Quelque trois mille personnes ont défilé à Nantes le 21 juin en mémoire de Steve Maia Caniço, ce jeune homme disparu en Loire lors de la Fête de la musique 2019, au petit matin du 22 juin. Dans cette foule nombreuse, hélas peu soucieuse de gestes-barrières, certains espéraient que cet anniversaire serait marqué par une avancée décisive de l’enquête. Peut-être même des mises en examen. Ils ont été déçus et risquent fort de l’être encore dans l’avenir.
On lit souvent que Steve est tombé à l’eau « lors d’une opération policière », ou même « à cause d’une opération policière » menée sur le quai Wilson à Nantes. Cette thèse est régulièrement reprise par la presse locale et certaines associations qui ont aussitôt choisi d’incriminer la police, en des termes quasi injurieux quelquefois.
Hormis les intimes convictions de ces commentateurs, que sait-on en réalité ? Pas grand chose. Deux ou trois témoins pensent avoir vu, malgré l’obscurité, une personne non identifiée disparaître dans la Loire. L’un d’eux, même, affirme avoir retenu un homme avant qu’il ne coule mais ne peut reconnaître Steve (lui-même était tombé à l’eau pour n’avoir pas vu le bord du quai).
Un frêle espoir de géolocalisation
À défaut de témoignages fiables, on ne sait même pas à quel moment Steve est tombé à l’eau. On sait qu’il a participé à la Fête de la musique et que son corps a été retrouvé dans la Loire le 29 juillet. Son téléphone a « borné » une dernière fois le 22 juillet à 4h33. Mais sa chute a pu se produire avant les heurts avec la police (qui ont commencé à 4h37). Ou pendant. Ou plus tard. Voire des jours plus tard, si le téléphone a été éteint.
On ne sait pas non plus où Steve est tombé à l’eau. Son corps a été retrouvé à 1 km du lieu présumé de sa disparition, mais en amont et surtout dans un autre bras de la Loire, le bras de la Madeleine, alors que le quai Wilson longe le bras de Pirmil. L’effet des marées océaniques se fait sentir à Nantes. Il s’est vu qu’un corps remonte la Loire au gré des courants. Mais démontrer que celui de Steve aurait été entraîné vers l’aval dans le bras de Pirmil puis vers l’amont dans le bras de la Madeleine, cela paraît mission impossible.
Par ailleurs, le pylône téléphonique où le téléphone a borné couvre tout l’ouest de l’île de Nantes. Cette indication est donc trop vague. Le seul espoir d’obtenir une information plus précise réside dans la géolocalisation du téléphone de Steve. Pour autant qu’un téléphone qui a séjourné cinq semaines dans l’eau du fleuve puisse encore raconter quelque chose. Cependant, même la géolocalisation par GPS, plus précise que le GSM, laisse une marge d’erreur d’une douzaine de mètres : largement assez pour qu’un individu normal se rende compte qu’il ne faut pas se précipiter vers la Loire.
Le rapport de l’IGA délibérément occulté
Même si l’on parvenait à situer assez précisément le moment et le lieu de la chute de Steve, ces indices ne suffiraient probablement pas à établir des responsabilités. La même nuit, une demi-douzaine de personnes sont tombées à la Loire indépendamment de l’intervention policière. Inversement, plusieurs centaines de personnes présentes sur le quai Wilson ne sont pas tombées à la Loire lors de cette intervention. Les responsabilités sont donc plus complexes que certains ne veulent le croire.
Les accusateurs de la police citent en boucle une phrase du rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur les événements de la Fête de la musique 2019 à propos d’un « manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police ». Ils se gardent en général d’en dire plus. Or voici comment l’IGA décrit ce « manque de discernement » :
« le choix de la manœuvre opérée par le chef du dispositif de surveillance générale, à savoir une progression à pied pour reconquérir le terrain en direction du bâtiment dit le « bunker » et procéder à des interpellations, interroge. L’interpellation d’un assaillant identifié comme violent s’est, en effet, terminée par l’agression du fonctionnaire qui le surveillait par une quinzaine de personnes, ce qui a obligé à relâcher cet assaillant. Le dispositif policier structuré mis en place par le chef du dispositif de surveillance générale pour regagner du terrain s’est délité au fur et à mesure des violences, conduisant progressivement les policiers à devoir se protéger individuellement de leurs agresseurs. Les cinq policiers blessés le 21 juin représentent plus du tiers du total des fonctionnaires blessés dans des dispositifs de maintien de l’ordre sur Nantes entre janvier et juin 2019. »
En somme, si la police a manqué de discernement, c’est parce qu’elle a d’abord tenté une intervention pacifique face à des individus hostiles, ce qui lui a valu cinq blessés ! L’utilisation de grenades lacrymogènes, elle, s’est faite « dans le cadre de la légitime défense (…) en application de l’instruction DGPN du 21 avril 2017 ». La justice pourrait bien sûr être d’un avis différent, mais il paraît difficile qu’elle puisse retenir la responsabilité de l’État, encore moins celle de fonctionnaires de police individuellement.
Responsabilités non assumées
Inversement, les commentateurs, avec une curieuse unanimité, persistent à ignorer des points majeurs du rapport de l’IGA concernant en particulier la responsabilité de la ville de Nantes et de la préfecture de Loire-Atlantique. Dernièrement encore, Yann Gauchard, dans Presse Océan, répétait que « la mairie de Nantes et la préfecture assurent ne pas avoir fixé d’horaire limite de fête » ‑ sous-entendu, la police a pris une initiative malheureuse. Bien évidemment, la ville et la préfecture maintiendront cette position jusqu’au bout. Car la fixation d’une heure limite contribuerait à démontrer leur rôle dans l’organisation de l’événement, donc dans l’insuffisance des mesures de sécurité.
Le jour où arriveront les mises en examen, il n’est pas du tout certain qu’elles visent les personnes désignées par la vindicte médiatique.
E.F.
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