicaine » (60) sur les quartiers prioritaires définis par la politique de la ville ( 718 en métropole) mise en place de « Comités Consultatifs de Citoyens » et de « délégués sécurité à la cohésion nationale » (ils sont au nombre de 151 en ce moment et n’ont aucun moyen pour assumer leur mission…).
  • renforcer et privilégier le service public de sécurité (embauche d’effectifs, préparer la police aux défis du futur (robotique, intelligence artificielle, exosquelettes, science bionique et génétique, etc…)
  • Faire respecter l’ordre républicain sur l’ensemble du territoire national.

Les syndicats de police républicains qui constituent d’ordinaire une garantie citoyenne, sont aujourd’hui dépassés par leur base. Une recomposition syndicale est prévisible à moyen terme. Cette loi serait un signe fort pour l’institution et redonnerait confiance à celles et ceux qui doivent rester des « Gardiens de la Paix »

Propos recueillis par YV

Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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