La politique étrangère de la Turquie centrée autour des ambitions de Recep Erdogan a été conçu comme une énorme toile tissée à travers le Moyen-Orient, Afrique du Nord et Europe. Maintenant, le leader turc peut tomber à son propre piège.
« Zero problème avec les voisins » – c’était la devise choisie par Recep Erdogan, alors premier ministre de Turquie, pour la politique étrangère du pays il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui, quand les relations de Turquie avec ses voisins et états éloignés semble être composées entièrement de problèmes, cette devise ne ressemble qu’une mauvaise blague qui n’a pas bien vieilli et nous donne des raisons pour réévaluer les actions et les décisions du gouvernement turc qui ont amenés le pays à l’état actuel.
C’était exactement dans les relations avec ses voisins où la Turquie a été confrontée à des défis cruciaux. Sous la direction d’Erdogan Ankara est intervenue dans le conflit Syrien, tout en coupant les liens avec le gouvernement de Bashar al Assad et lançant une opération militaire contre les kurdes syriens.
Tandis que la crise Syrienne se transformait rapidement en une guerre par procuration impliquant les puissances mondiales et régionales, les actions de Turquie ont menacé de compromettre les relations avec les parties intéressées. L’intervention d’Ankara est entrée en conflit avec les intérêts de Russie, Iran et États-Unis.
L’acquisition des systèmes de missiles sol-air S-400 russes n’a pas été accomplie qu’après des retards et difficultés multiples, la Turquie a été exclue du programme des F-35 américain et les relations avec Iran se sont aussi détériorées. De plus, les politiques agressives poursuivies par la Turquie ont énervés les membres de l’OTAN, en leur faisant douter du besoin d’avoir Turquie dans leurs rangs.
Les relations avec les États européens ont été rendues encore plus compliquée par la position ambiguë de la Turquie sur la crise migratoire. Erdogan a choisi d’exploiter la situation pour faire chanter les dirigeants européens, simultanément en menaçant d’ouvrir la frontière turque aux migrants et demandant à allouer des fonds pour eux.
Il en va de même pour les actions de la Turquie en Libye, où Ankara soutient le Gouvernement d’accord national, et affronte donc l’Armée nationale libyenne dirigée par l’homme fort Khalifa Haftar, qui est soutenu à la fois par des acteurs régionaux et des États de l’UE méfiants d’un nouvel afflux de migrants.
Il n’est pas surprenant que les efforts maladroits de la Turquie d’exporter son expérience syrienne en Libye aient donné des résultats tout aussi déplorables. Comme en Syrie, Ankara s’est retrouvée en collision avec Moscou et a recouru à des attaques verbales contre les Russes. Imaginez l’absurdité de la situation: la Turquie a accusé la Russie d’envoyer des militants syriens en Libye – malgré les déclarations ouvertes de Recep Erdogan selon lesquelles la Turquie faisait de même (il faut noter que les affirmations d’Erdogan n’ont pas découragé la police turque d’arrêter deux journalistes qui ont rapporté la mort d’un officier de renseignement turc en Libye). Et en plus de cela, la Turquie récompense ceux qui souhaitent voyager en Libye le double du montant alloué par la Russie, selon une chercheuse israélienne Elizabeth Tsurkov.
Une analyste israélienne soutenant le discours turc est assez particulier pour suggérer que l’ingérence d’Erdogan avec un jeu d’échecs en trois dimensions a été exploitée par un joueur beaucoup plus compétent qui n’a pas manqué l’occasion de créer des tensions là où cela lui convient.
On peut s’attendre à ce que tôt ou tard, probablement tôt compte tenu de la situation, les plans astucieux des dirigeants turcs se terminent de la seule manière possible et totalement prévisible – Recep Erdogan se retrouvera emmêlé dans son propre toile des mensonges. Pour ça, il n’aura d’autre coupable que ses ambitions.
Ahmad Al-Khaled, journaliste et auteur syrien
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine