Comme en France, le débat sur le colonialisme s’est emparé de la Belgique. Alors que la bourgmestre de la ville de Molenbeek, Catherine Moureaux, veut débaptiser le boulevard Léopold II, Michel De Grave, un citoyen de la commune lui adresse une lettre publique pour lui rappeler certains faits. Nous la publions volontiers.
Madame la Bourgmestre,
Vous souhaitez débaptiser le Boulevard Léopold II, notre Roi qui, comme vous le savez, a éradiqué l’esclavage au Congo, et créé les bases du Congo actuel avec ses écoles, ses hôpitaux, son administration, ses chemins de fer (aujourd’hui à l’abandon), son unité, son jardin botanique de Mbandaka (autrefois Coquilhatville), son économie autrefois prospère, et ses frontières naturelles et internationalement reconnues.
Grâce à lui, les trafiquants d’esclaves, avec leurs pratiques (notamment les mains coupées, châtiment typique de la Charia) ont été vaincus. Plusieurs de nos compatriotes ont perdu la vie dans ce combat décidé par Léopold II contre l’inhumanité et la déportation aux Amériques par les marchands d’esclaves. Léopold II a convoqué en 1889 et 1890 une conférence anti-esclavagiste. Il était en pointe dans ce domaine.
Certes, le colonialisme est intrinsèquement pervers. Déjà nos ancêtres ont été massacrés par les troupes d’un colonisateur appelé Jules César, dont il conviendrait donc de débaptiser l’avenue à Woluwé-Saint-Pierre. La ville de Cologne, de par son étymologie, témoigne de cette colonisation.
Le destin du Congo a été décidé par une convention internationale en 1885. Ce n’est pas une conquête par la force comme la colonisation des Amériques, ou de l’Afrique du Nord par la France.
La colonisation du Rwanda et du Burundi sous l’appellation de «territoire sous tutelle» a été décidée non pas par la Belgique mais par la Société des Nations, ancêtre de l’ONU, qu’il faudrait donc condamner vigoureusement.
Le génocide des populations d’Afrique du Sud par les Anglais (Guerre des Boers), dans le Sud-Ouest africain par les Allemands, et des indiens d’Amérique par les Anglais et les Espagnols a heureusement été épargné aux Congolais, Rwandais et Burundais, même si des massacres ont eu lieu, notamment au Rwanda, y compris et surtout après l’indépendance. Étant donné que Churchill et Baden-Powell ont participé à la guerre des Boers, il faudrait enlever la statue de Churchill, débaptiser son avenue et son rond-point, et pourquoi pas tant qu’on y est, interdire le scoutisme, ou enseigner ses origines funestes dans toutes les écoles. Vous m’excusez cette démonstration par l’absurde qui permet de voir vos intentions sous un autre éclairage.
Par ailleurs, comme vous le savez, dans une monarchie constitutionnelle comme la Belgique, le Roi règne mais ne gouverne pas.
Après 1908, ceux qui étaient en charge de la colonisation, donc responsables des abus, et qu’il faut condamner avant tout, étaient les ministres, et en particulier les premiers ministres, dont plusieurs de votre parti politique : Paul-Henri Spaak, C. Huysmans, et Achille Van Acker. Les artères honorant Paul-Henri Spaak à Bruxelles, Woluwé-Saint-Pierre, Ixelles et Saint-Gilles devraient dont être débaptisées bien avant le boulevard Léopold II. Il faudrait aussi enlever la statue de Spaak.
Il en est de même pour les premiers ministres d’autres partis politiques comme de Broqueville, Carton de Wiart et Delacroix. Pour de dernier, il faudrait aussi débaptiser la station de métro.
De même, il faudrait condamner les ministres des colonies comme J. Renkin qui a sa rue à Schaerbeek et Jaspar qui a son boulevard à St Gilles ainsi que les gouverneurs généraux sur place, chargés de faire régner l’ordre colonial conformément à la politique de MM. Spaak et autres. Parmi ces gouverneurs généraux, il y a aussi de quoi débaptiser, notamment Wahis et Pétillon (autre station de métro).
Je me demande en outre comment il peut encore exister à Bruxelles et à Ixelles une rue Washington alors que ce chef d’État possédait des esclaves à son service, ce qui n’est pas le cas de Léopold II.
Vous trouverez sur internet les codes congolais (civil, pénal…) édictés par Léopold II pour protéger les populations indigènes, par exemple l’interdiction du travail forcé. Je n’ignore pas que cela n’a pas toujours été respecté, mais à qui la faute ? En Belgique, les lois ne sont pas non plus toujours respectées, et ce n’est pas le Roi des Belges qui est responsable d’Anne-Marie Lizin, Guy Lalot, Yvan Mayeur, et quelques autres.
Une lettre écrite par Léopold II le 16 juin 1897, conservée au Musée de Tervueren, demande aux autorités sur place de mettre fin à la pratique indigène des trophées humains qui sévissait ça et là. Quand le Roi avait connaissance d’abus, nous avons la preuve qu’il réagissait, mais les moyens de communication de l’époque n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui.
De nombreux décrets du Roi visent à protéger les droits des chefs coutumiers (6.10.91), les droits des indigènes sur leurs terres 14.7.1885, 9.8.93), la protection des travailleurs noirs (8 et 17.11.88) outre la création d’une commission pour faire respecter les populations indigènes (18.9.95).
Tant qu’à faire, il faudrait aussi débaptiser le Quartier Léopold.
Léopold II était un homme vivant sobrement dans un petit coin du château de Laeken. Il a laissé ses biens à la Belgique. Il a par exemple financé l’arcade du Cinquantenaire de ses propres deniers et laissé à Bruxelles des monuments comme les serres de Laeken, la Tour Japonaise et le Pavillon Chinois que les partis qui se succèdent au pouvoir, dont le vôtre, laissent dans le délabrement (comme le Conservatoire, le Palais de Justice, et d’autres monuments). C’est sous son influence qu’a été tracée l’avenue de Tervueren et les boulevards du centre à l’occasion du voutement de la Senne pour des raisons de santé publique (et il n’y avait pas encore 9 ministres de la santé). Il a aussi laissé sa trace à Ostende et ailleurs. Le Roi Bâtisseur n’a pas seulement été le souverain de l’Etat indépendant du Congo. Ce fut un grand roi des Belges qui n’aurait pas laissé se dégrader le Conservatoire et ces autres monuments.
Les historiens vous apprendront que son frère, le comte de Flandre, s’est enrichi peut-être davantage, et il faudrait donc commencer par débaptiser l’artère de votre commune qui porte son nom (et bien entendu la station de métro Comte de Flandre).
De nombreux Belges se sont dévoués dans des conditions parfois difficiles, notamment de salubrité, comme enseignants, médecins, infirmiers, ingénieurs, fonctionnaires, scientifiques, et autres métiers, si bien qu’au 30 juin 1960, la Belgique a laissé aux Congolais le pays ayant le PIB/habitant le plus élevé d’Afrique. Aujourd’hui, le Congo, victime d’un corruption généralisée, en est pour le PIB/habitant (800$) à la 40ème place sur 42 pays, juste devant la Somalie, et même derrière les pays du Sahel comme le Tchad (2.600$).
Pourriez-vous stigmatiser avec la même vigueur la mafia qui colonise aujourd’hui le Congo à son profit en laissant le peuple dans une misère qui n’existait pas en 1960.
Comme vous le savez sans doute, les légendes malveillantes sur Léopold II ont été propagées par les Anglais qui convoitaient le Congo. Chamberlain a même proposé à Hitler de ne pas entrer en guerre contre lui s’il pouvait s’emparer du Katanga. Hitler a refusé !
Un livre scientifique détaille tous les aspects de la colonisation, références, textes et chiffres à l’appui, Le Congo au temps des Belges, par André de Maere d’Aertrycke, André Schorochoff, Pierre Vercauteren et André Vleurinck. En histoire, il faut en effet se fonder sur des sources et pas sur l’émotionnel.
Je vous suggère aussi la lecture du livre d’un Congolais sur ce sujet. Jean-Pierre Nzeza Kabu Zex Congo. Le titre en est Léopold II, le plus grand chef d’État de l’histoire du Congo. Éditions L’Harmattan, 2018.
Veuillez agréer, Madame la Bourgmestre, l’assurance de mes meilleures salutations.
Michel De Grave
Citoyen molenbeekois fier de l’œuvre de Léopold II
Crédit photo : DR
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