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Les tartuffes du 18 Juin. En 1947 à la Radiodiffusion française, Sartre comparait De Gaulle à …Hitler

Marine Le Pen privée de 18 Juin sur l’île de Sein…par des hauts-fonctionnaires En Marche, avec le concours des habituels trublions de gauche … Un vrai théâtre de vaudeville avec des quiproquos et des changements d’horaires…Est ce qu’en 1940 les mêmes auraient seulement prêté une oreille à l’Homme du 18 juin ? On peut en douter, si l’on suit les conclusions d’un chercheur israélien (voir en fin d’article). Mieux : le général De Gaulle lui-même serait-il invité aujourd’hui aux cérémonies de son Appel ? On peut se le demander tant son caractère et ses idées sont incompatibles avec notre époque.

C’est contre De Gaulle que le Point Godwin et la diabolisation ont été inventés, par le plus emblématique des intellectuels de gauche : Jean-Paul Sartre. C’était en 1947, lors d’une émission sur l’unique station nationale. Un document qu’on ne trouve plus sur le site de l’INA, mais que vous pourrez découvrir plus bas grâce à un lien y conduisant et grâce à la retranscription de ses moments les plus importants.

Le contexte : après avoir quitté en 1946 le gouvernement de coalition de la Libération, De Gaulle crée le 14 avril 1947 le Rassemblement du Peuple Français. Aux élections municipales d’octobre, le nouveau parti obtient le score retentissant de 35 %. Ce qui affole le « système » et les partis dominants issus de la Troisième République et remis en selle en 1944 : PCF, SFIO (ancêtre du PS), radicaux (centre-gauche) et MRP (centre-droit).

C’est pour contrer De Gaulle que la radio officielle confie à Sartre la réalisation d’une série d’émissions. Le premier numéro de la Tribune des Temps Modernes, le 20 octobre 1947, a justement pour titre : le gaullisme. Cela passe à 20 h, l’heure de la plus grande écoute.

Retranscription des moments forts de l’émission ou plutôt du sketch radiophonique

  • Le journaliste de Radio  : …Comme il nous fallait un gaulliste, mais un qui nous permît de parler, nous en avons fabriqué un, dont le rôle incombe à Chauffard. Entrez Chauffard !
  • Roger Chauffard, un acteur qui joue le rôle d’un gaulliste caricatural : alors ça y est… vous voyez un grand parti s’est formé…
  • Sartre : …les 40 % de voix gaullistes portent sur ceux des exprimés…Le plus grand parti de France, c’est celui des gens qui ne votent pas…
  • Chauffard : Je me disais que chaque fois que la France est tombée dans l’abîme, il y a eu des hommes providentiels…
  • Sartre : Il me semble que j’ai déjà entendu parler d’un homme providentiel…vous étiez pétainiste en 1940 ?
  • Chauffard : …je pratiquai le double jeu…
  • Sartre : Maréchal, général, c’est tout un… Tous deux de la Grande Muette…tous deux catholiques, tous deux ont fait don de leur personne à la France…
  • Chauffard : …si le général est au pouvoir, nous arrêterons les Russes.
  • Sartre : …Avec l’armée française ? … Je ne veux pas choisir entre les Russes et les Américains.
  • Merleau-Ponty : La politique étrangère proposée par De Gaulle ? « Il va y avoir la guerre. Un danger : l’URSS…Offrons notre alliance aux USA ». Avant, De Gaulle pratiquait un jeu de bascule entre les puissances. Il propose maintenant de fédérer les neutres mais cette troisième force est chimérique. La démocratie américaine évolue de manière inquiétante. Il faut agir sur les forces intérieures américaines et sur les électeurs du parti communiste français… Or De Gaulle critique le communisme de manière sommaire. 
  • Chauffard : …ça oui je dois le reconnaître, même moi gaulliste : le général n’a pas de programme, même pas du tout…sa politique économique et sociale, c’est une page blanche…je le reconnais franchement, les troupes du général sont à droite. Mais l’appareil lui est à gauche : Soustelle, Malraux, Palewski. C’est le double jeu qui continue !
  • Sartre : Donc vous voulez conduire à gauche des troupes qui vont à droite…C’est une opération compliquée : cela veut dire qu’il faudra parler à droite pour les faire tourner à gauche. C’est un écartèlement ! Je me rappelle une foule de gens qui voulaient collaborer, mais qui disait : nous essaierons de changer les Allemands. Nous irons à eux mais dans un esprit de gauche, de liberté…
  • Simone de Beauvoir : C’est vrai que De Gaulle n’a pas de programme. Mais il a dit quelques mots inquiétants. Il a parlé des comités d’entreprise. C’est un mot qu’on a déjà entendu au temps de Vichy…Quand on veut attacher un ouvrier à son entreprise, on veut le couper de son syndicat, de sa classe. Cela a été fait par Franco, par Mussolini, par Salazar, par tous les fascistes…Quand on parle des libertés à la place de la Liberté, comme l’a fait Soustelle, c’est qu’on se prépare à en abattre une ou toutes… Soustelle dit que le gaullisme respectera la liberté d’expression et de réunion. Quant à celle d’association, cela dépendra des circonstances. On sait aussi ce que cela signifie…supprimer le droit syndical et le droit de grève.
  • Chauffard : ce que nous voudrions nous autres gaullistes de gauche, c’est un socialisme national…
  • Sartre : avec un bon Gaulleiter ! [attention : jeu de mot !]
  • Bonnafé, faussement choqué : N’allez pas comparer De Gaulle à [un silence] …RPF me fait penser à PPF…Quand on regarde les affiches qui gueulent sur tous les murs de Paris… Vous l’avez vu ce grand portrait du général. Derrière, il y a la République toute blanche, toute effacée…ça fait un choc, je vous assure : cette petite moustache, ce regard de fer…à part la mèche sur le front, tout y est…
  • Pontalis : J’ai eu l’occasion de lire le Fil de l’Epée…conception du héros à la Plutarque…il n’a de l’estime que pour les grands hommes…pour lui le peuple n’est qu’une foule…

L’affiche mise en cause par les chroniqueurs de Radio France

Au fait, qui a vraiment répondu à l’Appel du 18 Juin ? Ni les hauts fonctionnaires, ni la gauche…

Cette opération de diabolisation radiophonique est réalisée par un petit comité d’intellos qui n’ont pas brillé par leur courage physique pendant l’Occupation.

Jean-Paul Sartre baigne dans un milieu de la gauche intellectuelle, sans être lui-même politisé. Fait prisonnier par les Allemands comme 2 millions de soldats français, il appartient aux rares à pouvoir sortir de son Stalag avant 1945. Peut-être sur intervention de Drieu La Rochelle, qui appartenait à la même maison d’édition. Rentré à Paris dès 1941, Sartre reste prudent, veillant à ne pas se compromettre et passant le plus clair de son temps à rédiger un énorme de livre de métaphysique, L‘Être et le Néant. Il ne résistera cependant pas à la tentation de monter deux pièces de théâtre en 1943 et 1944, obtenant le feu vert de la censure allemande. Le thème de la première, les Mouches, est antipétainiste mais pas antinazi. L’autre, Huis clos, est une pièce d’avant-garde sans lien avec l’actualité.

Quant à Simone de Beauvoir, compagne de Sartre, elle est d’autant plus à l’aise derrière un micro qu’elle a commencé par des piges musicales sur Radio Vichy en 1943 !

A l’image de Sartre, il est certain que la Gauche de 1940 n’a pas répondu à l’Appel du 18 Juin. Pas davantage la haute administration qui par atavisme va toujours dans le sens de la Marche.

C’est ce que démontre le chercheur israélien Simon Epstein, qui s’est appliqué à suivre les parcours biographiques des personnes actives dans la collaboration et la Résistance. Dans cette dernière, et tout particulièrement au commencement, il a révélé la surreprésentation des outsiders, et parmi eux des militants d’extrême-droite : voir ce résumé sur Wikipedia d’une recherche hérétique qui n’aurait pas pu voir le jour dans une université française.

De Gaulle n’avait en effet pas le luxe d’interroger les volontaires sur leur passé ni de leur demander des papiers idéologiques. Chacun était invité à surmonter ses préjugés ou ses ressentiments. Le grand mot était déjà : rassemblement. Les contemporains en ont été particulièrement frappés, eux qui avaient grandi dans un pays divisé contre lui-même :

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

écrit Aragon dans la Rose et le Réséda en 1943, un poème inspiré par la mort du communiste Gabriel Péri et du nationaliste et croyant d’Estienne d’Orves. Le poème paraît au grand jour dans le journal marseillais le Mot d’Ordre, un titre de presse de la zone Sud … de gauche …et maréchaliste ! La période est complexe…

Le premier esprit de la Résistance, celui du 18 Juin, est donc résolument rassembleur. Ce n’est que plus tard, alors que les résistants de la première heure sont tombés, que la Résistance devient un phénomène monopolisé par la gauche. C’est alors aussi qu’elle devient vengeresse… c’est le deuxième esprit de la Résistance, celui qui a finalement triomphé…

E. P.

Illustration : DR
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