Pour une fois, Richard Ferrand a eu le mot juste. Quand son ancien camarade du parti socialiste Jean-Marc Ayrault a réclamé que soient déboulonnées les statues de Colbert et rebaptisés les lieux portant son nom, il a rétorqué dans un tweet : « 23 ans Maire, 5 ans président de groupe à l’Assemblée, réuni en salle Colbert, Jean-Marc Ayrault n’a pas jugé utile de débaptiser ni la rue Colbert à Nantes ni cette salle ».
Dans un texte publié samedi par Le Monde, Jean-Marc Ayrault a bel et bien larmoyé : « Comment comprendre, en effet, que dans les locaux de l’Assemblée nationale, le cœur battant de notre démocratie, une salle porte encore le nom de Colbert (1619-1683) », Colbert dont le nom « est aujourd’hui indissociable du Code noir qui a fait entrer l’esclavage dans notre droit ».
Un ancien Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale s’écharpant à propos du nom d’une salle dédiée à un personnage mort en 1683 : on croirait un gag, une guerre picrocholine ! Et une guerre spécialement chafouine. Non seulement le Code Noir n’a pas « fait entrer l’esclavage dans notre droit » (il tentait de réglementer une pratique existant dans les colonies et demeurée illégale en France) mais il a été promulgué en 1685, deux ans après la mort de Colbert. C’est « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France & de Navarre » qui l’a édicté. Gommer Louis XIV de l’histoire de France, ce serait une autre affaire ! Jean-Marc Ayrault, chourineur de bas étage, a préféré attaquer par la bande.
Colbert version Alzheimer – ou version Staline ?
Il ouvre imprudemment sa tribune du Monde par une référence à L’Étrange défaite de Marc Bloch. Dans ce témoignage, pourtant, le grand historien résume ainsi les causes militaires de la défaite de 1940 : « nos chefs, au milieu de beaucoup de contradictions, ont prétendu, avant tout, renouveler, en 1940, la guerre de 1915-1918. Les Allemands faisaient celle de 1940. » Et voilà que l’ancien maire de Nantes voudrait renouveler en 2020 un débat du 17e siècle !
Sa motivation est stupéfiante : « Pour vivre ensemble dans une société de diversité, écrit-il, il faut avoir un récit commun qui nous rassemble, qui nous aide à dépasser les blessures du passé et qui nous inspire pour panser les fractures du présent ». Justement, Colbert – n’est-il pas un personnage clé d’un « récit commun » qui voudrait bien rassembler les Français depuis plus de trois siècles : l’unité de la nation, la primauté de l’État, le sens de l’intérêt général, etc. ?
Non, Jean-Marc Ayrault a tout oublié de l’immense Colbert, tout sauf une chose : il a participé à la rédaction du Code Noir. Beaucoup, à l’époque, avaient trouvé ce code trop favorable aux esclaves, ne serait-ce que parce qu’il voyait en eux des enfants de Dieu. Par quelque malice d’un destin révisionniste, le voici aujourd’hui odieux(1). Il faudrait donc extirper Colbert du récit commun, de même que Staline effaçait ses adversaires des photos officielles.
Ayrault réécrit l’histoire, même la sienne
Ainsi, le « récit commun » de Jean-Marc Ayrault n’est pas la connaissance de l’Histoire, toute l’Histoire, mais sa réécriture partisane en fonction des passions ou des illusions du présent. C’est modérément surprenant puisqu’on l’a déjà vu à l’œuvre comme maire de Nantes pendant près d’un quart de siècle. Déjà, à ce poste, il a souvent tenté de trafiquer le passé, y compris à propos de l’esclavage, justement. Il a prétendu « redécouvrir » le rôle d’armateurs nantais dans la Traite transatlantique alors qu’il était largement traité par les historiens locaux.
Faut-il chercher les origines de ce biais falsificateur dans quelque vieille blessure personnelle ? Jean-Marc Ayrault a terminé sa scolarité à Cholet. Au lycée Colbert ! Hormis l’allemand, où il brillait, il était considéré comme plutôt médiocre en tout. La Lettre à Lulu, journal satirique nantais, l’a accroché sur cette étape de sa vie : « Ce parangon de morale a sciemment menti en réécrivant sa biographie, en truquant tout un pan de son passé jusque là sans taches ». Car il déclarait avoir participé activement aux événements de mai 1968 dans le lycée alors qu’il s’était confiné dans sa famille à la campagne…
À 70 ans, l’ancien Premier ministre n’exerce plus qu’une fonction : il préside depuis 2018 la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Héritière d’un Comité qui n’a pas produit grand chose en quinze ans, elle est installée à Paris dans un lieu prestigieux, l’Hôtel de la Marine, où elle devrait créer un musée. Est-il raisonnable de laisser une telle mission entre les mains d’un personnage qui affirme son intention de réécrire l’histoire selon ses désirs du présent ?
(1) Dans son article 1, le Code proscrit les juifs des colonies. Cela ne semble pas avoir dérangé Jean-Marc Ayrault jusqu’à ce jour. Peut-être a-t-il commencé sa lecture à l’article 2.
E.F.
Crédit photo :
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine