Guerre du pétrole : l’Arabie Saoudite parmi les perdants?

L’Arabie Saoudite avait été parmi les initiateurs de la guerre du pétrole – en provoquant un effondrement des prix du pétrole par sa décision d’augmenter la production pétrolière alors que la demande mondiale s’effondrait sur fond de confinement généralisé. Elle a semé le vent, mais récolté la tempête et compte désormais parmi les perdants de la guerre pétrolière.

La vente de pétrole constitue 70% des revenus de l’État. Or, du fait de l’effondrement du pétrole (le Brent est actuellement à 34 $ le baril), les revenus de la compagnie d’Etat Saudi Aramco au premier trimestre ont baissé d’un quart par rapport à la même période l’année dernière.

Très logiquement, cette mévente pétrolière pèse sur le budget, déjà lourdement mis à contribution par les aides à la population pour faire face à la pandémie et à la crise économique – 47 milliards de dollars (crédits à taux zéro, aides pour payer l’électricité etc). Le déficit du budget de l’Arabie Saoudite est déjà de 9 milliards de dollars pour les trois premiers mois de 2020.

Le canal Telegram russe spécialisé dans l’information pétrolière Bourovaya remarque que « les cheikhs pétroliers saoudiens ont essayé de mettre la Russie dos au mur en faisant s’effondrer les cours [du pétrole] mondiaux. Résultat, c’est Washington qu’ils ont mis dos au mur [l’industrie des pétroles de schiste américains s’est effondrée, avec une série de faillites retentissantes – NDLA] et ils ont été sévérement punis. D’abord, l’orgueilleuse famille royale a du faire partie de l’accord OPEP++ [réduction de la production mondiale de pétrole de 9.7 millions de barils, dont 2.5 millions pour l’Arabie Saoudite pour faire remonter les cours] et après un  autre coup de fouet de Washington réduire encore leur production d’un million de barils ». Sans compter l’arrêt du gisement exploité avec le Koweit à Al-Hadji (80.000 barils/jour) pendant un mois…

L’Arabie Saoudite en faillite d’ici 3 à 5 ans ?

D’après le groupe d’investisseurs Saudi Jadwa, ce déficit devrait atteindre 112 milliards de dollars à la fin de l’année, un record. D’autant que le budget a été établi sur la base d’un coût au baril de 60 $ – actuellement, c’est près de moitié moins. Selon le FMI, le PIB de l’Arabie Saoudite devrait diminuer de 2.3% en 2020.

Si la trajectoire budgétaire et les dépenses se maintiennent, l’Arabie Saoudite serait en faillite d’ici trois à cinq ans, estiment plusieurs analystes financiers. Le pays étant la plus grosse économie de la région, ses difficultés impacteront tout le Golfe Persique, ainsi que les pays dont les ressortissants viennent travailler – quasiment comme esclaves – sur ses chantiers (Pakistan, Indonésie). Et évidemment les groupes islamistes et les mosquées à l’étranger (Asie centrale, Balkans, Proche-Orient, Afrique de l’ouest, Europe…) que le Royaume finance à tire-larigot depuis des décennies.

Selon Bruce Ridel, vétéran de la CIA, « c’est la fin d’une époque, sans aucun doute. L’époque où les pays du Golfe avaient tout cet argent, est terminée ». L’an dernier, Riyad a dépensé 62 milliards de $ en armement, soit 8% du PIB – notamment pour faire face aux dépenses et aux pertes croissantes au Yémen, où les saoudiens sont enlisés sans espoir de s’en sortir.

Le contrat social saoudien en train d’être brisé ?

Jusque là, l’Arabie Saoudite avait une sorte de « contrat social » : à la famille royale pléthorique les richesses du pétrole, mais l’État donne des aides à ses ressortissants, dont une part non négligeable ne travaille pas et manque parfois de ressources même pour payer la dot de ses filles ou louer un appartement pour les jeunes mariés.

Par ailleurs depuis plusieurs année, le chômage augmente parmi les jeunes et la précarité augmente, notamment à l’est du pays. Parallèlement à la pauvreté, la consommation de drogue augmente aussi – un lot record de 19 millions de comprimés d’amphétamines en provenance de Syrie a été saisi le 15 mai dernier, ce qui témoigne de problèmes sociaux profonds – et ce bien que le gramme coûte plus de 3000 € dans le pays en 2017, du fait d’une législation très dure envers les drogues (peine de mort pour les dealers, 121 peines capitales exécutées de 2015 à 2017).

Cependant dès le 1er juillet ce contrat social va se fissurer : la TVA, mise en place en 2018 de 5%, va tripler. Dès le 1er juin, les aides de 267 $ données depuis 2018 aux fonctionnaires et qui coûtent 13 milliards de $ par an devraient être supprimées ; les aides sociales pour les carburants, l’électricité et le gaz naturel sont aussi en question – elles pesaient en 2018 5% du PIB pour un coût de 44.7 milliards de $.

Par ailleurs, le pouvoir a autorisé le secteur privé à réduire les salaires jusqu’à 40% pendant six mois. L’Arabie Saoudite a aussi annoncé qu’elle allait recourir à l’emprunt. Selon Bloomberg, Saudi Aramco devrait aussi acquérir 70% de la compagnie de pétrochimie Saudi Basic Industries Corporation (SABIC) moins cher que les 69.1 milliards de $ prévus.

Louis-Benoît Greffe

Crédit photo : DR
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