Fondé sur une affaire criminelle qui a défrayé le très cossu Georgetown, quartier de Washington, il y a dix ans de cela, le premier film de Christoph Waltz est un thriller psychologique captivant tant par les êtres dont il se plaît à explorer les rapports de dépendance que par la conduite du récit. Ulrich Mott est un quadragénaire dévoré d’ambition, excédé par le décalage entre ses talents supposés et la médiocrité de sa condition.
Plus précisément, le début du film nous le montre en guide mégalomane et obsédé par le secret, interdisant aux visiteurs de photographier l’intérieur de l’immeuble de leur député. Saisissant l’occasion de s’introduire frauduleusement dans une soirée diplomatique, il y entre en contact avec une ancienne journaliste de plus de quatre-vingts-ans, Elsa Brecht, spécialiste des relations américano-germaniques, dont le carnet mondain le transit de convoitise. Devenu son époux, il met à profit les multiples connections d’Elsa pour créer une ONG œuvrant au rapprochement des belligérants dans le Moyen-Orient du début des années 2000 – Michel Rocard ou Robert McNamara, parmi d’autres figures éminentes, font partie du conseil de présidence. De nombreux dîners, dans la préparation desquels excelle l’ancien majordome, viennent accréditer son statut d’émissaire non officiel mais incontournable sur la scène internationale, comme l’attestent ses incroyables qualités de négociateur avec les Irakiens.
À ce stade, Ulrich apparaît comme un arriviste dont la loquacité le dispute au cynisme. Une familiarisation plus approfondie dévoile de manière pelliculaire la vérité de cet homme, pour lequel le réel existe sur un mode qui ne peut satisfaire l’esprit. Le traitement de cette histoire véridique bénéficie du double talent de comédien et de metteur en scène de Christoph Waltz. Tout à la fois veule et fougueux, flamboyant et pitoyable, Ulrich Mott ne s’aliène jamais totalement la sympathie du spectateur tant l’intelligence de la composition met en évidence les failles et les chimères dont nulle âme humaine ne peut se déclarer exempte. D’autre part, la construction du film, qui joue avec brio de l’emboîtement des temporalités pour boucler le récit sous la forme d’une spirale, permet de donner les informations essentielles pour camper le personnage, tout en déjouant les attentes. Cette déconstruction subtile maintient un suspense continu, que le présent article s’est à tout prix efforcé de préserver, et invite (ce qui est le privilège de la VOD) à reprendre la première séquence à son début pour en éprouver la terrifiante acuité.
Sévérac
Georgetown
Film américain de Christoph Waltz, avec Christoph Waltz, Vanessa Redgrave, Annette Bening (en VOD).
Crédit photo : DR
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