L’intolérance au front bas avait pour habitude de brûler des livres. Mais elle ne lit même plus. Elle abat maintenant des statues sur la foi de conceptions historiques sommaires : toute sommité soupçonnée d’avoir éprouvé un sentiment raciste à une époque de sa vie est une déboulonnée en puissance.
Le phénomène n’est pas vraiment nouveau. La Révolution a ardemment martelé les effigies des églises. À Nantes, La Délivrance d’Émile Guillaume a été jetée à terre par les ligues de vertu en 1927 pour cause de nudité intégrale.
À qui les ligues de vertu modèle 2020 vont-elles s’attaquer à Nantes ? Les « candidats » ne manquent pas. À l’intention des plus incultes, en voici un bref panorama.
- Bertrand du Guesclin (1320-1380) est figuré sur le cours Saint-André. Connétable de France, il est connu surtout pour avoir guerroyé contre les Anglais. Cependant, il a aussi été connétable de Castille. En 1369, il a battu à Montiel une armée musulmane commandée par Pierre le Cruel, prétendant au trône de Castille allié au sultan Muhamad V.
- Henri le Navigateur (1394-1460) est statufié sur la place du Commerce. Prince du Portugal, il a soutenu les premières grandes découvertes des navigateurs portugais. Cependant, il est aussi à l’origine de la prise de Ceuta, sur la côté marocaine. Il comptait ainsi éradiquer les pirates musulmans qui ravageaient le sud du Portugal pour y prélever des esclaves.
- Jacques Cassard (1679-1740), né à Nantes, est figuré par un médaillon sur une stèle de la butte Sainte-Anne. Il a guerroyé au service de la France comme corsaire en Atlantique et en Méditerranée. Cependant, ses victoires en mer des Caraïbes ont permis au roi de France de mettre la main sur la partie ouest de l’île d’Hispaniola, qui allait devenir Saint-Domingue et plus tard Haïti.
- Émile Mellinet (1798-1894), né et mort à Nantes, a donné son nom à la place Mellinet au milieu de laquelle sa statue est érigée. Les Nantais ont ainsi rendu hommage à son intense activité culturelle locale au cours de sa longue retraite de général. Cependant, il a exercé des commandements en Algérie pendant une dizaine d’années, notamment lors de la prise de Blida et de la bataille de Tili-Ouanek. Colonel du Ier Étranger, il est à l’origine de la légendaire implantation de la Légion à Sidi-bel-Abbès.
- Louis Juchault de Lamoricière (1806-1865) a son cénotaphe dans la cathédrale, où il est représenté en gisant. Né à Nantes, il doit sa présence en ce lieu sacré au dernière épisode de sa vie militaire : la constitution et le commandement du corps des Zouaves pontificaux, qui ont défendu le Vatican contre les troupes de Garibaldi. Cependant, au début de sa carrière, il avait participé à la conquête de l’Algérie contre les Turcs.
- Élisa Mercœur (1809-1835) est représentée sur un médaillon au Jardin des plantes. Il honore l’œuvre de cette poétesse nantaise morte jeune. Cependant, Élisa Mercoeur est aussi l’autrice d’une unique tragédie, Boabdil. Elle porte le nom du dernier sultan de Grenade, dont la chute, le 2 janvier 1492, a marqué la fin de l’occupation arabe en Espagne. Élisa décrit les luttes ridicules de son entourage. Circonstance aggravante, on voit en scène deux « esclaves nègres » ainsi qu’une « jeune esclave espagnole », fâcheux rappel de la place de l’esclavage dans le monde musulman.
- Jules Verne (1828-1905), fait l’objet de nombreux hommages dans sa ville natale. Il est représenté enfant sur le flanc de la butte Sainte-Anne et dans son âge mûr au Jardin des plantes. Les Nantais honorent ainsi son œuvre littéraire considérable. Cependant, les considérations vaguement racistes y abondent. Et s’il a nettement condamné l’esclavage, il a surtout décrit la traite musulmane. On cite souvent ce passage de Un capitaine de quinze ans : « L’Islam est favorable à la traite. Il a fallu que l’esclave noir vînt remplacer, dans les provinces musulmanes, l’esclave blanc d’autrefois. »
- Georges de Villebois-Mareuil (1847-1900) est honoré place de la Bourse par une grande statue. Elle a été élevée grâce à une souscription de ses concitoyens nantais après sa mort héroïque face à l’armée anglaise. Cependant, il a fait une grande partie de sa carrière dans les colonies française en Afrique et a mené son dernier combat en défendant l’indépendance du Transvaal, colonie boer d’Afrique.
- Charles de Gaulle (1890-1970) est représenté en pied à proximité de la préfecture et du monument aux 50 otages, comme animateur de la France libre pendant la guerre et comme fondateur de la Ve République. Cependant, on le répète souvent, il refusait que son village, Colombey-les-deux-églises, devienne Colombey-les-deux-mosquées.
- Philippe Leclerc de Hauteclocque (1902-1947) a sa statue dans le square Amiral-Halgand, face à l’hôtel de ville de Nantes. Elle récompense son action à la tête des Forces françaises libres pendant la Seconde guerre mondiale. Cependant, une grande partie de cette action a été exercée dans les colonies françaises d’Afrique. Il a ensuite dirigé la reconquête de l’Indochine en 1945-1946.
À bien chercher, on trouverait sûrement quelque motif de s’en prendre aux statues d’Anne de Bretagne (autour du château des ducs de Bretagne) et à celle d’Aristide Briand (devant l’ancien palais de justice), voire à celle de Jeanne d’Arc (face à Saint-Donatien). Il faudrait aussi rappeler que l’une des statues du monument de la guerre de 1870, au-dessus de la place de la Duchesse Anne, symbolise les troupes coloniales.
Mais inutile d’épuiser le politiquement correct, il a déjà beaucoup à faire. Comme le montre ce petit échantillon local, à considérer l’Histoire à travers un filtre « racisé » obsessionnel, on pourra trouver à toutes les époques un nombre colossal de motifs d’indignation.
E.F.
Illustration : statues du monument de la guerre de 1870 à Nantes lors de leur dépose pour rénovation en 2013. Photo BI, droits réservés.
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