Jacques Garello est professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille. Agrégé des Facultés de droit et d’économie en 1966, il a également été professeur d’économie aux universités de Nice (1966-1968) et d’Aix-en-Provence (1968-2002).
Il vient de signer une série de propositions sur les retraites au travers de la plateforme Réformer pour libérer, que nous évoquions en début de semaine.
Nous l’avons interrogé à ce sujet :
Breizh-info.com : Pourquoi avoir rejoint la plateforme Réformer pour libérer ?
Jacques Garello : J’ai présidé pendant 37 ans l’ALEPS (Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social), plus ancienne institution de diffusion de la pensée libérale en France, parrainée entre autres par Jacques Rueff, Pierre de Calan, Gaston Leduc. J’ai introduit dans l’université française (Faculté d’Économie Appliquée à Aix fondée en 1973), l’enseignement de l’analyse économique des institutions proposée par l’école autrichienne d’économie (Hayek, Mises). J’ai créé le groupe des Nouveaux Économistes en 1978, et organisé pendant 35 ans l’Université d’Été de la Nouvelle Économie à l’université d’Aix (Paul Cézanne). Je publie depuis 1981 une Nouvelle Lettre hebdomadaire.
Breizh-info.com : Vous dites qu’en matière de retraite, on a tout essayé, sauf ce qui marche. C’est-à-dire ?
Jacques Garello : Il s’agit évidemment de rappeler que les sept tentatives de réforme lancées en France depuis quinze ans n’ont rien essayé du tout : elles ont d’entrée de jeu rejeté toue réforme systémique pour bricoler des réformes paramétriques, c’est-à-dire jouer sur l’âge de la retraite, le montant des cotisations ou des pensions. C’est reculer pour mieux sauter parce que le système par répartition n’est pas tenable dans une population vieillissante. La seule et vraie réforme est d’abandonner la répartition pour passer à la capitalisation.
C’est précisément ce qu’ont fait la plupart des pays de l’OCDE. Chez certains la transition est totalement réalisée, d’autres ont introduit des éléments de capitalisation suffisants pour accompagner la disparition totale de la répartition. Le rejet de la capitalisation est essentiellement politique : les retraités actuels qui bénéficient de systèmes spéciaux de retraites plus avantageux que le régime général (et financés par le reste de la population) craignent de perdre leurs privilèges, et la référence au « capital » ou au « capitalisme » est odieuse pour des gens persuadés que « l’ennemi c’est la finance » et que le capitalisme exploite les pauvres et les faibles.
De plus, j’ai beaucoup insisté dans mes écrits sur le fait que la capitalisation met fin au gaspillage de l’argent, puisque les cotisations sont investies dans les entreprises et créent de la richesse et de l’emploi, alors qu’en répartition l’argent récolté par l’URSSAF fin mai servira à payer les pensions en juin (et pas avant le 10, puisque les caisses sont vides !).
Breizh-info.com : Vous êtes favorable à un système de répartition par capitalisation. Mais les différentes crises récentes montrent qu’avec le système des fonds de pension, une crise peut faire tout perdre aux épargnants… Comment remédier à cela ?
Jacques Garello : Il se trouve en effet que le capitalisme ça marche. J’ai travaillé sur la question des retraites depuis le début des années 1980 (bien qu’il y ait à l’époque 4,5 actifs pour 1 retraité, on savait que la population française allait vieillir et on aurait pu faire la transition sans dommage aucun) et j’ai consacré plusieurs ouvrages scientifiques au système par capitalisation : Futur des retraites et retraites du futur (3 tomes, 2009-2010, Librairie de l’université Aix-en-Provence) et, plus récemment dans une version simplifiée, Comment sauver vos retraites (2015, éditions Libréchange).
Les « crises » (toujours provoquées par des erreurs politiques et aggravées par les relances politiques) peuvent perturber la rentabilité des fonds de pension pour quelques mois, mais les fonds investissent sur de très longues périodes, et il y a une probabilité absolue que la rentabilité espérée soit réalisée après 20 ans. En revanche, les « scandales » Enron ou Maxwell sont des opérations frauduleuses (les dirigeants de ces affaires ont pioché dans la caisse, et ont été condamnés) de sorte qu’il faut éviter les fonds d’épargne des entreprises.
Il y a en revanche une probabilité tout aussi absolue que l’assurance vieillesse française actuelle explosera, et tant pis pour ceux qui n’auront pas pu s’en préserver en souscrivant des assurances vie ou en constituant un patrimoine (notamment en investissant dans la pierre).
Breizh-info.com : Vous dîtes que les bas salaires n’ont pas conscience de l’argent qui leur est ponctionné actuellement. Pourquoi ?
Jacques Garello : J’ai pendant quinze ans dispensé de la formation économique dans des entreprises industrielles. Les salariés (et les cadres eux-mêmes) ne savaient pas ce qui était prélevé sur le salaire complet, rémunération véritable de leur travail. En France nous détenons le record du « coin social » ; et les salariés ne réalisent pas ce qu’ils doivent payer pour la maladie, le chômage et la retraite.
Dans la plupart des entreprises, pour les salariés payés au SMIC, le montant annuel des cotisations retraites (parts « patronales » et « salariales ») est de 2 500 euros, soit l’équivalent de deux mois de salaire net ! Pourquoi ne pas le leur dire ouvertement ? Nous avons lancé avec quelques entrepreneurs de vraies « feuilles de paye vérité », mais à la demande de certains syndicats les tribunaux les ont interdites (Michelin 2000 par exemple).
Breizh-info.com : Quelles sont les principales mesures que vous préconisez ?
Jacques Garello : Supprimer la fiscalité sur le patrimoine (logements, assurances vie, actifs financiers successions) pour permettre à ceux qui le peuvent de capitaliser en épargnant sur leurs revenus. Supprimer la fiscalité sur l’épargne investie (impôt sur la dépense). Garantir aux personnes en activité à moins de dix ans de la retraite de percevoir les pensions sur la base des prévisions actuelles du système par répartition.
Par contraste, autoriser les personnes entrant en activité de payer par exemple pendant vingt années leurs cotisations sur les bases actuelles (pour éponger les dettes vis-à-vis de ceux qui ont déjà acquis des droits en répartition) mais en leur donnant aussi la possibilité d’abonder un compte d’épargne retraite qu’ils gèreront à leur choix (et après la vingtième année il sera à leur seul avantage personnel), offrir le chois à la catégorie intermédiaire (en quinze ans ils ont le temps de capitaliser pour recevoir une pension au moins égale à ce que peut leur promettre l’actuelle assurance vieillesse). Dans certains pays, on n’a pas retenu le clivage par âge et ancienneté, mais les pensions obligatoires et par répartition étaient plutôt symboliques.
Évidemment l’ajustement de la transition pose des problèmes techniques, mais l’essentiel est d’ouvrir les portes de la capitalisation le plus rapidement et le plus complètement possible. Suivant les spécialistes de ces opérations, la transition peut s’étaler d’une à deux générations.
Propos recueillis par YV
Photo : DR
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