« Steve : le portable va-t-il parler ? » demandait Presse Océan samedi sur presque toute la largeur de sa Une. La question est étrange et le calendrier plus encore.
« Steve », c’est bien sûr Steve Maia Caniço, ce jeune homme disparu à Nantes au cours de la Fête de la musique 2019, et dont le corps a été retrouvé cinq semaines plus tard flottant dans la Loire. Presse Océan évoque « de nouvelles expertises techniques, dont les conclusions sont attendues avant la fin du mois ». Elles viseraient à « faire parler » le téléphone portable de Steve « remis comme en état de marche ».
On ne remet pas en état de marche un téléphone qui a séjourné dans l’eau pendant plus d’un mois car il a subi des corrosions et des migrations électrochimiques irréversibles. Le remettre sous tension aggraverait le risque de destruction des données qui pourraient demeurer en mémoire. En revanche, on peut tenter de lire ces données. C’est presque devenu une routine pour la police scientifique ou, dans le domaine aéronautique, pour le BEA. Après une si longue immersion, le résultat n’est pas du tout garanti, mais on peut essayer.
Parler pour dire quoi ?
Ce qui est vraiment surprenant, en revanche, est que le téléphone retrouvé fin juillet 2019 ne fasse l’objet de « nouvelles expertises » qu’en juin 2020. « L’objectif, c’est d’obtenir une géolocalisation précise de la position de Steve au moment du drame », assure Presse Océan. Cela aurait pourtant dû être une priorité dès le début de l’enquête.
Même si le téléphone « parle », cependant, il n’est pas certain qu’il ait grand chose à dire. Qu’est-ce qu’une « géolocalisation précise » quand, dans le plan horizontal, quelques centimètres seulement séparent un téléphone au bord du quai d’un téléphone dans la Loire ? Quant au « moment du drame », il n’est pas certain que le téléphone le précise davantage. On sait qu’il est postérieur à 3h16, heure où Steve a envoyé un dernier SMS. On sait aussi que le téléphone a « borné » à 4h33, mais la chute de Steve peut être postérieure (en revanche, il est peu probable qu’elle soit antérieure, car les ondes des smartphones se transmettent mal sous l’eau).
Détourner l’attention
Mais si les « nouvelles expertises » sont tardives, qu’il n’est pas du tout sûr qu’elles donnent un résultat et que celui-ci risque d’être difficile à interpréter, à quoi bon en faire un gros titre ? (Pour être exact, Presse Océan évoque aussi le témoignage d’un homme tombé à l’eau dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, qui aurait tenté sans succès de sauver une personne pouvant être Steve. Crédible, ce témoin qui retrouve la mémoire près d’un an plus tard ? Le fait est que le quotidien a préféré titrer sur le téléphone.)
Pourquoi ne pas avoir attendu le 21 juin, date anniversaire de la disparition de Steve pour reparler de l’enquête ? Peut-être parce que le deuxième tour de l’élection municipale aura lieu juste une semaine plus tard, le 28 juin. L’extrême-gauche accuse régulièrement la police d’avoir causé la mort de Steve en intervenant sur le quai Wilson. Mais le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA), établi à la suite des événements de la Fête de la musique, a surtout souligné l’énorme responsabilité de la Ville de Nantes. Garante de la sécurité publique sur son territoire, elle a laissé une grande manifestation publique se dérouler en un lieu non sécurisé, alors qu’elle en connaissait bien les risques.
Johanna Rolland n’aimerait évidemment pas voir le sujet réapparaître à quelques jours des élections. L’article de Presse Océan a pour effet de « purger » la question : désormais, elle ne risque pas trop de revenir sur le tapis avant l’élection. La presse régionale avait déjà été le jouet d’une manipulation analogue juste avant la parution du rapport de l’IGA : en braquant le projecteur sur la police, elle avait occulté la responsabilité de la Ville et de son maire. Décidément, un ange gardien expert en communication de crise veille sur Johanna Rolland !
E.F.
Crédit photo : graphs quai Wilson à Nantes, photo BI, droits réservés
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