Irlande. L’importance de Michael Collins exagérée ? Retour sur les débuts de l’IRA et la guerre d’indépendance

Nous vous proposons ci-dessous la traduction par nos soins d’un article passionnant de John Borogonovo, historien spécialiste de la Révolution irlandaise qui a écrit pour le Irish Times à propos de la guerre d’indépendance irlandaise et notamment du rôle qu’y a joué Michael Collins.

Sur la guerre d’indépendance à proprement parler, on vous renverra ici tout d’abord.

Comment l’IRA, mal entraînée et mal armée, a-t-elle réussi contre les forces britanniques supérieures ?

La guerre d’indépendance irlandaise a été à la fois une lutte politique et un conflit militaire. Sur le plan militaire, les deux camps étaient d’ampleur inégales. En 1921, les forces britanniques avaient déployé environ 55 000 hommes en Irlande, armés d’artillerie, de véhicules blindés, de mitrailleuses et d’avions, et soutenus par la Royal Irish Constabulary, une force paramilitaire.

Elles affrontaient l’Armée républicaine irlandaise (IRA), une milice citoyenne à moitié entraînée, mal armée. Pourtant, les forces républicaines ont rendu de grandes parties de l’île ingouvernables tout en combattant les puissantes forces de la Couronne jusqu’à l’arrêt.

L’IRA puisa sa source chez les Irish Volunteers qui se sont constitués pendant la crise du Home Rule de 1913-14. Au début de la Première Guerre mondiale, les Irish Volunteers se sont divisés et ont éclaté sur la question de la participation à l’effort de guerre britannique. D’un côté, la grande majorité des membres ont suivi John Redmond et son parti représenté au Parlement, direction la guerre.

De l’autre, une petite minorité a fait sécession en menaçant de résister à toute tentative du gouvernement d’introduire la conscription militaire en Irlande ou de désarmer les Volontaires. Cette petite organisation de Volontaires irlandais comptait environ 14 000 membres en 1916, et la plupart de ses effectifs se trouvaient à Dublin.

Après sa participation à l’insurrection de Pâques (et la défaite militaire qui suivit), l’organisation fut encore affaiblie par les arrestations massives et par les exécutions et emprisonnements de ses principaux dirigeants. Pourtant, quelques mois après leur défaite à Dublin, des républicains engagés ont réformé l’organisation et se sont préparés à une nouvelle résistance à la gouvernance britannique en Irlande.

Les réseaux de volontaires irlandais du Munster (sud-ouest de l’île) ont dirigé la réorganisation, qui a été coordonnée au niveau national par Cathal Brugha. La libération des prisonniers de l’insurrection de Pâques à la fin de 1916 et au milieu de 1917 a encore renforcé la restructuration. Un groupe de direction émergea du camp de prisonniers de Frongoch, comprenant Michael Collins et Richard Mulcahy, et commença à affirmer son autorité sur l’organisation à Dublin.

Dans les provinces, les unités de Volontaires irlandais en bonne santé, qui n’ont pas été touchées pendant et après le soulèvement, ont fourni de solides plates-formes pour l’expansion rapide des Volontaires. Ils ont recruté des membres et formé de nouvelles unités, malgré les restrictions gouvernementales, sur le port de l’uniforme notamment. À la fin de 1917, la plupart des villes et des villages du pays ont mis en place une section de Volontaires irlandais (Irish Volunteers).

En octobre 1917, une convention nationale élit un exécutif national dirigé par Éamon de Valera et forme une forme d’état-major connu plus tard sous le nom de GHQ.

Une structure standardisée a été appliquée aux Irish Volunteers, qui combinaient les modèles d’organisation de l’armée britannique et des mouvements de masse nationalistes irlandais. Comme l’association catholique de Daniel O’Connell et l’Irish Land League, les Volunteers ont mis en place une organisation par paroisse.

L’IRA, 115 000 membres en 1921

La plus petite unité, appelée compagnie, était basée dans un village, une paroisse rurale ou un quartier urbain. Le nombre de membres se situait généralement entre 20 et 150 (dans les grandes villes). L’unité suivante était un bataillon, composé de plusieurs compagnies (de trois à dix). Un bataillon était souvent basé dans une grande ville et accueillait des compagnies du district environnant. Le nombre de membres d’un bataillon allait généralement de quelques centaines à un ou deux mille. Un certain nombre de bataillons constituaient une brigade, qui était la plus grande unité de formation jusqu’au printemps 1921. Les brigades comptaient généralement entre un et plusieurs milliers de membres.

Dans l’ensemble, en tenant compte de l’improvisation organisationnelle persistante (amateurisme), l’IRA comptait en 1921 (avant le traité anglo-irlandais du mois de juillet) environ 70 brigades, 300 bataillons et quelque 2 000 compagnies. Sur le papier, l’IRA comptait 115 000 membres, mais seule une poignée d’entre eux étaient des militants à plein temps

L’organisation de l’IRA était très décentralisée, le QG n’exerçant qu’un contrôle nominal sur ses brigades provinciales. Le chef d’état-major Richard Mulcahy supervisait dix départements : adjudant, quartier-maître, renseignement, organisation, formation, publicité, ingénierie, achats, munitions et produits chimiques. Le personnel des départements comptait généralement moins d’une douzaine d’officiers, et offrait généralement des instructions de politique générale à leurs homologues des unités subordonnées.

Les membres de l’IRA ont juré allégeance au Dáil Éireann, le parlement irlandais et Richard Mulcahy a fait un rapport au ministre de la défense du Dáil, Cathal Brugha. En 1921, les relations de Brugha avec Mulcahy et Michael Collins se sont tendues, tout comme des tensions persistaient au sein de l’IRA, en raison de la confusion des rôles militaires et politiques au sein du mouvement indépendantiste, des officiers supérieurs de l’IRA occupant des postes politiques au sein du Sinn Féin, du Dáil Éireann et d’organismes publics.

Si le service de renseignement de Michael Collins a été efficace dans la capitale, son importance au sein de l’IRA à cette époque a été exagérée. C’est à Dublin que l’influence militaire de Collins s’est faite le plus sentir. Lui et le reste du l’état-major ont maintenu un certain degré d’autorité sur la brigade de Dublin, reconnaissant que la force de l’IRA dans la capitale était cruciale pour la propagande républicaine et les stratégies politiques.

Au-delà de Dublin, cependant, la portée du GHQ était limitée. Les volontaires de l’IRA élisaient leurs propres officiers d’unité, qui prenaient généralement les décisions collectivement. Les brigades de l’IRA s’armaient, se finançaient et développaient leurs propres opérations. Cela a conduit à une évolution inégale de l’IRA à travers le pays. Certaines brigades fonctionnaient à peine au moment de la trêve de 1921, tandis que d’autres avaient mis en place des structures de guérilla très efficaces.

Sociologie et composition de l’IRA

L’adhésion à l’IRA était la plus forte dans la moitié occidentale du pays. L’historien David Fitzpatrick a constaté que le nombre de membres de l’IRA par habitant était le plus élevé dans les comtés du sud et de l’ouest, à savoir Kerry, Clare, Longford, Sligo, Mayo et Limerick. Cork, Tipperary et Kerry. Ces comtés ont connu les niveaux de violence les plus soutenus, mesurés en nombre de morts.

L’IRA a attiré beaucoup moins de jeunes hommes dans la province de l’Ulster, ce à quoi on pouvait s’attendre dans une région à forte population protestante unioniste. Plus surprenante encore est la faible mobilisation de l’IRA dans le Leinster, à l’exception notable de Dublin (ville) et de Longford. Fitzpatrick soutient que les deux provinces de Connacht et Munster étaient généralement plus pauvres que Leinster et l’Ulster, mais que l’ouest et le sud étaient également plus tournés vers les affaires du monde en raison des taux d’émigration importants vers les États-Unis, ce qui a donné naissance au républicanisme.

Dans l’ensemble, les données suggèrent que les jeunes hommes sont moins susceptibles de rejoindre l’IRA dans les régions plus riches du pays ayant des liens économiques et culturels étroits avec la Grande-Bretagne. À Connacht et Munster, il faut également souligner les taux de mortalité élevés pendant la Grande Famine, et les traditions de protestation rurale plus intenses avant et après. En conséquence, la gouvernance britannique a peut-être bénéficié d’une légitimité à long terme moindre au sein de la population dans ces régions, ce qui aurait renforcé le soutien populaire à une insurrection armée en 1920-21.

L’IRA a attiré de jeunes hommes catholiques d’un statut social faible. Les membres protestants étaient rares, mais pas totalement absents. Dans les zones rurales, les volontaires de l’IRA venaient généralement de milieux de petits exploitants agricoles plutôt que des classes de bergers et/ou de gros exploitants agricoles ; les ouvriers agricoles étaient présents mais sous-représentés.

Dans les zones urbaines, l’épine dorsale de l’IRA était constituée d’ouvriers qualifiés et de vendeurs, tandis que les membres non qualifiés ou semi-qualifiés de l’IRA occupaient généralement des postes à plein temps.

Les travailleurs occasionnels et les chômeurs étaient largement absents, ce qui n’est pas surprenant compte tenu du coût économique et des risques liés à l’adhésion à l’IRA.

Les agents de l’IRA les plus privilégiés socialement travaillaient comme commis, enseignants et fonctionnaires de bas niveau. Les diplômés universitaires étaient peu nombreux, et probablement une forte majorité des agents de l’IRA n’avaient pas terminé leurs études secondaires. Beaucoup d’officiers n’ayant pas reçu d’éducation formelle approfondie avaient des antécédents dans la Ligue gaélique, qui soutenait le nationalisme culturel tout en offrant une éducation pour adultes accessible à tous.

Les anciens soldats étaient rares au sein de l’IRA, mais ils sont devenus plus nombreux lorsque la guérilla s’est intensifiée, avec des anciens militaires recrutés comme tireurs d’élite, officiers instructeurs et mitrailleurs. La plupart des dirigeants de l’IRA n’avaient pas de formation militaire officielle. En fin de compte, cela a probablement profité à une organisation qui a contribué à l’avènement de la guérilla moderne. Ses stratèges ont développé des tactiques originales, et surprenantes face à un empire habitué à mener des guerres conventionnelles.

La guérilla en Irlande ne provenait pas à l’époque d’un pouvoir central qui donnait des ordres, mais se développait organiquement dans des unités actives à travers le pays. Par exemple, les brigades de l’IRA à Cork, Tipperary et Limerick, ont évolué à peu près de la même manière malgré un manque de coordination entre elles. La guérilla était la seule voie logique pour les chefs qui manquaient de ressources matérielles pour faire la guerre. Les unités les plus performantes se caractérisaient par leur ingéniosité, leur adaptabilité et leur flexibilité dans une situation militaire en constante évolution.

L’IRA est restée très mal armée tout au long de la guerre d’indépendance. L’incapacité de son état-major à importer des armes de manière adéquate a fait que la plupart des unités de l’IRA ont dû voler leurs armes auprès des forces de la Couronne ou de la population civile. L’IRA possédait un nombre relativement important de pistolets et de fusils de chasse, mais n’avait pas la puissance de feu des fusils modernes.

En 1921, elle ne possédait qu’environ 3 000 fusils (avec environ 50 cartouches par arme), ce qui signifie que les républicains étaient rapidement dépassés lors des affrontements directs. Les unités de combat à plein temps (appelées « the flying columns », « colonnes volantes ») étaient peu nombreuses et n’infligeaient que des pertes mineures aux forces de la Couronne. Pourtant, leur audace face à l’écrasante supériorité britannique a remonté le moral des républicains et a contribué à créer le mythe de la colonne volante.

La survie de l’IRA pendant la guerre d’indépendance n’a été assurée ni par les « colonnes volantes » ni par la brigade de Michael Collins, mais par des Volontaires ordinaires et non armés. La plupart des Volontaires n’ont jamais tiré. Au lieu de cela, ils sabotaient les routes, surveillaient les raids des forces de la Couronne, cachaient les armes, interceptaient les communications britanniques, recherchaient les fugitifs républicains, délivraient des messages et accomplissaient d’autres tâches essentielles, mais plus ingrates.

L’IRA a enfin été renforcée par l’organisation féminine républicaine Cumann na mBan, en particulier pour l’entretien de ses réseaux de renseignement et de communication, un poste essentiel qui a permis à l’insurrection républicaine de tenir sur la durée.

La force de l’IRA résidait dans son organisation. Tout au long de la guerre d’indépendance, l’IRA a été un mouvement de masse efficace, qui a su tirer parti de l’intelligence, de l’ingéniosité et de la persévérance de ses membres de base. Aidés par Cumann na mBan et de vastes réseaux parmi la population civile, ces volontaires ordinaires ont, au final, réussi un exploit extraordinaire.

Illustration : DR
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