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Coronavirus. Les fantasmes d’un confiné : envies charcutières et tripières

Le confinement a, paraît-il, quelques mérites. Retour à une vie plus intériorisée, mise en avant de l’essentiel, recul de l’accessoire, du superflu. Tout cela pour filer des banalités qui ne mangent pas de pain.

Justement, vivre confiné prive aussi de quelques nourritures des plus terrestres. Prenez la charcuterie, la vraie, dite de campagne. J’attends avec impatience de renouer avec la charcuterie de Patrick et Huguette Viaud, sise à Basse-Goulaine mais aussi à Nantes, au marché de Talensac.

De vraies terrines, cuites et recuites dans des « casses », à l’ancienne. De la viande de porc hachée grossièrement, bien salée, poivrée, relevée d’un peu de muscade. Une terrine digne de ce nom se reconnaît à la graisse et à la gelée qui se répandent autour. Elle doit être bien croûtée, presque noire. Je l’arrose de Côt, cuvée la Pépie, domaine de la Pépière, à Maisdon-sur-Sèvre. Un rouge vif et rustique.

Les « côtes nantaises »

Viaud est un des derniers charcutiers à faire du « lard nantais » ou plutôt des « côtes nantaises ». Cela se cuisine avec des couennes échaudées que l’on a fait bouillir une à deux heures avec carotte, navet, oignon piqué, bouquet garni. Une fois égouttées, les couennes sont coupées en morceaux et disposées en lit au fond d’un plat allant au four. On dépose sur ces « béatis » (nom curieux qui donne un côté sacré, mystique à la préparation) des côtes de porc prises dans l’échine avec l’os gardé. On arrose du jus de cuisson des couennes et cela cuit autour de deux heures. Boire dessus un muscadet, par exemple, une cuvée Amphibolite de Jo Landron, à La Haie-Fouassière. Fraîcheur, nervosité et ampleur garanties.

Jusque dans les années 70, jusqu’à l’étiolement à Nantes de la vie ouvrière (les chantiers navals, les Batignolles…), les côtes nantaises se trouvaient dans toutes les charcuteries de quartier. Mais elles ont disparu et les côtes nantaises pourraient bien les suivre. Sauf si de jeunes chefs, libérés du coronavirus, s’y mettent, renouant ainsi avec une cuisine populaire, enracinée, qui ne frime pas.

Et les tripes…

Je terminerai avec un éloge appuyé des tripes cuisinées par Monsieur Morel, à Rezé, quartier Saint-Paul. Les meilleures du coin. Je ne sais pas d’où il tient sa recette, sans-doute l’a-t-il concoctée en prenant de-ci de-là. Dans sa Cuisine des Terroirs, R.J. Courtine les recense, tripes de veau à la paloise, tripes angoumoises, niçoises, à la corse, à la nivernaise, à la mode de Caen, à la mode de la Ferté-Macé…

Celles de Morel sont franches, viandues, parfaitement relevées. Les manger très chaudes avec des pommes vapeur et boire dessus un Pinot noir d’Éric Chevalier, côtes de Grandlieu, léger, frais, aromatique.

Le ventre plein, on philosophe mieux. On ratiocine moins, on va droit au but. Le monde d’hier qui n’était pas le mien va s’étioler, disparaître peut-être (il faut bien rêver). J’en attends un nouveau qui allie traditions intangibles et modernité radicale. Un essai, transformé cette fois (il faut toujours rêver) de ce qui fut adopté le 23 mai 1919, à Milan, piazza San Sepolcro. Tout un programme, dénaturé et même escamoté par un dictateur aussi pressé qu’obtus.

Jean HEURTIN

Lectures :

– R.J. Courtine, La Cuisine des Terroirs, La Manufacture, 1994.

– Gault et Millau, Guide gourmand de la France, Hachette, 1970.

– Renzo de Felice, Les interprétations du fascisme, Éditions des Syrtes, 2000.

Manifeste des faisceaux de combat du 23 mai 1919, en ligne, sur Wikipédia.

Crédit photo : DR
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