Les chants populaires en langue bretonne que les folkloristes du XIXe siècle ont rangé dans la catégorie des gwerzioù ont pour caractéristique de raconter une histoire en général tragique, vraie ou supposée telle. Certaines d’entre elles ont eu la bonne fortune de faire une longue carrière dans la tradition orale. Toutefois, leur transmission de bouche à oreille, l’usure du temps ou l’intervention d’un collecteur n’ont pas été sans incidences sur leur contenu. A tel point que l’on peut se poser la question de leur authenticité.
Natif de Binic, Daniel Giraudon est gallèsant et bretonnant et professeur des universités (émérite) de breton à l’UBO, chercheur au CRBC. Il vient de publier un livre important pour la mémoire bretonne, intitulé « La clé des chants » aux éditions Yoran Embanner, un livre qui nous plonge à la découverte de la transmission de cette mémoire orale des Bretons.
Nous l’avons interrogé à ce sujet (pour commander le livre, c’est ici)
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire la clé des chants ?
Daniel Giraudon : Après une quarantaine d’années à la recherche des traditions populaires, une thèse sur la chanson de langue bretonne sur feuilles volante, et la publication de plusieurs ouvrages à ce sujet j’ai voulu poursuivre la parution et l’analyse de mes collectes.
Breizh-info.com : Pourriez vous expliquer à nos lecteurs, qui ne sont pas tous bretons, ce qu’est un Gwerz, et quelle est l’importance de ces Gwerziou dans notre patrimoine ?
Daniel Giraudon : En Trégor les anciens employaient le mot surtout au pluriel : Gwerzioù, prononcé Gwerjo. Une gwerz est un poème chanté, rimé, souvent long qui a pour caractéristique de raconter une histoire en général tragique, vraie ou supposée telle. Transmise de bouche à oreille elle a pu faire carrière dans la tradition orale, parfois même sur plusieurs siècles. Le passage d’un chanteur à un autre fait qu’on la trouve souvent en plusieurs versions. Elle retient avec grande précision toponymes et anthoponymes qui permettent de retracer des événements très anciens et peuvent constituer une source pour l’histoire après étude critique.
Breizh-info.com : De quoi parlent les Gwerziou que vous avez étudiés ?
Daniel Giraudon : Des querelles entre petits seigneurs sous l’Ancien Régime, des drames sur terre et sur mer, des deuils et faits divers dans les paroisses.
Breizh-info.com : Vous expliquez que l’on peut parfois douter de leur authenticité, pour quelles raisons ?
Daniel Giraudon : On peut en effet en douter parfois en raison de leur circulation par voie orale à la fois dans le temps et dans l’espace.
Breizh-info.com : Vous vous êtes essentiellement focalisé sur le Trégor et les Côtes d’Armor, pour quelles raisons ? Le même travail peut-il être envisageable partout en Bretagne ?
Daniel Giraudon : Tout d’abord pour une raison de proximité, j’habite dans la région de Lannion. Les ancien(ne)s du Trégor ont su garder en mémoire jusqu’à un passé proche ces gwerzioù d’Ancien Régime apprises souvent en famille. Ce ne serait plus le cas maintenant. Le même travail était possible partout en Basse-Bretagne.
Breizh-info.com : La transmission orale en Bretagne a été majeure au long des siècles. Pour quelles raisons ? Sont-ce les vieux restes de la tradition celtique et druidique ?
Daniel Giraudon : En raison d’une méconnaissance de l’écriture et de lecture avant le XIXe siècle, et après, d’absence d’enseignement de la langue bretonne.
Breizh-info.com : Lorsque l’on entend le mot Gwerz ou Gwerziou, on pense au Barzaz Breiz forcément. Y’a t’il d’autres recueils, d’autres sources vers lesquelles guider nos lecteurs ?
Daniel Giraudon : Je les invite à aller voir les collectes de Luzel, Penguern, Le Diberder, Le Braz, Quellien…
Breizh-info.com : Vous êtes originaire du pays Gallo. Est-ce que l’on trouve, dans le pays Gallo, l’équivalent de ces Gwerziou, mais en gallo (et sur d’autres sujets) ?
Daniel Giraudon : Non, il n y a pas d’équivalent en pays gallo. Au mieux des complaintes plus courtes, et bien plus récentes.
Propos recueillis par YV
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