Mady Mesplée était, dans son répertoire de soprano colorature, l’intelligence même : une incroyable maîtrise, mal cachée par la modestie de ses interventions publiques, celles d’une musicienne hors pair, certes, mais qui se disait seulement actrice et interprète, pas créatrice.
Décédée samedi dernier, à Toulouse où elle était née en 1931, elle avait gravi tous les échelons des conservatoires, commençant par une médaille de solfège, et par un prix de piano qui lui permit, outre d’accompagner des solistes, de jouer dans les bastringues pour gagner sa vie, et s’offrir des cours de chant, notamment à Paris avec une autre Toulousaine, Janine Micheau, l’héroïne de l’opéra français dans les années 1930-1950.
A la fin des années 1970, alors qu’elle était demandée par toutes les scènes internationales – Liège, Londres ou New York, entre autres – dans des œuvres de Delibes, Rossini, Poulenc ou Rameau, le snobisme des pseudos mélomanes et bobos parisiens, avec sa bêtise au front de taureau, la dépréciait parce qu’en lieu et place de la Lulu de Berg alors à la mode, elle chantait en bis sur tous les continents ce que lui demandait, notamment dans des émissions télévisées, une partie de son public : l’air dit « des clochettes », de la Lakmé de Delibes. Il faut une singulière gentillesse et un don de soi exceptionnels pour se prêter à l’exercice d’une page populaire de six minutes, pour une voix qui maîtrise au quotidien une bonne trentaine de rôles dans la totalité du répertoire opératique. Le faire avec le sourire, et l’exemplarité du métier, voilà qui relevait en pratique de la profession de foi.
Les suiveurs de Pierre Boulez, en la critiquant, n’avaient pas compris que leur idole de chef-compositeur était plus intelligent qu’eux. Mady Mesplée racontait qu’un après-midi à Berlin, ils avaient passé une demi-heure ensemble à revoir les nuances d’interprétation d’un choeur pour soprano et voixd’hommes de… Franz Schubert !
Opéras, opéras-comiques, opérettes et récitals, Mesplée aura enregistré comme personne des témoignages singuliers de son art, dans tous les genres disponibles. Dans la plupart des cas sous la direction de chefs français qui, eux aussi – bêtise parisienne oblige -, firent surtout carrière à l’étranger : Pierre Dervaux, Michel Plasson, Georges Prêtre, parmi tant d’autres.
Au total, le bouquet d’hommages qui vient d’accompagner sa disparition laisse entendre que, quelles que soient les modes, c’est toujours la qualité de l’art musical qui triomphe. Solfégiste remarquable, implacable lectrice de partitions, ancienne étudiante en composition et prix de piano, Mady Mesplée s’était donné les moyens techniques de servir au quotidien un métier de musique qui, à ce qu’elle en avoua, lui offrit en retour, tout au long de sa vie d’artiste, l’essentiel de ses joies.
Jean-François Gautier
Crédit photo : André Cros/Wikimedia (cc)
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