La pandémie actuelle de coronavirus « peut être comparée à la peste de 1347 ». Chacun a pu entendre Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, faire cette déclaration ahurissante devant une brochette de députés, mercredi dernier.
À ce jour, le coronavirus a tué environ 23.000 personnes en France, soit quelque 0,035 % de la population. La « peste noire » de 1347 – qui en réalité a surtout sévi en 1348 et 1349 – a tué entre 25 % et 50 % de la population européenne. On estime que quatre malades sur cinq en mouraient.
L’effet de l’épidémie en Bretagne n’est pas connu précisément faute de documents. Sans doute les survivants étaient-ils trop occupés à enterrer les morts pour en tenir le compte. Mais on sait qu’elle a fait beaucoup de victimes à Nantes, à Brest, à Quimper, à Saint-Brieuc. Surtout, elle a laissé dans la mémoire collective la trace d’une catastrophe épouvantable.
C’est probablement de cette époque que date la gwerz « La Peste d’Elliant » reproduite dans le Barzaz Breiz. (Même si Théodore Hersart de La Villemarqué la fait remonter au VIe siècle.) « En vérité, la Mort est descendue dans le pays d’Elliant, tout le monde a péri, hormis deux personnes », dit la gwerz. « Il y avait neuf enfants dans une même maison, un même tombereau les porta en terre. Et leur pauvre mère les traînait. Le père suivait en sifflant… Il avait perdu la raison. »
Que masque la peste ?
Le sort tragique des enfants d’Elliant frappe encore aujourd’hui les visiteurs du musée des Beaux-arts de Quimper. La Peste à Elliant, du peintre Louis Duveau, originaire de Saint-Malo, arrête inévitablement leur regard. À deux pas de là, au fond de la cathédrale Saint-Corentin, il peuvent déposer leur obole près du crâne du Santig Du, Yann Discalceat. Le « petit saint noir », un moine franciscain, a été emporté par la peste après s’être dévoué au service des malades.
Il y a quelque chose d’effarant à comparer la peste et le coronavirus. Chaque soir, devant les caméras de télévision, Jérôme Salomon paraphrase les statistiques livrées par son tableur – tant de nouvelles hospitalisations, tant de sorties de réanimation… Le numéro deux du ministère de la Santé sait pertinemment que ces chiffres sont sans commune mesure avec ceux de la peste de 1347. Mais cet homme de chiffres est aussi un homme de communication. En faisant référence au désastre absolu du XIVe s., il comptait probablement minorer les insuffisances de son ministère.
Et peut-être détourner l’attention de ses déclarations antérieures. Après tout, c’est lui qui expliquait début mars que les masques ne servaient à rien, puis début avril qu’il fallait en porter.
E.F.
Crédit photo : La Peste d’Elliant par Louis Duveau (1818-1867), Musée des Beaux-arts de Quimper, domaine public via Wikimedia Commons.
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