Alain Mathieu est Président de Contribuables associés et ancien directeur général du Bon Marché (grand magasin parisien) et ancien président de Conforama. Il a lui aussi rejoint la plateforme Réformer pour libérer que nous avons évoquée à plusieurs reprises cette semaine.
Nous l’avons interrogé à ce sujet :
Breizh-info.com : Pourquoi avoir rejoint la plateforme Réformer pour libérer ?
Alain Mathieu : Parce que la France a un urgent besoin de réformes. Il suffit de comparer l’évolution de la France et de l’Allemagne depuis 2005, année d’application des réformes Schroeder. Le site web de l’OCDE, l’organisme international spécialisé dans les comparaisons internationales, montre que notre PIB par tête, c’est-à-dire notre niveau de vie, était à l’époque inférieur de 5 % à l’allemand ; en 2018, il l’était de 15 %. Notre taux de croissance était alors supérieur en moyenne depuis 10 ans de 0,8 % par an à l’allemand. Notre taux de chômage était nettement inférieur à l’allemand. Maintenant il est plus du double. Pour d’autres indicateurs, comme le commerce extérieur, les déficits publics ou la dette publique, la comparaison est encore plus accablante. La cause de ce déclin vous sera donnée par n’importe quel chef d’entreprise ayant un concurrent allemand – ils sont nombreux – ou ayant une activité en Allemagne.
La différence d’impôts et de charges sociales sur les entreprises est de 9 % du PIB (200 milliards d’euros). Par exemple pour un salaire moyen, les charges sociales patronales françaises sont le double des allemandes. Les entreprises allemandes ne paient pas de taxe professionnelle (nous en avons deux), de taxe d’apprentissage, de taxe sur les salaires, très peu de taxe foncière, etc. La raison de ces différences tient à nos dépenses publiques, supérieures de 12 % du PIB aux allemandes.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique les échecs successifs de tentatives de réduction de la dépense publique ?
Alain Mathieu : Le Parlement devrait contrôler ces dépenses, mais les députés de la majorité n’ont pas envie de mécontenter ceux qui les ont fait élire et ceux de l’opposition n’en ont pas les moyens. Dans de nombreux pays, la Cour des comptes dépend du Parlement. C’était une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy. Elle n’a pas été tenue. Plus de la moitié des Français vivent en totalité ou en grande partie de l’argent des contribuables. Ils ne sont pas favorables aux baisses des dépenses publiques. Les adhérents des syndicats sont en majorité dans le secteur public. Leurs dirigeants en viennent.
Ils préfèrent se battre pour défendre leurs avantages plutôt que les intérêts des contribuables. Nos gouvernants savent parfaitement qu’il faudrait mieux maîtriser les dépenses. La Cour des comptes comme tous les organismes européens ou internationaux le leur répètent. Mais il leur faudrait un très grand courage pour le faire. En outre, aucune des huit tentatives qui ont échoué depuis 1968 n’était fondée sur une idée pourtant simple : examiner secteur par secteur où se trouve la différence avec l’Allemagne. Heureusement un ancien dirigeant de la Cour des comptes a créé une association, FIPECO, qui l’a fait. Nous avons repris ses chiffres en approfondissant la comparaison des résultats et services rendus.
Breizh-info.com : Faut-il réellement dépenser moins, ou plutôt changer les priorités dans les dépenses ? Je pense notamment au coût de l’immigration, dont les montants estimés sont gigantesques et pourraient donc servir à autre chose…
Alain Mathieu : L’Allemagne n’est pas un pays sous-administré. Pour être à égalité de dépenses avec elle, il faudrait baisser les nôtres de 12 % du PIB. Il faut donc dépenser moins. Mais il faut aussi bien sûr changer les priorités. Par exemple dans de nombreux domaines l’égalité entre le public et le privé devrait être assurée.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique selon vous le manque de volonté politique pour réformer en France ? Un manque de courage ? Ou tout simplement un manque de compétence de certaines élites ?
Alain Mathieu : Nos cinq principaux dirigeants politiques viennent de la fonction publique. Ils savent très bien ce qu’il faudrait faire. Mais il leur est difficile de renier leur origine.
Breizh-info.com : Si vous aviez quelques mesures à prendre, concrètement, immédiatement pour relancer le pays, quelles seraient-elles et pourquoi ?
Alain Mathieu : Faire comme le Canada, l’Angleterre et l’Italie : geler les embauches du secteur public (nous embauchons chaque année 400 000 agents publics, et nos effectifs sont d’environ 3 millions supérieurs à ceux de l’Allemagne). Laisser les écoles privées se développer dans toute la France au même niveau qu’en Bretagne (dans le privé, un élève coûte au budget 30 % moins cher que dans l’école publique). Instaurer le droit d’achat de leur HLM par leurs locataires. Appliquer la réforme des retraites votée en février. Confier aux régions l’éducation, la santé et la culture. Aligner les horaires de travail du secteur public sur ceux des Allemands. Créer une allocation sociale unique (comme promis par Emmanuel Macron). Privatiser EDF, la SNCF, les hôpitaux publics en déficit, etc. Réguler le droit de grève comme nos voisins : motif professionnel, vote à bulletins secrets, un vrai service minimum. Toutes ces mesures nous permettraient de rattraper l’Allemagne en cinq ans.
Pour poursuivre la réflexion, lire le texte sur les économies possibles de dépenses publiques.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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