Droite sociale contre gauche libérale. Focus sur l’élection présidentielle en Pologne.

Camp contre camp, chapelles contre chapelles, classes contre classes. Des élections très disputées sont en cours à l’autre bout de l’Europe, avec des implications géopolitiques considérables pour notre continent. Revue factuelle et impartiale des partis polonais en compétition, entre ultraconservateurs et ultralibéraux.

Résultats au 30/6/2020 sur 99.98 % des votes

Andrzej Duda, avec 43,54 % (contre 34,76 % en 2015) est en ballotage plutôt favorable. Candidat de Droit et Justice (PiS), Duda conserve le même niveau de vote que celui déjà obtenu par son parti aux dernières élections législatives de 2019. Qualifié d’ultra-conservateur par les médias occidentaux, le PiS manifeste de l’hostilité à l’évolution des moeurs, mais cette attitude ne peut à elle seule expliquer un tel vote d’adhésion.

En toute rigueur, le PiS est d’abord un parti catholique social qui a rompu avec l’ultralibéralisme dominant de 1989 à 2015. Des prestations sociales conséquentes ont été décidées en faveur des familles et la cartographie des résultats électoraux évoquent les oppositions traversant la France : les campagnes, notamment à l’est du pays, votent PiS, car il leur redistribue une partie des richesses créées dans les métropoles et dans l’ouest du territoire

La question migratoire est un autre motif du vote PiS. L’Europe de l’Ouest a longtemps fait rêver les Polonais. Son évolution accélérée en inquiète maintenant un grand nombre. Le PiS apparaît ainsi comme un rempart contre les initiatives de Bruxelles en faveur de l’ouverture tout azimuth.

Rafał Trzaskowski , le candidat de la Coalition civique (KO) obtient 30,44 % (contre 33,77 en 2015 pour le candidat du même parti). Cet ancien ministre du gouvernement libéral de Donald Tusk a été élu triomphalement maire de Varsovie en 2018. Réunissant divers partis centristes et écologistes, le KO est une République en Marche polonaise : il s’appuie sur les gagnants de la mondialisation et porte les espoirs des milieux d’affaire. Défenseur des minorités et de l’Etat de droit, il a critiqué la mainmise du PiS sur l’audiovisuel public et sur la justice. Il veut renouer avec Bruxelles, ses opportunités et ses subventions.

Ses réelles chances d’être élu au poste présidentiel démontre que l’image moyenâgeuse et quasi dictatoriale de la Pologne n’est pas conforme à la réalité. Un président tout puissant, un parlement non-représentatif et impuissant, des juges et des médias complaisants, un parti d’opposition qui n’a aucune chance de l’emporter face au candidat désigné par le système …Cela ressemble plus à la France qu’à la Pologne !

Szymon Holownia obtient un score de 13,86 % (contre 20.8 pour Pawel Kukiz, le candidat électron libre de 2015). C’est une sorte de Nicolas Hulot varsovien : journaliste dans la grande presse centriste pro-Bruxelles (dont un journal possédé par Ouest-France), activiste humanitaire et présentateur télé grand public, c’est pendant qu’il animait l’ émission la Pologne a un incroyable talent qu’il a annoncé sa candidature.

Chrétien formé chez les Dominicains mais refusant les ingérences du clergé dans la politique, écologiste capable de parler à ceux qui croient au Réchauffement comme à ceux qui n’y croient pas, marié à une pilote de Mig 29 de l’Armée de l’Air polonaise,  il a apporté de la fraîcheur dans un jeu politique qui oppose les mêmes forces depuis des années.

Renvoyant dos à dos tous les partis de ce régime à dominante parlementaire, il a indiqué qu’il saurait être le président de tous les Polonais et qu’il ne mettrait pas son veto aux initiatives des députés qui iraient dans le bon sens, quelle que soit leur étiquette. Il a notamment promis de ne pas s’opposer aux politiques sociales du PiS (qui a la majorité au parlement jusqu’en 2023).
Ses électeurs ont les clés du second tour. Moins sectaires que le reste de la gauche et du centre, ils en sont néanmoins sociologiquement proches.

Krzysztof Bosak a obtenu 6,77 % des voix (contre 3.82 % pour les deux candidats de cette mouvance en 2015). A 37 ans, il donne un coup de jeune à la Confédération Liberté et indépendance, une coalition nationaliste et libertarienne (« ultralibérale », mais seulement en économie). Son électorat devrait se reporter sur Duda.

Władysław Kosiniak-Kamysz obtient 2.37 % des voix (contre 1.60 en 2015), pour la Coalition polonaise, de centre-gauche. Il est lui-même le président du parti paysan, le plus ancien parti polonais, qui s’appuie sur une classe paysanne encore nombreuse. Ce médecin fils de médecin, ancien ministre comme son père, est dans l’opposition. Ses voix devraient aller à Trzaskowski.

Robert Biedroń obtient 2.22 % (contre 2.38 % pour la candidate de la même tendance en 2015). C’est le représentant de la coalition la Gauche, c’est-à-dire ce qui reste du POUP, l’ancien parti communiste. Les lunettes fumées de Jaruzelsky ont été abandonnées au profit des lunettes roses. Biedron est un juriste qui a fait toute sa carrière dans les lobbys LGBT. Homosexuel et athée revendiqués, il incarne le refus de la morale traditionnelle et du pouvoir de l’Eglise dans la société. Il a été décoré de l’Ordre du Mérite par François Hollande et a reçu nombre de récompenses internationales.

Stanisław Żółtek représente le Congrès de la Nouvelle Droite, un parti libertarien antibruxellois, qui brasse beaucoup d’idées mais attire peu d’électeurs : 0.23 % (contre 0.56 en 2015).

Marek Jakubiak, ancien militaire et entrepreneur, de la Fédération de la République, populiste de droite, n’a fédéré que 0.17 % des électeurs polonais.

Paweł Tanajno, chef d’entreprise, libéral hostile au régime des partis et favorable à la démocratie directe, déjà candidat en 2015, obtient 0.14 % (contre 0.20).

Waldemar Witkowski, représente l’Union du travail, un parti social-démocrate issu de la réconciliation entre des apparatchiks de l’ancien parti communiste au pouvoir et des dissidents appartenant à l’aile d’extrême-gauche de Solidarnosc ! C’est ce qu’il y a de plus à gauche en Pologne et cela fait 0.14 %. Même Poutou fait mieux !

Mirosław Piotrowski, historien et député européen, représente le Mouvement européen véritable, une scission ultra-ultra-conservatrice du PiS, et obtient 0.11 %.

Au final, un rapport 50.65 / 49.35 en faveur de Duda : si on additionne les scores des droites, on obtient 50.65 = Duda + Bosak + Żółtek + Jakubiak+ Piotrowski. En ce qui concerne la gauche et le centre, on obtient : 49.35 = Trzaskowski + Holownia + Kosiniak-Kamysz + Biedroń + Tanajno + Witkowski.

Comme souvent dans son histoire, la Rzeczpospolita Polska est déchirée par ses partis, qui pour l’emporter n’hésitent pas à provoquer l’intervention des puissances étrangères.

Bruxelles, Paris et Berlin soutiennent de manière indirecte Trzaskowski et son camp. Quant à Duda il a été reçu par Trump à la Maison Blanche 4 jours avant le scrutin, pour se voir annoncer une bonne nouvelle : une partie des troupes US qui vont être retirées d’Allemagne seront déployées en Pologne face à la Russie. Un coup de pouce qui pourrait faire pencher la balance en faveur de Duda.

Au soir du premier tour, Trzaskowski a relancé le jeu en faisant un appel aux ultralibéraux (ou libertariens) qui sont très influents dans les partis à la droite du PiS : il leur a demandé d’oublier les nombreuses différences » qui les séparent, pour mener le « combat pour les libertés économiques et contre un Etat omnipotent ».

A.T.

Illustration : DR
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